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Politique sociale

La machine infernale du compte épargne temps

Politique sociale | publié le : 01.01.2008 | Valérie Devillechabrolle

Les compteurs explosent. La proposition de Nicolas Sarkozy de monétiser les jours de RTT va permettre aux entreprises de vider les cagnottes. Mais au risque de saper un peu plus les 35 heures.

En annonçant, fin novembre, la « monétisation des jours de RTT », au nom de son désormais fameux « travailler plus pour gagner plus », Nicolas Sarkozy va ouvrir une nouvelle brèche dans les comptes épargne temps (CET). Grâce à ce dispositif, créé par la loi Aubry II pour compenser la mise en place des 35 heures, les salariés du privé détenteurs d’un CET (estimé à 4 %, d’après une enquête réalisée en 2005 par l’Ifop pour le ministère du Travail) ont en effet pu se constituer un joli bas de laine en jours. Au point de donner quelques sueurs froides à leurs employeurs. À l’instar de Jean-Marc Arnould, DRH de la filiale Matériaux énergétiques de la Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE), qui a découvert avec stupeur qu’« à raison de vingt jours épargnés en moyenne par salarié depuis 2002 l’entreprise aurait dû augmenter ses effectifs de 7 % pendant un an si elle avait voulu liquider d’un seul coup le stock de jours accumulés en l’espace de seulement cinq ans ». La SNPE n’est toutefois pas seule à avoir frôlé la catastrophe. Car, « que ce soit pour assouplir les 35 heures ou offrir un outil de report des congés aux salariés confrontés au risque de perdre leurs jours de congé et de RTT non pris, nombre de sociétés ont mis en place un CET… mais sans en évaluer le coût futur », rappelle Nicolas Friederich, responsable du marché des entreprises d’AG2R.

Or, cinq ans plus tard, la machine s’emballe. Avec l’aide des gouvernements successifs qui n’ont eu de cesse, depuis 2003, de profiter des CET pour détricoter les 35 heures. Ainsi, en mars 2005, le plafond de jours susceptibles d’être épargnés a été littéralement crevé : il a été fixé au montant maximal des salaires garantis par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (environ 64 368 euros en 2007).

2,2 millions de jours à l’hôpital. Chez Hewlett-Packard, l’extension du CET négociée mi-2006 en contrepartie de la suppression, à terme, de huit jours de RTT, s’est immédiatement soldée par la mise de côté de quelque 17 000 jours dès la première année d’application de l’accord. La fonction publique n’est pas épargnée : pas moins de 2,2 millions de jours de RTT non pris, dont 1 million pour les seuls médecins, avaient été stockés à la fin 2005 dans la seule fonction publique hospitalière, selon le rapport réalisé par Dominique Acker pour le ministère de la Santé. Ce n’est guère mieux pour les quelque 100 000 fonctionnaires de l’État détenteurs d’un CET. Ils s’étaient, de leur côté, selon le rapport rendu public par la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), constitué une cagnotte de 2 millions de jours, à raison de vingt-deux jours en moyenne par agent. Un chiffre sans doute largement dépassé depuis, puisque, de l’avis du cabinet d’Éric Woerth, ministre des Comptes publics, « le nombre de détenteurs de CET s’accroît en moyenne de 15 à 20 % par an ».

Mais si les salariés, et en particulier les cadres, ont continué à jouer les écureuils – économisant de l’ordre de sept jours de RTT en moyenne par an, selon la dernière étude réalisée en juin par AG2R –, les entreprises ont, elles, vu dangereusement grossir leur passif social. Au grand dam des directeurs financiers et des commissaires aux comptes, impuissants à maîtriser l’évolution d’une provision laissée, en fait, à la discrétion des salariés. Si bien que nombre de sociétés cherchent à vider les compteurs de leurs salariés… En commençant par faire en sorte que « les jours de RTT soient pris et non thésaurisés », explique-t-on à la direction du groupe ArcelorMittal, qui a prévu d’ouvrir une négociation sur ce sujet l’an prochain. Jean-Marc Arnould, le DRH de Matériaux énergétiques a, lui aussi, décidé d’ouvrir une négociation dans l’intention claire « de redonner du sens au dispositif en en faisant un outil de gestion non plus sur le seul court terme, mais sur l’ensemble de la carrière et moyennant des solutions adaptées aux différents segments de la population : hommes/femmes ; cadres/non-cadres ; jeunes/seniors ». Quatre syndicats du groupe sur cinq ont signé un accord en ce sens le 21 novembre.

La SNPE veut créer un “CET carrière” permettant d’avancer d’un an son départ à la retraite

Vider la cagnotte. Si la prise de congés reste la façon la plus traditionnelle d’écluser les CET, les entreprises développent d’autres utilisations de cette épargne, comme la compensation d’un passage à temps partiel. Surtout, « le CET tend à devenir un outil d’anticipation des fins de carrière », reprend Nicolas Friederich, d’AG2R, avec près d’une entreprise concernée sur trois. Le groupe Brittany Ferries a signé un accord de ce type fin mai. Quant à l’accord SNPE, il prévoit la création d’un « CET carrière » bloqué permettant d’épargner jusqu’à deux cent deux jours, abondés à hauteur de 20 % par l’entreprise de façon à permettre aux salariés de partir un an plus tôt à la retraite.

Sans attendre les annonces de Nicolas Sarkozy, de plus en plus d’entreprises commencent à franchir le Rubicon en négociant une monétisation du CET. Le plus souvent en créant une passerelle pour alimenter un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite collective, ce qui serait déjà le cas de 37 % des entreprises interrogées par AG2R. « C’est une bonne idée car ce sont avant tout les cadres qui non seulement cumulent le plus de jours dans leur CET, mais qui ont aussi les perspectives de taux de remplacement les plus dégradées dans le régime par répartition », observe un responsable rémunération et protection sociale d’une entreprise de semi-conducteurs. Quant à Dominique de Calan, numéro deux de l’UIMM – l’une des rares branches à avoir conclu un accord en ce sens dès mars 2006 –, il souhaite rendre ces passerelles financièrement plus attractives, notamment par le biais d’une exonération de la taxe de 9 % à laquelle est assujettie la gestion des CET (voir encadré).

A contrario, peu d’entreprises ont jusque-là accepté une transformation des CET en rémunération immédiate. Par principe ou pour ne pas froisser les organisations syndicales, majoritairement hostiles à toute remise en cause des 35 heures. « Nos équipes ne l’acceptent jamais de gaieté de cœur et le plus souvent sous la pression des salariés », confirme François Honoré, secrétaire général adjoint de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT. Une réticence que ne partage pas Yolande Briand, secrétaire générale de la Fédération CFDT santé-sociaux : « Ce n’est pas à nous de décider et encore moins de juger de la façon dont les salariés souhaitent utiliser leur CET. »

Du côté des salariés, en revanche, cette monétisation est plébiscitée, avec près de trois quarts d’avis positifs (enquête Ifop pour le ministère du Travail). Chez Hewlett-Packard, « 92 % des salariés, consultés par référendum, s’étaient prononcés en 2006 en faveur de l’accord d’aménagement du temps de travail autorisant notamment cette monétisation immédiate du CET », rappelle Jean-Paul Vouiller, délégué syndical CFTC de H-P et l’un des quatre signataires de cet accord. Une souplesse d’ailleurs utilisée, dès la première année, par 19 % des cadres et 28 % des non-cadres.

Nicolas Sarkozy espère bien faire mouche aussi dans la fonction publique, où Éric Woerth a proposé de monétiser dès décembre quatre jours de RTT à raison de 125 euros par jour pour un agent de catégorie A, de 80 euros pour un agent de catégorie B et de 65 euros pour un agent de catégorie C. « Des sommes sans commune mesure avec la hausse de 2 euros que représente une augmentation de 0,1 point d’indice pour un agent de catégorie B », plaide-t-on dans son cabinet. Reste l’hôpital, où cette conversion immédiate des CET risque de se heurter à une difficulté objective dans la mesure où les jours épargnés sont loin d’avoir tous été provisionnés. Il manquerait, selon le rapport Acker, entre 300 et 370 millions d’euros par rapport aux engagements constitués, estimés à 534 millions d’euros. Reste aussi la question de l’avenir du CET. Avec la loi Tepa, la LFSS et bientôt la loi sur le pouvoir d’achat, il n’est plus nécessaire d’en passer par un CET pour troquer des heures contre des euros.

L’externalisation des CET

Pour se débarrasser de leurs engagements liés aux CET, les entreprises peuvent en confier la gestion à un organisme extérieur. Une solution qui, selon Nicolas Friederich, responsable du marché des entreprises à AG2R, présente l’avantage de « permettre d’en optimiser la gestion financière » mais qui se heurte à son coût puisque ces contrats sont aujourd’hui soumis à la taxe sur les contrats d’assurance de 9 %. Soucieuse de minorer les coûts mais en même temps farouche partisane des CET, l’UIMM a donc décidé d’offrir à ses adhérents, à compter du 31 janvier prochain, la possibilité « de confier la gestion administrative de leur CET à un organisme extérieur, choisi paritairement et moyennant un coût assez faible pour l’entreprise puisque mutualisé », précise Dominique de Calan.

Mais le délégué général adjoint de l’UIMM compte aller plus loin en ouvrant, d’ici à la fin de l’année, la possibilité de confier la gestion financière, cette fois, de leurs CET, à un organisme extérieur, également choisi paritairement. « Ce qui permettrait à ces PME, ajoute-t-il, de percevoir une rémunération supérieure à celle qu’elles auraient obtenue en concluant un contrat individuel. »

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle