logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Ces groupes qui recasent leurs salariés hors plan social

Enquête | publié le : 01.02.2008 | Éric Béal

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences permet aux entreprises d’innover. En troquant des licenciements contre des départs volontaires accompagnés, elles gèrent leurs sureffectifs sans PSE. Et sans envenimer le climat social.

Quitter son entreprise par consentement mutuel, sans scène de ménage ? Jusqu’à ce jour, employeurs et salariés français ne savaient pas faire. Mais les choses pourraient bien prendre une autre tournure. Les partenaires sociaux viennent de s’accorder sur un nouveau mode de rupture, à l’amiable, pour les départs individuels (voir encadré page 16). Un outil supplémentaire, de l’avis des DRH, qui n’ont pas attendu ces négociations interprofessionnelles pour expérimenter, au niveau collectif, les départs d’un commun accord.

Parmi les derniers exemples, celui de SKF. Le 18 décembre, le spécialiste du roulement a engagé un « plan de gestion de l’emploi ». Objectif : dynamiser la mobilité externe des salariés – vocable politiquement correct pour parler de départs négociés –, sans passer par un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Sur le fond, le but est pourtant similaire puisqu’il s’agit de supprimer 200 postes sur les 500 que compte le site vendéen de Fontenay-le-Comte. Mais sur la forme, ce n’est pas du Canada Dry. Les quatre syndicats présents sur le site ont signé un avenant à l’accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) négocié en 2005. Ce texte augmente les montants de l’aide financière et renforce les procédures d’accompagnement à la mobilité interne et externe, initialement prévues. Un programme de mutation intitulé « mobilité + » va être mis en place avec, notamment, la création d’un espace de mobilité où des consultants externes seront à la disposition des salariés pour les aider à préparer une reconversion ou créer une entreprise. « Les représentants syndicaux ont bien compris notre projet de pérenniser le site en le spécialisant dans des produits très techniques, à forte valeur ajoutée. Nous sommes tombés d’accord pour faire appel au volontariat sur une période de deux ans, qui devrait nous permettre d’anticiper pour ajuster les effectifs », explique Jean Thiébault. Et le DRH de SKF de préciser que sans la loi de janvier 2005 obligeant les entreprises de plus de 300 personnes à négocier un accord de GPEC, la discussion entre partenaires sociaux aurait été plus houleuse.

Favoriser la mobilité. Obligation légale ou pas, la logique de la gestion prévisionnelle des emplois fait son chemin. Surtout lorsqu’il s’agit de s’épargner les affres d’un PSE. « Le maître mot, c’est l’anticipation. Quand on a vécu les neuf mois de négociation autour d’un PSE, avec la tension sociale qui l’accompagne, on n’a pas envie de recommencer », indique Jean-Pierre Wilsch, DRH de Radiall Systems, une PME spécialisée dans les antennes et systèmes radio qui compte 1 300 personnes en France. Situé près de Grenoble, son principal site de production va utiliser le pôle régional et interentreprises de mobilité mis sur pied par STMicroelectronics. Cette structure d’accueil permanente aide les salariés des sociétés adhérentes à réfléchir à leur carrière et, éventuellement, à partir sur un projet personnel (voir reportage page 20).

Directrice d’études à Entreprise & Personnel et auteur de Tous mobiles ? Organisations flexibles et politiques d’employabilité, publié en mai 2006, Martine Le Boulaire confirme l’engouement pour la mobilité externe. « Les grandes entreprises essaient de fluidifier leur marché interne du travail grâce au turnover. Ceux qui partent libèrent des places que leurs collègues peuvent combler. Avec ou sans formation complémentaire. » L’autre objectif des directions, selon la consultante, est d’éviter les blocages psychologiques. « Les salariés des grandes entreprises, particulièrement les ingénieurs et cadres, ont pris l’habitude d’être maternés. Ils se font une image épouvantable du marché du travail. Il s’agit de les inciter à réfléchir à leur évolution de carrière grâce à des moyens et à des règles clairs, sans stress ni obligation d’aboutir. »

Accompagnement. Une analyse similaire a conduit Schneider Electric à créer une structure permanente dès 1995. Schneider Initiatives Emploi accompagne les salariés français du groupe dans la création d’entreprise. Avec formation, suivi et aide financière à la clé. Fin 2005, le spécialiste de la distribution électrique a passé la vitesse supérieure avec l’organisation de « rencontres horizons : talents et métiers » dans ses 50 sites français. Conçues comme des forums pour étudiants, ces journées mettaient à la disposition des salariés des informations sur les postes disponibles et l’évolution des métiers en interne. Les chambres consulaires y étaient invitées à venir présenter les besoins en compétences du bassin d’emploi. « Le groupe veut développer l’esprit d’entreprise de ses salariés et les inciter à gérer leur parcours professionnel de façon autonome. Chacun doit être acteur de son développement personnel », justifie Philippe Thévenin, directeur du développement économique des territoires chez Schneider. Mais l’impact de ces journées est difficilement quantifiable. Le turnover du groupe est resté à 2 %. Les volontaires au départ se font attendre…

Prévenir les problèmes plutôt que de les traiter dans l’urgence est également l’objectif de Frédéric Agenet, directeur des relations sociales d’EADS. Le groupe aéronautique, qui a signé un accord de GPEC en décembre 2007, entend dynamiser la mobilité externe de ses salariés. « Dans nos métiers, les innovations technologiques ou les retournements de marché sont monnaie courante. Nous devons en permanence nous efforcer de les anticiper. Grâce à la GPEC, nous donnerons à nos salariés les moyens de réfléchir à leur avenir, et même, si nécessaire, de rebondir ailleurs. » Car la négociation d’un accord de GPEC peut, depuis une circulaire du 12 mai dernier, également porter sur la détermination des catégories d’emplois menacés par les évolutions économiques ou technologiques. Ce texte instaure un traitement fiscal et social favorable aux indemnités versées aux salariés en partance.

Les salariés des grandes entreprises ont pris l’habitude d’être maternés. Ils se font une “image épouvantable du marché du travail. Il s’agit de les inciter à réfléchir à leur évolution de carrière”, note Entreprise & Personnel

Thierry Rieutord, le DRH France de Thales, compte saisir cette opportunité. « Parmi nos 68 000 salariés, 10 000 travaillent dans les métiers du logiciel en France. Or l’évolution du contenu des missions est telle que 2 000 d’entre eux pourraient se retrouver en difficulté dans quatre ans. » Pour éviter un PSE, l’entreprise a initié un plan de formation vers les métiers porteurs de la filière et un accompagnement. Des conventions tripartites pourront être signées avec des entreprises à la recherche de compétences situées dans ses bassins d’emploi. Des congés de mobilité seront aussi proposés aux salariés volontaires pour partir, avec l’assurance de pouvoir revenir si la reconversion est un échec.

Ces dispositifs innovants ne surprennent pas Xavier Lacoste, DG du cabinet Altedia. « La tendance est au renforcement du dialogue social et de la négociation en entreprise. En cas de restructuration, les entreprises ont deux possibilités. Elles peuvent utiliser leur accord de GPEC pour dynamiser les départs volontaires ou bien négocier l’accompagnement social d’un futur PSE. Mais, dans ce dernier cas, le plan social est de plus en plus souvent glissant : une fois passée l’information-consultation des représentants du personnel, l’entreprise fait appel au volontariat et se donne du temps. En espérant qu’un nombre suffisant de volontaires au départ règle le problème sans mener le PSE à son terme. »

Exemple type de cette nouvelle approche d’une restructuration, le plan de réduction de 4 850 emplois annoncé par PSA Peugeot Citroën en mai 2007. « Nous avons répondu aux obligations d’un plan social, explique Jean-Luc Vergne, le DRH. Nous avons présenté notre stratégie au comité d’entreprise et négocié avec les syndicats sur l’ampleur et l’utilisation des mesures sociales d’accompagnement. Mais nous avons choisi de mener ces adaptations sans recourir à un PSE avec licenciements ou préretraites. » Car le volontariat n’est pas sans avantage pour l’entreprise. Il lui évite d’obéir aux critères sociaux imposés par le Code du travail pour le choix des partants, lesquels sont largement fondés sur l’ancienneté. D’autre part, PSA a pu cibler ses efforts. Tous les métiers de la fabrication ou de la commercialisation, ainsi que les experts en électronique, qualité ou gestion de projet ont été exclus des mesures incitatives à la mobilité externe.

Des plans onéreux. Seul bémol, les départs volontaires coûtent cher. L’opération aurait coûté de 120 à 150 millions d’euros à PSA, soit un peu plus qu’un PSE. Mais la différence n’est pas significative pour le DRH, Jean-Luc Vergne, « surtout si l’on évite des débordements sociaux très pénalisants lorsqu’on est confronté à la concurrence internationale ». Preuve que le dispositif donne satisfaction, PSA vient de remettre le couvert, en annonçant un nouveau plan visant, cette fois-ci, un millier d’ouvriers et une centaine de techniciens.

Pour ce qui est de l’accompagnement, les outils classiques d’un PSE comme le comité paritaire de pilotage et la cellule « emploi-mobilité » avec consultants extérieurs dans chaque site ont été utilisés. Mais le groupe a innové en organisant des « rencontres pour l’emploi » sur ses sites, au cours desquelles les entreprises voisines étaient invitées à recruter les collaborateurs de Peugeot. « Nous avions la volonté de ne pas laisser les salariés seuls face à leur problème d’emploi. Et nous souhaitions éviter des mouvements sociaux. C’est pourquoi tous les syndicats, y compris la CGT qui n’a pas signé les accords, étaient associés aux mesures et pouvaient vérifier que nos engagements étaient tenus », affirme Jean-Luc Vergne. Début décembre, 5 090 départs, dont 3 740 dans le cadre d’un projet personnel et professionnel, étaient recensés. Le DRH notait avec satisfaction que les partants étaient plus âgés que la moyenne des salariés. Et que, chez les cadres, ils affichaient des performances et des perspectives de carrière inférieures à ceux qui sont restés.

La souplesse de gestion des sureffectifs dans le cadre de la GPEC est telle que la direction de France Télécom est passée outre l’opposition de ses partenaires sociaux. L’accord signé en 2005 a été dénoncé par la majorité des syndicats, mais la direction n’y a pas renoncé pour autant. « Le groupe est confronté à une concurrence accrue et à la nécessité de répondre aux besoins du marché. Nous devons développer de nouvelles compétences et faire évoluer nos savoir-faire en dynamisant la mobilité interne et externe », note Brigitte Dumont, directrice du management des compétences et de l’emploi. Un plan d’action sur trois ans baptisé ACT (pour anticipation et compétences pour la transformation) a l’ambition d’informer les salariés de l’évolution des métiers et d’apporter à chacun les moyens de construire son projet . Il comprend un programme destiné à accompagner les volontaires au départ vers le secteur privé ou la fonction publique – environ 70 % des 108 000 salariés français sont des fonctionnaires. Au 30 juin 2007, 12 300 salariés étaient partis volontairement.

« En réalité, de nombreux salariés sont victimes de pressions de la part de leur hiérarchie, affirme Verveine Angeli, déléguée syndicale SUD. Nous passons notre temps à défendre des fonctionnaires femmes qui n’ont le choix qu’entre la démission ou la mise en disponibilité pour pouvoir suivre leur conjoint. » À la DRH, on n’exclut pas quelques dérapages de managers, sans plus. Mais la syndicaliste pointe du doigt l’augmentation des démissions ou des licenciements pour faute grave, preuve, à ses yeux, d’une volonté d’atteindre les objectifs d’ACT, rebaptisé « allez, casse-toi ».

À IBM, Carrefour ou SFR, des syndicalistes s’inquiètent également des conséquences de cette nouvelle gestion au cas par cas des sureffectifs. Pour Xavier Lacoste, le patron d’Altedia, l’intérêt d’un dispositif de mobilité externe dépend fortement de la qualité du dialogue social. Mais aussi de la solidité et de la préparation des représentants syndicaux. Vu la faiblesse du tissu syndical français, l’affaire n’est pas gagnée.

Vive la rupture à l’amiable ?

Sacré pari pour les partenaires sociaux. En paraphant, à la mi-janvier, l’accord sur la modernisation du marché du travail, ils ont donné naissance à un nouveau mode de rupture du contrat de travail : la « rupture conventionnelle ». Une séparation à l’amiable, à mi-chemin entre la démission et le licenciement, susceptible de contenter employeur et salarié. Le premier y gagne une sécurisation juridique de la séparation, le second le versement d’une indemnité spécifique de rupture et le droit de bénéficier des allocations chômage.

Âprement défendu par Laurence Parisot, la patronne du Medef, ce divorce par consentement mutuel pourrait bien bousculer les habitudes. Du côté des DRH, on craint qu’il ne tarisse les démissions. Pourquoi les salariés accepteraient-ils, demain, de partir les poches vides, sans garde-fou, alors qu’ils peuvent prétendre à une rupture d’un commun accord, plus avantageuse ? Du côté des syndicalistes, l’inquiétude est aussi palpable. Mais pas pour les mêmes raisons. Les représentants des salariés craignent, eux, que la « rupture conventionnelle » ne facilite la tâche des employeurs désireux de se débarrasser, sans raison valable, de leurs employés.

En principe, la « liberté de consentement » des parties est garantie par l’accord. Le salarié peut ainsi se faire assister pendant la procédure et il dispose d’un délai de rétractation. Surtout, la convention est envoyée, pour contrôle, au directeur départemental du travail, qui « dispose à cet effet d’un délaipréfix de quinze jours calendaires à l’issue duquel son silence vaut homologation ».

C’est là que le bât blesse. On voit mal comment les directions départementales du travail (DDTEFP), déjà surchargées, trouveront le temps de vérifier le libre consentement des parties. Par ailleurs, l’accord ne dit rien des possibilités de contester, devant les tribunaux administratifs, les décisions des DDTEFP, alors même que leurs éventuels refus privent les salariés des droits à l’assurance chômage. En tout état de cause, rien n’interdira aux salariés de recourir au juge pour contester la réalité de leur consentement. De belles batailles juridiques en perspective…

Auteur

  • Éric Béal