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“Les entreprises familiales croient davantage à la notion de collectif”

Actu | Entretien | publié le : 01.02.2008 | Stéphane Béchaux

Cette enseignante à l’Insead vante la stratégie de long terme des entreprises patrimoniales. Moins focalisées sur la Bourse, elles traitent mieux leurs salariés.

La France compte-t-elle beaucoup d’entreprises familiales ? Oui, trois quarts des PME appartiennent à la catégorie des entreprises dites patrimoniales, dans lesquelles le fondateur et sa famille constituent l’actionnaire de référence. Cette forte présence se retrouve aussi dans les sociétés cotées. Plus de la moitié ont aujourd’hui comme premier actionnaire la famille du fondateur. PSA, L’Oréal, PPR, LVMH, Michelin, Bouygues, Bongrain, Bel… La liste est longue ! C’est d’ailleurs une spécificité que l’Hexagone partage avec l’Allemagne.

Faut-il y voir une force ou une faiblesse ?

Une force. Ces entreprises cumulent deux avantages. Elles disposent à la fois d’un actionnaire de référence et du regard extérieur des investisseurs boursiers. Résultat, leurs conseils d’administration et leurs équipes de direction développent des stratégies de long terme tout en respectant les standards des marchés. La rentabilité financière, oui. Mais pas à trois mois, le nez dans les résultats trimestriels. Les dérives de Vivendi, c’est l’illustration de ce qui, normalement, n’arrive pas. Même s’il ne faut pas verser dans l’angélisme.

Est-ce que ces entreprises sont mieux gouvernées ?

L’actionnariat y a un visage, et il s’engage. Les entreprises familiales résistent donc mieux aux coups durs, sans paniquer, sans mettre immédiatement les dirigeants dehors pour faire plaisir au marché. Cette stabilité constitue un avantage compétitif. Les dirigeants des laboratoires pharmaceutiques Roche, par exemple, considèrent qu’avoir une vision à long terme est bénéfique pour leur activité, dans laquelle la R & D ne donne pas de résultats immédiats. Finalement, plusieurs études montrent que les entreprises familiales sont plus performantes que les autres.

La gestion des hommes est-elle différente dans les entreprises familiales ?

Quand on gère une entreprise sur le long terme, on traite différemment les salariés. Il se crée entre la direction et le personnel un contrat tacite, fait de fidélité réciproque et de valeurs communes. Dès lors, on met moins facilement les gens à la porte. De même, l’actionnaire réfléchit à deux fois avant de vendre ou de fermer une usine dans le berceau familial depuis des générations. Cette dimension émotionnelle peut apporter un vrai plus. À condition de ne pas s’enliser dedans.

Offrent-elles de meilleures rémunérations ?

Pas pour les dirigeants. Plusieurs études concluent que leurs salaires sont plutôt inférieurs à ceux du marché. En règle générale, les écarts de rémunération entre le haut et le bas de l’échelle sont plus resserrés dans une entreprise familiale. On sombre moins dans la folie des grandeurs, dans la démesure. Parce ce qu’on croit davantage à la notion de collectif et que l’actionnaire gère… son propre patrimoine !

Y a-t-il un plafond de verre pour les salariés étrangers au cercle familial ?

Le patron mégalomane qui ne voit pas de limites à son pouvoir ne trouvera pas son compte dans une société familiale. Mais, sinon, on peut y faire carrière. De plus en plus de sociétés dissocient la présidence du conseil d’administration, occupée par quelqu’un de la famille, du poste de directeur général, qui peut être confié à un manager extérieur. Mais il n’y a pas de règle absolue. Certaines entreprises font le choix de n’employer personne de la famille, d’autres placent des membres de la famille dans tout l’organigramme. La difficulté, c’est de trouver le bon équilibre entre deux risques : l’absence totale, qui peut créer une trop grande distance entre la famille et l’entreprise, et l’omniprésence, qui peut aussi priver d’un enrichissement extérieur.

Comment peut-on limiter les risques de consanguinité ?

En instaurant des règles du jeu transparentes. Il faut à tout prix éviter qu’Untel soit aux responsabilités parce que c’est le « fils de ». Les compétences doivent primer. Celui qui a un niveau de vendeur doit être vendeur, pas directeur commercial. Et son supérieur hiérarchique doit l’évaluer en faisant abstraction de ses ascendants. À un plus haut niveau, c’est pareil. Un dirigeant de la famille doit être évalué par des gens extérieurs, par exemple les administrateurs indépendants. Le plus objectivement possible. C’est dans l’intérêt de tous. Du collectif de travail, qui réclame de l’équité, comme du fils du patron, qui a besoin de légitimer sa présence.

CHRISTINE BLONDEL

Directrice, à l’Insead, du Centre international Wendel pour l’entreprise familiale.

PARCOURS

Ex-dirigeante de Procter & Gamble, cette diplômée de l’X et de l’Insead coordonne depuis dix ans les activités de l’Insead dans le domaine de l’entreprise familiale. Elle vient de publier, avec Anne Dumas, L’entreprise familiale sauvera-t-elle le capitalisme ?, aux éditions Autrement.

Auteur

  • Stéphane Béchaux