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Vie des entreprises

Claude Bourmaud s'efforce de bousculer La Poste en douceur

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.02.2000 | Sandrine Foulon

Rattrapé à toute vapeur par la concurrence européenne, contraint de booster le dialogue social pour entraîner 306 000 postiers, Claude Bourmaud s'est emparé des 35 heures afin de réorganiser l'ensemble des bureaux de poste. Des bouleversements sans précédent, source d'une explosion de conflits locaux.

Tous les matins, à 10 heures tapantes, toutes affaires cessantes, Claude Bourmaud, le P-DG de La Poste, consulte la carte des conflits sociaux dans son entreprise. Un rituel qui lui permet de prendre le pouls d'un réseau fort de 17 000 points de contact. Et de mesurer le degré de gravité des mouvements sociaux qui, depuis l'automne, accompagnent la mise en place des 35 heures et la refonte sans précédent de tous les établissements postaux. Grève des agents des messageries à Versailles, paralysie du centre de tri de Bobigny, conflit de longue durée en Corse, arrêt de travail au service des colis Dilipack en Ille-et-Vilaine…, les clignotants ne cessent de s'allumer. Or Claude Bourmaud sait qu'il n'y aura pas de révolution interne sans l'assentiment des 306 000 agents de La Poste et de ses puissants syndicats.

Alors il s'efforce à longueur de réunions de préparer les postiers à l'entrée dans la concurrence. Première échéance prévisible : 2003, année au cours de laquelle la directive européenne sur le courrier doit être révisée. Attaché au service public universel et au caractère indivisible de l'une des plus anciennes entreprises françaises (ce qui ne l'empêche pas de séparer les activités par grands métiers), le président de La Poste mène en outre une politique de croissance externe, comme en témoigne le rachat de Denkhaus, point d'entrée chez DPD, leader outre-Rhin du transport monocolis.

Hostile au passage en force, Claude Bourmaud doit respecter des impératifs de compétitivité, tout en jonglant avec les attentes de ses troupes. Le risque majeur auquel il est exposé est de privilégier le personnel de la maison mère au détriment des salariés des 17 filiales – réparties dans deux holdings, Sofipost (Aeropostale, Dynapost…) et Coelo (Chronopost, Tat Express, Publi-Trans…) – et d'accentuer du même coup l'écart entre contractuels et fonctionnaires. Après trois ans à la présidence, il a commencé à bousculer la maison sans provoquer, pour l'heure, de grève dure au niveau national.

1 RATISSER LE TERRAIN POUR CONVAINCRE

Depuis la mise en place du premier plan stratégique de La Poste en 1998, Claude Bourmaud, comme d'ailleurs son DG, Martin Vial, va inlassablement à la rencontre des agents. Objectif du président : réduire la distance entre son bureau du quai du Point-du-Jour à Boulogne et celui du postier de base. « Les postiers voient tous les jours les camionnettes de FedEx ou de DHL. Ils comparent les produits bancaires, lisent les journaux. Ils peuvent mesurer l'ampleur de la concurrence. Néanmoins, nous devons leur communiquer nos grandes orientations. Il faut dialoguer, convaincre et entraîner. » « Contrairement à ses prédécesseurs, on le voit assez souvent se promener dans les bureaux, reconnaît Jean-Paul Dessaux, de SUD PTT. C'est un postier. On ne peut pas lui enlever ça. »

Des visites qui donnent lieu à des grand-messes dans les huit délégations territoriales. Seuls sur scène, le président et son directeur général viennent justifier la restructuration – décidée en 1998 – de La Poste en quatre grands métiers (courrier, colis-logistique, services financiers et réseau grand public), l'ouverture à l'international, l'intégration des nouvelles technologies ou encore la nécessité de faire évoluer le style de management. Claude Bourmaud vient ainsi d'achever un cycle d'une dizaine de conférences devant des parterres de plusieurs centaines de cadres qui repartent les bras chargés de kits de formation afin de répercuter le message. L'entreprise a en outre édité trois livrets diffusés à un million d'exemplaires destinés aux postiers. Pas question de lésiner sur le budget communication, qui représentera 10 millions de francs cette année.

Cette pratique intensive du dialogue n'empêche pas les rumeurs d'aller bon train. Notamment sur un éventuel changement de statut de La Poste. Imitera-t-elle sa petite sœur France Télécom, transformée en société anonyme en janvier 1997, ou sa consœur néerlandaise TPG, privatisée en 1994 ? « On nous serine que La Poste doit s'autofinancer, explique un conseiller financier. Dans le service, nous avons clairement le sentiment qu'on s'achemine vers une privatisation d'ici à quatre ou cinq ans. » Autre épée de Damoclès : la dérégulation du courrier. « Une libéralisation totale de La Poste entraînerait entre 60 000 et 80 000 suppressions d'emplois », estime Jacques Lemercier, secrétaire général de la Fédération FO des postes et télécommunications, reprenant les chiffres de la Commission de Bruxelles.

Souvent interpellé, Claude Bourmaud rappelle qu'il reste un gestionnaire et renvoie la balle dans le camp de l'État. Mais il ne cache pas la difficulté de l'exercice. La Poste voit grossir ses rivales européennes sans disposer d'autant de fonds propres. Elle ne maîtrise pas des facteurs comme le prix du timbre, que son président ne souhaite d'ailleurs pas voir augmenter. En outre, elle doit toujours assumer son rôle de service public. 40 % des communes où La Poste est présente n'ont ni agence bancaire ni établissement d'assurances. Faute de liquidités, La Poste multiplie les partenariats avec d'autres entreprises. Un rapprochement avec Geodis, la filiale transport et logistique de la SNCF, est en cours de négociation. Claude Bourmaud estime que le temps presse. Éloquent, le dernier rapport du sénateur RPR Gérard Larcher sur l'avenir de La Poste s'intitule « Sauver La Poste. Est-il encore temps pour décider ? »

2 CONTRACTUALISER AVEC LES SYNDICATS

Depuis la réforme de 1990 qui a consacré la séparation de La Poste et de France Télécom, les relations entre la direction de La Poste et les syndicats n'ont plus jamais été les mêmes. D'autant que le paysage syndical s'est enrichi d'un nouvel acteur, SUD, créé en 1988 par des dissidents de la CFDT pour lutter contre ce divorce programmé. « Le président de La Poste sait qu'un désaccord majeur avec un syndicat peut faire capoter une alliance », souligne Bruno de Courrèges, consultant spécialisé dans la conduite du changement en situation délicate, qui a mené quelques missions dans l'entreprise. Pour transformer La Poste – mécaniser les centres de tri mais aussi modifier les horaires d'ouverture des bureaux ou encore transformer les postiers en commerciaux… –, Claude Bourmaud et Martin Vial ont vite pris conscience qu'il fallait renouveler leur approche des partenaires sociaux. « Il n'existait quasiment pas de tradition contractuelle dans la fonction publique. Nous ne pouvions plus fonctionner selon un mode d'opposition permanente et nous contenter de syndicats qui se bornent à livrer un avis. Il a donc fallu inventer de nouvelles instances de dialogue social, explique Georges Lefebvre, le directeur des ressources humaines et des relations sociales à La Poste. Il ne s'agissait pas non plus de faire de la cogestion à l'allemande, mais de pratiquer une vraie négociation, de trouver un équilibre et, surtout, d'aboutir à des accords. »

L'accord national sur la RTT signé le 17 février 1998 a donné l'occasion à La Poste de retrousser les manches. Plus de 80 rencontres bilatérales ont été organisées avec les syndicats, sans oublier les réunions plénières qui ont précédé sa signature. Ce travail de concertation n'a pas empêché la CGT et SUD, qui représentent respectivement 34,7 % et 16,4 % des voix, de refuser de signer. Une opposition justifiée par un volet emploi jugé trop peu ambitieux. « Les 20 000 créations d'emplois programmées sur deux ans ne font que compenser les départs, souligne Jean-Paul Dessaux, de SUD PTT. Et rien ne garantit qu'à l'issue de 2001 on ne replonge pas dans une logique de suppressions d'emplois. » Seules FO, la CFDT, la CFTC et la CGC, représentant au total 42,9 % des voix, ont paraphé l'accord. Reste à le décliner. Pour ce faire, La Poste a créé des commissions de suivi regroupant cadres de l'entreprise et syndicalistes.

3 DÉCENTRALISER LE PASSAGE AUX 35 HEURES

Sur le terrain, les cadres ont été préparés à négocier. Chaque chef d'établissement est invité à mettre en place les 35 heures selon une méthode de conduite du changement en neuf points. Toutes les étapes du processus (du diagnostic de chaque site à sa complète réorganisation) passent par la concertation avec l'ensemble des acteurs. Une centaine de chefs de projet RTT ont en outre été nommés pour veiller au bon déroulement des négociations locales et font le point toutes les semaines. « Nous avons créé une méthode à quatre gagnants : les clients, les postiers, la collectivité et l'entreprise. L'ordre n'est pas anodin, relève Dominique Petitfils, chef de projet RTT de la délégation d'Ile-de-France. Les tables rondes visent d'abord les attentes des clients : plages d'ouverture des bureaux mieux ciblées, qualité du service… pour ensuite proposer des scénarios acceptés par tout le monde. »

Cette nouvelle pratique du dialogue social permettra-t-elle de désamorcer les conflits ? Pour les seuls mois d'octobre et de novembre, La Poste a enregistré 200 préavis de grève. Au mois de décembre, près de 30 départements ont été affectés par des mouvements sociaux. « Les difficultés sont devant nous, pronostique un chef d'établissement. Les bureaux qui passent aujourd'hui aux 35 heures ne sont pas tous représentatifs de la situation. Beaucoup d'entre eux comptent de petites équipes. Les choses risquent de se corser lorsqu'on abordera les plus grandes masses, et notamment les bureaux distributeurs de courrier, les centres de tri de nuit, là où la sensibilité est plus forte. »

En dépit des conflits récents qui ont secoué Bordeaux, Nice, Toulouse, Versailles, Besançon, Villeurbanne ou Montpellier, direction et syndicats signataires ne manifestent pas de signe d'inquiétude. Plus de 1 500 postiers continuent de passer aux 35 heures toutes les semaines. « Jamais La Poste n'aura connu autant de bouleversements en un laps de temps aussi court », avance Dominique Petitfils. Si la déclinaison locale de l'accord a pour effet de déclencher une multitude de petits conflits locaux, elle a l'énorme avantage pour la direction de ne pas faire tache d'huile au niveau national. Même si la CGT entend bien provoquer un mouvement unitaire en ce début d'année. « À ce jour, le problème corse mis à part (les postiers ont observé un arrêt de travail de soixante-dix-neuf jours !, NDLR), nous n'avons jamais enregistré plus de 1 000 postiers en grève simultanément, ce qui représente un taux de 0,3 %, analyse le DRH. Il est évidemment plus facile de mettre en place les 35 heures dans des bureaux où il y a des créations d'emplois que le contraire. Nous avons choisi de placer les emplois créés par la RTT prioritairement dans les services en contact avec le public. Or, pour respecter l'équilibre général de l'entreprise, lorsqu'il y a des plus quelque part, il faut des moins ailleurs. »

Notamment à la production ou dans les centres de tri. La forte mécanisation des plates-formes, l'introduction de machines à traiter les objets plats qui trient jusqu'à 40 000 grosses lettres par heure ont conduit La Poste à déplacer des personnels ou à ne pas remplacer des départs. À l'instar du centre de tri de Pontoise, où la mécanisation s'est soldée par 110 suppressions d'emplois. « Il est impensable de mener quelque 10 000 négociations locales sans heurt, poursuit pour sa part Roland Dufour, secrétaire général de la CFDT Poste. D'ailleurs, si l'accord ne peut être trouvé par la négociation, le rapport de force ne nous dérange pas. Mais, en ce qui concerne les 35 heures, les difficultés rencontrées portent plus sur la façon dont sont conduites les choses que sur le fond des affaires. » « Globalement, le passage aux 35 heures se passe plutôt bien, souligne Jacques Lemercier. On bénéficie d'une écoute quotidienne de la direction sur ce sujet. Si la qualité du management local fait défaut, nous alertons la commission RTT qui analyse le problème et corrige les dérapages. Il suffit souvent de régler le potentiomètre. »

4 FLEXIBILISER GRÂCE AUX CONTRACTUELS

La loi de 1990 a permis à La Poste de recruter des agents contractuels. L'entreprise, dont les charges de personnel représentent 70 % du chiffre d'affaires, s'est engouffrée dans la brèche. Lui étant impossible légalement d'embaucher des fonctionnaires pour des missions à temps partiel, elle a trouvé là une solution idéale à ses problèmes de saisonnalité et de flexibilité. Autre avantage, elle a puisé dans les « Aco » (agents contractuels, dans le jargon postal) les compétences qu'elle avait du mal à trouver en interne. Les informaticiens et les commerciaux de droit privé ont commencé à travailler côte à côte avec les fonctionnaires. Cette tendance est renforcée par l'objectif que s'est fixé Claude Bourmaud : en 2001, les deux tiers des postiers devront occuper des postes en contact direct avec les clients. Résultat, les contractuels sont aujourd'hui plus nombreux à intégrer La Poste. Ils sont 67 000 pour 240 000 fonctionnaires. Sur les 20 000 créations d'emplois prévues par l'accord-cadre dans les deux ans à venir, seules 6 000 concernent des fonctionnaires. Et, malgré les batailles de SUD pour sauvegarder le statut, les plans de titularisation sont loin d'être à l'ordre du jour.

« Entre nous, la cohabitation ne pose pas de problème, confie un fonctionnaire dans un centre de chèques postaux. Mais le clivage s'accentue. Si nous ne parvenons pas à vendre un produit, on s'attire, au pire, une remontrance. En revanche, les Aco sont davantage soumis à une logique commerciale pure. Leurs objectifs sont de plus en plus élevés. Et, d'une année à l'autre, ils peuvent voir le mode de calcul de leurs primes complètement révisé. » L'autre danger réside dans la démotivation des fonctionnaires. « Pourquoi aller systématiquement débaucher le spécialiste de tel produit financier à la concurrence et ne pas former davantage de fonctionnaires ? » s'interroge Jean-Paul Dessaux chez SUD PTT. « Plutôt que de créer un vivier de postiers motivés, on va de préférence recruter un Aco, renchérit Jacques Lemercier, de FO. On ne compte plus le nombre de cadres fonctionnaires placardisés. »

La Poste plaide non coupable. La direction affirme recourir à de la main-d'œuvre de droit privé lorsqu'elle ne trouve plus suffisamment de candidats en interne. Et s'évertue à améliorer le sort des Aco, qui restent néanmoins plus flexibles et moins chers. En 1998, la rémunération mensuelle moyenne nette d'un agent contractuel était de 7 491 francs, contre 10 368 francs pour un fonctionnaire. 92,3 % des Aco touchent un salaire de 7 500 francs et moins contre seulement 3,7 % chez les fonctionnaires.

Pour rectifier le tir, l'entreprise s'est engagée le 17 juin dernier par un accord signé avec FO, la CFDT, la CFTC et la CGC à donner la priorité aux agents contractuels permanents à temps partiel pour qu'ils bénéficient des emplois engendrés par la RTT et à ne plus avoir de CDI inférieurs à huit cents heures de travail par an. D'ici à un an, 50 % des Aco devraient passer à temps complet. Enfin, La Poste souhaite réduire de 20 % le nombre de CDD. De 1996 à 1998, leur nombre a déjà baissé de quelque 19 800 à moins de 18 700. « Le vrai débat ne se joue plus sur l'opposition fonctionnaire/Aco mais entre les CDI, voire les CDII (contrat à durée indéterminée intermittent) et les CDD, analyse Roland Dufour, de la CFDT. Lors des négociations sur les 35 heures, nous avions revendiqué davantage de créations d'emplois de fonctionnaires mais nous avons aussi le souci de la solidarité et de l'équilibre. On ne peut pas uniquement se battre pour les fonctionnaires et laisser des salariés travailler trois heures par jour. » En juillet dernier, La Poste a récidivé, toujours avec les mêmes organisations syndicales signataires. Un nouvel accord salarial prévoit désormais la revalorisation des salaires et des compléments indemnitaires des contractuels.

Autant d'efforts et d'accords jugés insuffisants par SUD. « Sur les 47 000 salariés concernés par le passage à temps complet, seuls 6 000 bénéficieront vraiment de la mesure selon nos calculs. Ce qui signifie que 75 % des personnels à temps partiel imposé le resteront », relève Philippe Crottet chez SUD. « L'insuffisance des emplois créés pérennise la précarité », assure pour sa part Patrick Bourgeois à la CGT Poste.

5 FILIALISER POUR AVOIR PLUS DE SOUPLESSE

Pour autant, La Poste entend se débarrasser de l'image de précarité qui lui colle à la peau. Et faire oublier l'émission La Marche du siècle qui révélait, à une heure de grande écoute, les conditions de travail de certains postiers rémunérés à moins de 3 000 francs. Dans leur récent ouvrage, L'Entreprise barbare, Albert Durieux et Stéphène Jourdain relatent la condamnation de La Poste par un conseil prud'homal pour usage immodéré du CDD. En l'espace de trois ans, un salarié a vu son contrat renouvelé 121 fois. « Il peut toujours y avoir des dérapages incontrôlés ici et là, nuance le DRH de l'entreprise. Mais, à l'échelon national, nous luttons pour que les courbes de précarité soient à la baisse. »

Sur le plan social, l'effort est patent du côté de la maison mère, qui multiplie les accords. Ainsi, pour les 35 heures, l'accord RTT autofinancé (notamment par une réduction au minimum de 10 % des heures supplémentaires) stabilise l'emploi et n'entraîne pas de baisse des salaires. Il prévoit l'ouverture d'un compte épargne temps pour les postiers qui souhaitent stocker leurs jours de repos et, surtout, ne repose pas sur l'annualisation du temps de travail.

Dans les filiales, en revanche, les accords 35 heures font davantage la part belle à la flexibilité. À Chronopost, fer de lance des filiales de La Poste, l'accord signé l'an passé introduit l'annualisation du temps de travail. « Le système nous conduit à devoir poser nos vacances un an à l'avance, déclare Haziz Faddel, délégué du syndicat CGT non signataire. Avant même de savoir quelles seront les périodes hautes et les périodes basses. Les effets pervers sont multiples. Aujourd'hui, lorsqu'un salarié est en arrêt maladie en période haute, soit 42 heures par exemple, la direction reste sur la base des 35 heures. Dès son retour, l'employé doit donc 7 heures à l'entreprise. » Des craintes renforcées par les possibilités de rachat ou de fusion. « Le président de La Poste s'est montré favorable à une ouverture du capital de Chronopost de l'ordre de 34 %, poursuit Haziz Faddel. À quelle sauce va-t-on être mangé, sachant que la compétitivité entraîne plutôt des suppressions d'emplois et n'autorise pas les doublons en termes de plates-formes colis ? »

L'éclatement de La Poste en filiales employant exclusivement des salariés de droit privé pourrait constituer les soupapes de flexibilité dont le P-DG estime avoir besoin. Au risque de doper un syndicalisme émergent. « Auparavant, lorsqu'il y avait 3 % d'agents contractuels dans un service composé de fonctionnaires, le syndicat avait tendance à gérer la masse, reconnaît un syndicaliste. Aujourd'hui, l'erreur stratégique consiste à regrouper sur des plates-formes des salariés précaires partageant les mêmes préoccupations. Ceux-ci, en particulier dans la publicité non adressée, commencent à se structurer. » L'un des prochains chantiers sociaux de Claude Bourmaud – s'il est candidat à sa propre succession et reconduit au terme de son mandat en décembre prochain – sera non seulement de veiller sur le gros de ses troupes, mais aussi d'anticiper sur d'éventuels débordements collatéraux.

Entretien avec Claude Bourmaud
« Nous n'avons pas signé un accord pépère postalo-postal sur les 35 heures mais tout remis à plat »

Postier pur sucre, Claude Bourmaud, 53 ans, est entré en 1971 en direction des services postaux. Ce scientifique, diplômé de l'École nationale supérieure des PTT, n'a commis que de rares infidélités à La Poste.

Le temps d'un passage, en 1984, à la mission de contrôle économique et financier des entreprises du secteur aéronautique et spatial, au ministère des Finances. Ou lorsqu'il a fait partie du cabinet de Gérard Longuet, en 1986, puis en 1993, lorsque celui-ci était ministre chargé des PTT. Étiqueté à droite, Claude Bourmaud a regagné la direction générale de La Poste en 1993 pour en prendre la présidence trois ans plus tard. Homme de dialogue, ce Nantais père de deux enfants mise beaucoup sur son sens de la communication. Un art essentiel lorsqu'il s'agit de convaincre l'État, les organisations syndicales et les 306 000 agents de La Poste de parachever la mue.

Les conflits récents dans nombre d'établissements postaux présagent-ils un embrasement général ?

Sur le dossier important des 35 heures, nous avons créé un comité de suivi avec les organisations syndicales pour faire régulièrement le point. L'accord national est décliné localement. Cela ne va pas sans tensions. Il est toujours plus difficile d'obtenir une signature dans un bureau où il n'y a pas de création d'emplois que l'inverse. Mais je considère que l'on progresse du point de vue du dialogue social. Dans tous les cas de figure, nous refusons le passage en force.

Idem avec les collectivités. Il n'y a aujourd'hui aucune initiative unilatérale de fermeture d'un bureau de poste. Tout se passe en commission départementale de présence postale territoriale. Nous avons développé des conseils postaux locaux où l'on présente des schémas d'évolution : jumelages de bureaux, partenariats avec d'autres entreprises pour une offre multiservice. Et on prend tout le temps nécessaire pour aboutir à une solution négociée. Il n'est pas question de geler notre réseau. Mais La Poste ne peut rester seule sur l'ensemble du territoire et en assumer seule les coûts. Le service public représente pour elle un engagement de 3,5 milliards de francs par an.

Les 35 heures constituent-elles un handicap ou une aubaine pour La Poste ?

Nous avons commencé à négocier avant même le vote de la première loi Aubry pour signer dès le 17 février 1998. L'idée n'était pas de conclure un accord pépère postalo-postal, mais de saisir l'occasion de ces 35 heures pour tout remettre à plat et réorganiser en l'espace de deux ans l'ensemble des 17 000 points de contact de l'entreprise. Il est impossible de déconnecter l'exercice 35 heures d'un contexte économique concurrentiel. Je le dis et le répète aux postiers : on ne peut absolument pas prétendre être différent des autres postes européennes.

La RTT nous a poussés à répondre encore davantage aux attentes d'une clientèle extraordinairement hétérogène. 90 % des envois de courrier sont émis par les entreprises. Mais nous avons aussi à satisfaire le RMIste qui, le 8 de chaque mois, se rend au guichet, sans oublier tous les clients qui viennent fréquemment retirer quelques dizaines de francs sur leur Livret A pour vivre… Et nous devons également écouter l'ensemble des Français qui souhaitent l'ouverture de leurs bureaux plus tard le soir ou le samedi… Nous avons investi 3 milliards de francs sur trois ans pour améliorer l'accueil. Nous allons ouvrir plus de 600 établissements en zone urbaine dont 60 en zone urbaine sensible, là où nous n'étions pas assez présents. Autant de changements à concilier avec les attentes des postiers.

Vous n'avez cependant pas réussi à rallier l'ensemble des syndicats…

Nous avons signé avec quatre syndicats sur six qui représentent 50 % des salariés. Nous avons travaillé avec la CGT mais nous n'avons pas obtenu son accord. C'est un fait. En ce qui concerne SUD, cette organisation nous avait prévenus dès l'origine que, quoi qu'il arrive, elle ne signerait pas. On admet la confrontation mais nous pratiquons déjà une véritable culture contractuelle. Dès l'instant où une organisation refuse ce schéma, nous prenons acte.

Je le regrette.

La poste allemande supprime plus de 4 000 emplois. Vous en créez 20 000 avec la RTT. Restez-vous compétitif ?

Il est prématuré de mesurer l'impact des 35 heures mais, d'ores et déjà, nous aurons dans nos comptes de résultat pour 2000 une charge supplémentaire d'environ 1,5 milliard de francs. Il faut que La Poste gagne plus d'argent qu'elle n'en dépense. Rappelons que l'État n'a jamais versé un sou en termes de capitalisation. La Poste s'est toujours financée par le produit de ses services. Sa valeur ajoutée doit progresser plus rapidement que la masse salariale. Nous devons impérativement développer un marketing innovant et capitalisation sur l'image de La Poste.

Nous nous sommes aussi engagés à réduire le nombre de temps partiels. Cela étant, la saisonnalité des besoins de La Poste exigera toujours des temps partiels. Le tout est de maintenir, dans la mesure du possible, CDD et temps partiels au taux le plus bas. Nous atteignons aujourd'hui 4 %.

La croissance vous permet-elle de financer ces emplois ?

Nous sommes beaucoup plus à l'aise pour mettre en œuvre cette RTT qu'en 1995. Pour le seul courrier, nous avons 3 % de croissance en volume, en diminuant en francs constants nos tarifs. Nous voulons un atterrissage en douceur de La Poste dans ce marché européen appelé à être plus ouvert. Continuons de diminuer nos tarifs et d'améliorer notre offre.

C'est la seule façon pour nous de pouvoir mener une politique sociale ambitieuse.

Menez-vous une politique sociale aussi ambitieuse dans toutes les filiales ?

Nous avons une règle très précise pour ces activités dont la marge est très étroite et la concurrence extrêmement rude, notamment pour des secteurs comme la publicité non adressée. Il s'agit pour nous d'appliquer strictement le Code du travail. Si l'on prend le cas de Chronopost, on ne peut pas être, en termes de souplesse, hors du marché. Il nous faut trouver un équilibre, mais pas sur le dos des salariés.

Continuerez-vous à recruter toujours plus de contractuels ?

Nous embauchons moins de fonctionnaires. Cela s'explique par nos besoins. Depuis 1990, nous avons créé 10 000 postes de conseillers de vente formés aux méthodes commerciales traditionnelles. Mais lorsqu'on ne trouve plus de candidat au sein de la maison, on recrute des agents contractuels. Il ne s'agit pas de maltraiter les fonctionnaires mais de répondre aux attentes de nos clients. A-t-on besoin d'embaucher uniquement des agents avec un statut de fonctionnaire sur des plates-formes de messagerie ? Je pense que non.

Comment abordez-vous le dossier des retraites ?

Les retraites des fonctionnaires sont entièrement financées par La Poste. C'est un épineux problème. Dans le secteur concurrentiel, le taux de prélèvement pour nos salariés est de 42,8 %. Il est de 35,7 % chez nos concurrents. Tous les ans au 1er janvier, avant même d'ouvrir la porte des bureaux de poste, nous nous retrouvions avec une charge supplémentaire de 600 millions de francs. Grâce au contrat d'objectif et de progrès signé avec l'État en 1998, nous avons réussi à en stabiliser l'érosion. En matière de dette sociale, il y a toujours un chiffre qui fait réfléchir : si nous devions fermer La Poste, le coût des retraites des postiers (en activité et retraités) s'élèverait à environ 316 000 milliards de francs d'aujourd'hui. Vous comprendrez pourquoi il est impératif que La Poste soit en bonne santé.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Sandrine Foulon.

Auteur

  • Sandrine Foulon