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Vie des entreprises

Inégalité de traitement et discriminations

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.02.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Une différence de traitement entre les salariés d’une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite. Voilà pour le principe. Mais la transposition de directives relatives à la lutte contre les discriminations, la jurisprudence de la CJCE sur les discriminations indirectes et les délibérations de la Halde pourraient bien changer la donne.

La promotion 2007 de l’École nationale de la magistrature compte 252 auditeurs de justice : 74 % de femmes et 26 % d’hommes. C’est sans doute mieux que la promo 2006 : 79 % contre 21 %. Mais jusqu’à quand le ministère de la Justice va-t-il tolérer cette odieuse discrimination indirecte, telle que définie par la directive du 5 juillet 2006 comme une « situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantage particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires » ? Mais justement : s’agit-il d’une discrimination, forcément illégale et pénalement sanctionnée, ou d’une inégalité de traitement, licite si elle est justifiée par « des raisons objectives et matériellement vérifiables » permettant une individualisation des salaires (souvent périlleuse en termes de climat social) ?

Depuis l’arrêt Mme Ponsolle du 29 octobre 1996, où l’employeur n’avait pu avancer aucune explication (avouable) sur une curieuse différenciation entre deux salariées effectuant le même travail, l’égalité hommes/femmes entraîne a fortiori une égalité de rémunération entre personnes du même sexe.

DIFFÉRENCIER N’EST PAS DISCRIMINER

« Une différence de traitement entre les salariés d’une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite au sens de l’article L. 122-45 du Code du travail » : utile distinguo que celui énoncé le 18 janvier 2006 par la chambre sociale, opposant discrimination (différenciation toujours illégale car reposant sur un motif interdit : sexe, race, activités syndicales, grève…) et inégalité de traitement (comparaison obligée avec des situations identiques ou voisines).

Donc, à travail inégal, salaire inégal : « Ne méconnaît pas le principe à travail égal, salaire égal l’employeur qui justifie par des raisons objectives et matériellement vérifiables la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale » (Cass. soc., 1er décembre 2005), l’arrêt du 7 juin 2006 énonçant une liste « d’éléments objectifs justifiant une différence de rémunération : coefficient, classification, qualification, connaissances professionnelles, diplômes, responsabilités ». « L’ancienneté, à condition qu’elle ne soit pas prise en compte dans une prime spéciale, et l’expérience acquise peuvent justifier une différence de rémunération », a ajouté la chambre sociale le 19 décembre 2007. Si, le 3 octobre 2006, la CJCE a semblé vouloir sauver le critère de l’ancienneté, il pourrait, du fait des maternités entraînant des ruptures de carrière, être considéré comme indirectement discriminant à l’égard des femmes.

Or la transposition de trois directives dans les semaines à venir par la loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations » va conduire à une totale confusion des genres, allant jusqu’à assimiler discriminations et harcèlements.

• L’article L. 122-45, ne visant pour l’instant que les véritables discriminations, rejoindrait cette vaste salade niçoise : « Les différences de traitement peuvent être justifiées lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. » Ce qui devrait entraîner un contrôle judiciaire encore plus approfondi, la chambre sociale se limitant jusqu’à présent – au prix fort d’une vingtaine d’exceptions – à la justification patronale des différences de traitement relevées, sans aller jusqu’à examiner leur proportionnalité.

• Constitueront surtout une nouvelle forme de discrimination les harcèlements moral et sexuel : « Le comportement non désiré ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, et notamment le comportement non désiré à connotation sexuelle. » Pauvres juges ! C’est quoi, un environnement intimidant ? Un comportement non désiré ? N’hésitez surtout pas à poser à la CJCE une question préjudicielle sur l’interprétation communautaire du terme « désir »…

Voltaire, Hugo, mais aussi Coluche, revenez ! Ils sont devenus fous !

DISCRIMINATIONS INDIRECTES ET ÉGALITÉ DES RÉMUNÉRATIONS

Article L. 32-27-2 : « Les négociations sur les salaires effectifs que l’employeur est tenu d’engager chaque année visent également à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010. » La loi de mars 2006 avait donc fixé une obligation de résultat aux entreprises : les écarts de rémunération devaient être « supprimés » fin 2010. Mais notre vibrionnant président de la République a décidé que ce délai serait raccourci : bref, fin 2009 – moins de deux ans –, il ne devrait y avoir, dans aucune entreprise française, plus « aucun écart de rémunération entre les femmes et les hommes ».

S’agissant des discriminations directes, cette égalité début 2010 semble aller de soi plus de soixante ans après le préambule constitutionnel de 1946 (« la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme »).

