Sa révolte n’a pas faibli. Trois ans après avoir raconté le combat d’ouvriers opposés à la fermeture de leur usine, dans les Vivants et les Morts, le romancier et cinéaste Gérard Mordillat nous offre un autre magnifique opus narrant la lutte de cols bleus. Mais, cette fois, Gary et les membres de l’atelier de recherches mécaniques ne se battent plus pour la survie de leur société de pointe : Mondial Laser a déjà été vendu en Inde par FII, un fonds spéculatif, et ses 600 salariés ont été licenciés. Une fermeture de trop… Pour rendre visible l’absurdité d’un monde où le profit a pris le pas sur l’industriel, les Mondial Laser détournent le navire où les actionnaires de FII, de toutes nationalités, fêtent leur bénéfice annuel record de 47,3 % et mettent le cap au nord, vers les terribles tempêtes d’hiver !

Avec cet inédit terrorisme ouvrier en haute mer, Gérard Mordillat bouscule le registre des luttes sociales. Et se sert de cette situation extrême pour « redonner une histoire, un visage, un sexe aux ouvriers oubliés des médias ». Il y réussit à merveille dans Notre part des ténébres, épopée foisonnante où les cols bleus sont aussi lettrés et fins connaisseurs de William Shakespeare que dignes. Vous l’avez compris, il y a de l’amour, du sexe, tout autant que de la critique sociale. Gérard Mordillat n’éreinte pas seulement les excès du libéralisme, mais aussi le comportement des chaînes de TV qui façonnent la réalité à leur main, et les luttes de pouvoir contreproductives dans des cabinets ministériels bien démunis face à la situation. En clair, le texte est aussi tumultueux que le roman est haletant, et puissant le feu d’artifice final.

Notre part des ténèbres, Gérard Mordillat. Éd. Calmann-Lévy. 488 pages, 21,90 euros.