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Une part de la création de valeur

Dossier | publié le : 01.02.2000 | S.S.-A.

Le retour de la croissance aidant, les salariés, longtemps mis à la diète sur le plan salarial, réclament leur part du gâteau. Le gouvernement prépare une loi qui généralisera et démocratisera l'épargne salariale.

Encore quelques semaines et le projet de loi sur l'épargne salariale sera enfin dévoilé. Cette nouvelle étape législative devrait permettre de remettre de l'ordre dans le fatras des mécanismes de rémunération différée. Un sacré « mille-feuille » plutôt indigeste qui s'est constitué au fil des années, avec une couche de participation, un doigt d'intéressement, un zeste d'actionnariat salarié et un filet de stock-options. Lancée par l'ancien ministre de l'Économie Dominique Strauss-Kahn, l'idée d'une telle réforme a fini par rallier la majorité de gauche, longtemps réservée sur la question. Il est vrai que de nombreux arguments plaident en sa faveur. À commencer par l'implacable montée en puissance de l'actionnaire dans les entreprises françaises. Désormais la marche des entreprises est le plus souvent dictée par des impératifs de rentabilité financière, la création de valeur pour l'actionnaire devenant l'alpha et l'omega de ses managers. Et les salariés sont rarement conviés au partage du festin. La crise économique des années 80 s'est davantage traduite, pour eux, par une peau de chagrin salariale, la part des salaires ne cessant de diminuer dans le partage de la valeur ajoutée. Une évolution dénoncée par le récent rapport du sénateur (RPR) Jean Chérioux sur l'actionnariat salarié : « Actuellement, la richesse créée par l'entreprise profite moins au salarié (par le salaire) ou à l'entreprise (par ses résultats) qu'à l'actionnaire. Ainsi, en 1998, le salaire horaire de base a augmenté de 1,9 %, tandis que le CAC 40 progressait de 31,5 %. » Et la mise en place des 35 heures dans les entreprises françaises n'est pas propice à une reprise des hausses de salaire, même si la croissance est forte et si les bénéfices des entreprises décollent à nouveau. Autre facteur à prendre en considération, l'épargne salariale peut être un élément significatif de complément de retraite. À l'heure où le Premier ministre peaufine ses premières orientations en la matière, les deux sujets ne sauraient être dissociés.

Pour encourager le développement de l'épargne salariale, plusieurs pistes ont inspiré la réflexion gouvernementale. Celles de Jean-Pierre Balligand, député PS de l'Aisne, et de l'ex-commissaire au Plan Jean-Baptiste de Foucauld, qui ont rendu fin janvier un rapport, commandé par Lionel Jospin, afin de définir de « nouvelles régulations, contrepoids indispensable de la mondialisation ». Les deux experts y recommandent la création de nouveaux produits d'épargne, notamment ceux favorisant l'épargne longue en vue de la retraite. Quelques jours plus tôt, Michel Sapin, chargé du dossier entreprises au PS, avait présenté au bureau national un rapport au titre explicite, « Encourager l'épargne salariale ». L'ancien ministre de l'Économie y plaide pour une entrée en force de cette forme d'épargne dans les PME, y compris celles de moins de 50 salariés. Et pour un accroissement du « pouvoir de contrôle et de décision des salariés ».

Plutôt que de développer le capitalisme populaire ou de réconcilier le capital et le travail, l'intention du gouvernement est surtout de rétrocéder aux salariés une partie des bénéfices de leur entreprise. Pas uniquement aux top managers, comme cela a été le cas, mais au plus grand nombre. L'Observatoire de l'actionnariat salarié en Europe, mis en place fin 1999 sous l'égide de Chantal Cumunel, membre de la COB, et de Raymond Soubie, président de la société de conseil Altedia, évoque ainsi la nécessité de « rendre aux salariés une partie de la valeur créée pour l'actionnaire ».

Un facteur de redistribution de la richesse créée

L'actionnariat salarié est l'un des moyens d'associer le plus facilement le personnel de l'entreprise à la « création de valeur ». Son essor est si considérable que les salariés sont parfois devenus le premier actionnaire de leur entreprise, devant les fonds de pension anglo-saxons. Par exemple, à Vivendi, où ils sont 100 000 à posséder des actions via des plans d'épargne d'entreprise, détenant 4 % du capital. Il est fréquent que l'actionnariat salarié dépasse la barre des 5 %, que l'entreprise soit cotée ou non. Inutile de dire que ce phénomène modifie les rapports sociaux dans l'entreprise. Paris Bourse n'hésite pas à parler de « bouleversement ».À tout le moins, le vieil antagonisme capital/travail tend à s'estomper. Pour l'Observatoire de l'actionnariat salarié en Europe, « la logique conflictuelle qui nous marque depuis plus d'un siècle va faire place à une logique de complémentarité ». Chantal Cumunel précise que si les nouvelles formes d'épargne collective, notamment l'actionnariat salarié, s'inspirent de pratiques anglo-saxonnes, « aux États-Unis elles permettent la constitution d'une épargne à long terme pour la retraite, et en France, un partage de propriété et de capital ».

Incontestablement l'actionnariat salarié est non seulement une arme en cas d'OPA, mais également un facteur de stabilité du capital de l'entreprise et de paix sociale. Le fait de détenir une part de l'entreprise devrait idéalement fidéliser les salariés, les motiver, les impliquer dans son devenir. Les responsabiliser aussi. Cet été, les actionnaires salariés de la Société générale ont prouvé qu'ils pouvaient se mobiliser pour bloquer le raid de la BNP, alors que ceux d'Elf ont pris position en faveur du projet de fusion avec TotalFina. Mais il n'y a pas besoin de grandes manœuvres pour faire comprendre aux salariés actionnaires qu'ils détiennent une force de frappe. Une quinzaine d'associations les représentent et font un lobbying actif. Depuis l'automne, l'indice de l'actionnariat salarié (IAS) mesure les performances boursières de leur entreprise.

Facteurs de démocratisation au sein de l'entreprise, l'actionnariat et l'épargne salariale dans son sens large permettent de renforcer la cohésion interne des groupes présents dans plusieurs métiers et sur plusieurs continents. Et ils se révèlent de surcroît un atout en matière de politique salariale. À l'instar de ce qui se passe aux États-Unis, les actions à prix préférentiels, les émissions réservées aux salariés et autres stock-options font de plus en plus office de complément de rémunération, permettant à la fois de proposer un salaire différé, des primes personnalisées (via les stock-options) et un moyen, pour l'entreprise, de limiter sa masse salariale. En ces temps de modération salariale prolongée pour cause de faible inflation et de mise en place des 35 heures, c'est un avantage apprécié des employeurs. Sans compter qu'une décote consentie sur des actions n'est pas payée par l'entreprise mais par les actionnaires.

Distribution générale à Vivendi

Méthode de plus en plus appréciée pour associer le personnel à la vie de l'entreprise, l'émission d'actions réservées aux salariés a fait école chez Bouygues en décembre 1999. Ou chez Vivendi au printemps 1999, où une souscription exceptionnelle d'actions a été lancée dans le cadre d'un « plan d'épargne groupe » particulièrement avantageux appelé Pégase… Le groupe de Jean-Marie Messier est devenu un fervent partisan d'un élargissement de l'épargne salariale au plus grand nombre. En novembre 1999, une stock-option a été offerte à chacun des 250 000 salariés de Vivendi, où l'on parle de « nouvelle manière de percevoir l'entreprise ». « Pourquoi les salariés ne bénéficieraient-ils pas du fruit de leur travail ? » À TF1, où grâce à l'envolée du prix de l'action (de moins de 15 francs la part en 1994 à plus de 80 francs aujourd'hui) les salariés se sont enrichis, on entend faire « le lien entre capital et travail ». À Genset (société de biotechnologies), qui, depuis 1999, a mis en place un plan de stock-options pour l'ensemble des salariés, la DRH, Catherine Faure-Cachard, considère que « c'est un juste retour des choses. Le cours de la Bourse reflète les efforts qui sont faits dans la société ».

Même pour des produits d'épargne collective plus classiques, le bonus des salariés est ajusté au plus près aux performances de l'entreprise. Par exemple, chez Peugeot Citroën, où un avenant signé en avril 1999 a rendu l'accord d'intéressement plus généreux. Dorénavant la référence de calcul est la marge opérationnelle consolidée de l'entreprise, et non le bénéfice fiscal, comme pour la participation. Commentaire de Dominique Marichez, en charge du dossier épargne collective : « Cet indicateur est plus pertinent pour refléter la réalité immédiate de l'entreprise. Les salariés voient que l'entreprise va bien, qu'elle vend des voitures, qu'ils travaillent beaucoup et qu'ils font des heures supplémentaires. Ils peuvent en retirer les bénéfices. »

Tout concourt petit à petit à ce que les salariés souscrivent à un mouvement véritablement amorcé avec les privatisations du milieu des années 80. Dans les grandes entreprises, la culture boursière tend à se répandre. La preuve : les premières privatisations ont tenté entre 50 et 80 % des salariés concernés. Début 1999, lorsque le Crédit lyonnais s'est lancé en Bourse, 90 % du personnel ont dit « banco ! ». À Thomson-CSF, l'actionnariat salarié concerne 90 % des cadres, mais aussi 45 % des ouvriers et 69 % du personnel intermédiaire. L'implication croissante du salarié dans le capital de l'entreprise semble aujourd'hui acquise. Reste à définir les modalités de représentation. Et c'est là que le bât blesse. Faut-il des représentants des salariés actionnaires au conseil d'administration ? Les associations de salariés actionnaires et la CFE-CGC le demandent avec insistance. Les patrons sont hésitants. En témoigne aussi leur souhait de ne pas voir l'actionnariat salarié franchir un certain seuil. Selon un sondage réalisé par Altedia en juin 1999, 70 % d'entre eux situent la part idéale de capital détenue par les salariés entre 2 et 10 %.

Vers des fonds d'épargne collective paritaires ?

Soucieux d'« éviter un marché de dupes pour les salariés », les syndicats se sont engouffrés dans la brèche. Rompant avec des années de franche hostilité à la question, presque tous ont entamé une réflexion. La plus aboutie est celle de la CFDT qui, comme l'explique Jacques Kheliff, patron de la branche chimie-énergie, « réfléchit depuis la fin 1998 à des formules pour représenter les salariés actionnaires ». La centrale se laisserait volontiers tenter par le modèle des fonds d'épargne collective à gestion paritaire, inventés au Québec et qui, en France, pourraient être mis en place à l'échelle des branches. Mais, pour l'heure, l'énorme majorité des 14 millions de salariés français n'est pas encore concernée par l'actionnariat salarié. Et encore moins par les stock-options. Ils sont à peine un million à posséder un petit morceau du capital de leur entreprise. Les autres n'aspirent qu'à les rejoindre. 79 % des salariés souhaiteraient devenir actionnaires de leur entreprise, si l'on en croit un sondage réalisé par Ipsos Opinion et publié en juin 1999. Un rêve qui est donc caressé par au moins 10 millions de personnes !

Auteur

  • S.S.-A.