Mais indirectes ? Vous connaissez la boîte de Pandore ? Car si le différentiel global entre les hommes et les femmes reste de 15 % en Europe et légèrement plus en France, c’est moins en raison de pratiques discriminatoires délibérées que du profil respectif des populations concernées. Dans l’Union européenne, l’industrie rassemble ainsi 37 % des hommes, mais seulement 13 % des femmes. Mais c’est l’inverse dans le moins bien payé secteur public : 46 %, contre 20 %. Et trois métiers peu rémunérés regroupent à eux seuls 25 % des salariées : professions de santé, femme de ménage, vendeuse. Comme le remarquait donc le Conseil d’analyse économique le 10 septembre 2007, la réduction des inégalités entre hommes et femmes passe d’abord par la réduction de la segmentation du marché du travail : question de culture, et non de loi.

La précarité et le travail à temps partiel féminisé à 85 % expliquaient enfin l’essentiel des différences de traitement constatées.

• CJCE, 6 décembre 2007 : enseignante berlinoise à temps partiel, Ursula Vob touchait pour ses heures complémentaires une rémunération inférieure à celle de ses collègues travaillant à temps plein pour leurs heures supplémentaires. Discrimination indirecte : « Une réglementation nationale qui a pour conséquence que les travailleurs à temps partiel sont moins bien rémunérés que les travailleurs à temps plein pour le même nombre d’heures effectuées viole le principe de l’égalité des rémunérations si elle affecte un pourcentage considérablement plus élevé de travailleurs féminins que masculins et si elle n’est pas objectivement justifiée. » Il n’aura pas échappé au lecteur que la situation légale française n’est pas éloignée de cet arrêt.

• CJCE, 13 septembre 2007 : « La notion de conditions d’emploi visée à la clause 4 de l’accord figurant en annexe de la directive du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée doit être interprétée en ce sens qu’elle peut servir de fondement à une prétention qui tend à l’attribution à un travailleur à durée déterminée d’une prime d’ancienneté réservée, par le droit national, aux seuls travailleurs à durée indéterminée. » Logique pour éviter que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne.

Arrêt égalitaire qui n’est pas sans rappeler celui de la chambre sociale du 15 mai 2007 s’agissant d’un formateur vacataire en CDD, naturellement mieux payé à l’heure de formation que son collègue en CDI : ce statut « ne suffit pas, à lui seul, à caractériser une différence de situation au regard de l’égalité de traitement en matière de rémunération ».

En attendant que le marché du travail ne se tende vraiment, et que les deux nouvelles embauchées touchent 12 % de plus que leurs aînés : augmentation immédiate et obligée de leurs 564 collègues faisant le même travail ? Ne riez pas : le 24 septembre 2007, le conseil de prud’hommes de Montauban se prononçait sur la demande de 275 salariés jugeant « discriminatoire » le sort plus favorable fait à un de leurs collègues…

S’agissant du synchrotron de Grenoble ayant octroyé une prime d’expatriation aux chercheurs étrangers, l’arrêt du 9 novembre 2005 avait légitimement pris la mesure de la chasse mondiale aux talents : « Si la prime d’expatriation introduit une différence de traitement entre les salariés français et les salariés étrangers, cette inégalité vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l’installation d’un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l’embauche des salariés ressortissants non français afin de contribuer à la création d’un pôle d’excellence scientifique international ; l’avantage ainsi conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité. » Le rayonnement international de la France exigeait évidemment cette différenciation, source de jalousie concernant le pré du voisin.

Mais c’était compter sans l’acharnement de notre plaideur, qui a alors saisi la Halde, cette autorité administrative dépendante des infractions – les discriminations – qu’elle peut débusquer et qui fait donc savoir sur les ondes que toute dénonciation sera la bienvenue tout en tenant un discours moralisateur opposant les gentils aux méchants. Par une délibération de l’automne 2007, la Halde a tout simplement pris le contre-pied exact de la chambre sociale.

Mais, après Tocqueville, Chateaubriand, qui les connaissait bien, constatait que « les Français n’aiment point la liberté : l’égalité est leur seule idole ».

FLASH
Égalite de traitement et restructurations

« Au regard de l’application du principe à travail égal, salaire égal, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la dénonciation d’un accord collectif ne saurait justifier des différences de traitement entre eux, à la seule exception de celles résultant, pour les salariés engagés avant la dénonciation, des avantages individuels acquis par ces derniers, conformément à l’article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail, lesquels ont pour objet de compenser, en l’absence de conclusion d’un accord de substitution, le préjudice qu’ils subissent du fait de la dénonciation de l’accord collectif dont ils tiraient ces avantages. »

L’arrêt du 11 juillet 2007 a été repris par un arrêt du 4 décembre 2007 qui se contente de rappeler la règle énoncée par l’article L. 132-8. Une Assedic ayant absorbé une autre, l’accord de substitution prévoyait le maintien d’une prime de restauration pour les salariés de l’entité absorbée. Certains collaborateurs de l’entité absorbante ont également demandé à en bénéficier. Réponse de la Cour de cassation : « En cas de mise en cause de l’application d’un accord collectif dans les conditions prévues à l’article L. 132-8, alinéa 7, le maintien d’un avantage acquis ne méconnaît pas le principe à travail égal, salaire égal, que ce maintien résulte d’une absence d’accord de substitution ou d’un tel accord. » Mais en termes de GRH…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray