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Vie des entreprises

Ces détectives qui filent les salariés

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.01.2008 | Stéphane Béchaux

Vols, arrêts maladie bidon, détournements de clientèle… Pour démasquer leurs salariés véreux, certains patrons font appel à des détectives privés. Des pratiques inavouées, aux franges de la légalité.

Foutu portable. Depuis trente minutes, celui de Rodolphe Desbois n’arrête pas de sonner. À l’autre bout, Guillaume, l’un de ses enquêteurs. « Mais vas-y, tu crains rien ! » s’énerve le fondateur du cabinet EDE, situé à Évreux. Dans quelques minutes, son limier doit entrer en contact avec un revendeur de café en poudre qui écoule sur le Web de la marchandise volée. Visiblement, il ne sent pas la mission. « On essaie de remonter la filière en passant pour des acheteurs. On sait qu’il y a un salarié de l’usine française qui pique dans les stocks », confie le patron détective. Rien que du très classique. Chez EDE comme dans les quelque 1 500 autres agences hexagonales de recherche privée, le « coulage » de marchandises représente une part importante de l’activité. Café, parfums, Caméscope, tensiomètres, matériel d’arrosage… Tout se fauche. Même la barbaque ! « Il y a quelques années, on a démantelé un circuit de distribution parallèle de viande. Les morceaux étaient volés dans un abattoir par un employé et finissaient dans les assiettes d’hôtels et de restaurants de la région », raconte Marie-Françoise Hollinger, directrice de l’agence Alma Détectives, sise à Mont-de-Marsan.

Suspicion de concurrence déloyale. Outre les chapardeurs, les tire-au-flanc et les traîtres alimentent largement le business des Vidocq du XXIe siècle. Plus d’un patron se résout ainsi à dépenser quelques centaines ou milliers d’euros – les tarifs pratiqués varient de 50 à 80 euros l’heure hors taxes – pour s’assurer que tel salarié, prétendument dépressif, ne profite pas de son arrêt maladie pour bosser au noir sur des chantiers. Ou vérifier que tel autre, haut placé, n’est pas de mèche avec le concurrent direct. « La majorité des affaires porte sur des suspicions de concurrence déloyale. Cela va du commercial qui ne respecte pas sa clause de non-concurrence au dirigeant sur le départ qui utilise le fichier des clients pour monter sa propre société », illustre Éric Quenet, directeur du cabinet parisien Faralicq. Autre cible de choix, les salariés protégés. « On a pris récemment en flagrant délit un syndicaliste en train de voler du carburant. L’employeur a pu le mettre dehors », raconte Jean-Christophe Aru, patron d’Investiga France, à Aix-en-Provence.

Histoires de fesses. Pour les agences, la clientèle des entreprises a désormais détrôné celle des particuliers. Fini les histoires de fesses. « On fait toujours de l’adultère. Mais ça n’est plus notre principal fonds de commerce, comme dans les années 70 », témoigne Martine Baret, quarante et un ans de métier, directrice du cabinet parisien Duluc. « Le cœur d’activité a basculé dans l’économique depuis une quinzaine d’années. Une agence ne peut plus fonctionner à l’ancienne, uniquement sur des constats d’adultère », approuve son confrère Jean-Christophe Schmitt, de France Investigation. À entendre les professionnels, impossible de dresser un portrait-robot de l’entreprise cliente. PME et multinationales taperaient indifféremment à leur porte, tous secteurs confondus. « On a de tout, du salon de coiffure à l’équipementier pour piscines », assure Florent Pedebas, détective à Villeneuve-sur-Lot. Des multiples témoignages, il ressort quand même quelques clients traditionnels : la distribution, alimentaire ou spécialisée, et l’industrie pharmaceutique.

Du côté des employeurs, c’est le silence radio. Aucun patron n’ose se vanter de faire suivre son personnel. Pas bon pour l’image, le climat social, ni les affaires. En droit social, les filatures sont, de surcroît, sévèrement encadrées. « Aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à [sa] connaissance », précise l’article L. 121-8 du Code du travail.

Difficultés supplémentaires, la surveillance doit respecter la vie privée du salarié, être justifiée par la « nature de la tâche à accomplir » et « proportionnée au but recherché ». De quoi retoquer, en cas de licenciement, l’écrasante majorité des affaires soumises aux juridictions sociales. « Aux prud’hommes, les dossiers sont rejetés à 99 %. Les détectives qui soutiennent le contraire sont malhonnêtes, car ils abusent les clients », insiste Jean-Christophe Schmitt. Et pourtant, la profession continue à entretenir le flou.

Autre option, porter plainte. Bon à jeter à la benne, le rapport du détective ? Pas du tout. L’employeur peut parfaitement s’en servir pour tenter d’obtenir du président de son tribunal de grande instance la désignation d’un huissier de justice. « Celui-ci pourra alors constater officiellement les agissements commis par le salarié indélicat », explique l’avocat Philippe Raymond, du cabinet parisien PRK, sur le site Web de l’agence Faralicq. Autre option, pour les infractions les plus graves, porter plainte. « Au pénal, la preuve est libre. Les juges n’ont pas du tout la même distanciation qu’en matière sociale, ils acceptent quasiment tous les modes de preuve », prévient l’ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, Philippe Waquet, père de la jurisprudence sur le sujet. Une partie de longue haleine, à quitte ou double. Si le fautif est finalement relaxé, toute la procédure s’écroule…

Au bout du compte, les contentieux devant les tribunaux s’avèrent nettement moins nombreux que les filatures concluantes. Pris la main dans le sac, le salarié fautif donne sa démission plus sûrement qu’il ne conteste la licéité de sa surveillance. Pour le plus grand soulagement de son employeur, généralement très satisfait de régler discrètement le problème. Mais attention ! Si des photos compromettantes peuvent pousser des salariés vers la sortie, elles peuvent aussi leur donner des idées. Comme à cet employé qui, dans le secteur de la finance, a poussé la porte du cabinet Duluc. « Il veut obtenir des preuves de la liaison extraconjugale de son patron pour faire pression sur lui », précise Martine Baret. Aux dernières nouvelles, la mission était toujours en cours…

Auteur

  • Stéphane Béchaux