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Enquête

Le séisme UIMM

Enquête | publié le : 01.01.2008 | Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet

La découverte des pratiques occultes de l’UIMM provoque un séisme dans le paysage social. Laurence Parisot doit rénover le Medef, mais ne peut se passer de l’UIMM, sa poutre maîtresse sur le social.

Tremblement de terre dans le mouvement patronal. Depuis trois mois, ses dirigeants suivent avec effroi les développements de « l’affaire UIMM », qui touche la plus puissante de leur fédération, celle de la métallurgie. Un État dans l’État qui, depuis soixante ans, donne le la au patronat sur les questions économiques et sociales. « Tout est affaire de gros sous. L’UIMM est toute-puissante car elle fait les fins de mois. Or qui paie commande », explique Jean-Louis Giral, ex-président de la commission sociale du CNPF, l’ancien Medef. Avec ses 617 millions d’euros, le bas de laine de la métallurgie pourrait faire vivre le Medef jusqu’en… 2025 ! De quoi peser sur les orientations.

Touchée-coulée, l’UIMM ? « Certainement pas. C’est une remarquable organisation, qui a les moyens de rebondir », répond l’ancien président du CNPF, Yvon Gattaz. Dans les soutes du paquebot UIMM, on écope. Sitôt l’organisation mise en cause, en octobre, avec la révélation de mouvements de fonds en liquide, un plan de sauvetage est lancé, à grand renfort de consultants d’Euro RSCG. Objectif : définir une stratégie de sortie de crise. Des élections à la présidence ont été annoncées pour la fin décembre, histoire de trouver un remplaçant à Denis Gautier-Sauvagnac, qui part à la retraite cette année. Et si, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le vote n’a pas encore eu lieu, en interne les luttes ont été chaudes. Car la vieille garde ne désarme pas. « DGS » s’accroche à son siège de délégué général, et Dominique de Calan à celui de numéro deux. Ce qui en agace plus d’un. « De Calan est toujours présent dans les réunions sur la modernisation du marché du travail. Avec la même arrogance et le même aplomb ! » déplore un membre de la délégation patronale. Même incompréhension des syndicats, qui vivent ce maintien comme une provocation. « C’est lamentable. Chez nous, ils ne seraient pas restés en place quarante-huit heures », juge Dominique Gillier, patron des métallos cédétistes. Histoire de pousser le duo vers la sortie, les fédérations CGT et CFDT de la branche ont d’ailleurs prévenu : elles ne négocieront plus tant que le ménage ne sera pas fait. Une attitude ignorée des trois autres centrales, qui ont signé mi-décembre un nouvel accord sur les minima des ingénieurs et cadres.

Arrogance et provocation. Au sein de l’UIMM, les partisans d’un changement a minima restent nombreux. Ils se recrutent essentiellement parmi les « anciens » – Daniel Dewavrin, Arnaud Leenhardt… – et les patrons de PME, qui pèsent lourd dans l’appareil. En face, les « modernes » viennent plutôt des grandes entreprises. Dans les états-majors d’Arcelor, Areva, Thales, Schneider Electric, IBM, PSA ou Philips, les critiques sont violentes. « Cette affaire m’inspire du dégoût. Bien que gros contributeurs de l’UIMM, nous n’étions pas au courant. L’argument qui consiste à dire que ce n’est pas illégal, et que c’est historique, est totalement inadmissible », assène un DRH. « Cette affaire est lamentable. Elle est catastrophique pour l’image des entreprises, au-delà de l’UIMM. Nous, les entreprises cotisantes, sommes coupables, car nous avons manqué de vigilance sur la gouvernance », abonde un de ses confrères. « Cela relève plus d’un fonctionnement mafieux que de celui de gens responsables », conclut un troisième. Voilà quelques semaines, certains d’entre eux envisageaient de prendre position publiquement pour réclamer de nouvelles pratiques. Le projet n’a pas vu le jour.

Ne pas accabler l’UIMM. Avenue Bosquet, Laurence Parisot marche sur des œufs. La présidente du Medef, qui a toujours eu des relations tendues avec Denis Gautier-Sauvagnac, s’est d’abord murée dans le silence. Avant de marteler sa différence à qui voulait l’entendre : « L’UIMM n’est qu’une fédération adhérente parmi d’autres, rien de plus. Le Medef, c’est autre chose. » Des propos qui prêtent à sourire dans le Landerneau. Car, bien qu’élue sans les voix de la métallurgie, en juillet 2005, Laurence Parisot ne peut se permettre d’accabler l’UIMM, ni de couper les ponts avec son premier contributeur. « Son joli siège, avenue Bosquet, n’aurait pas vu le jour sans la métallurgie, qui a apporté les quelques millions d’euros qui manquaient », rappelle à propos un membre du patronat de la métallurgie.

Mais c’est surtout de l’expertise sociale et juridique des anciens maîtres de forges que le Medef ne peut se passer. « Regardez le mal que l’on a à trouver des négociateurs. Les patrons de boîte n’ont ni le temps ni l’envie de se cogner des réunions à n’en plus finir ! » observe un patron de fédération. « Auparavant, on avait des pointures en matière de protection sociale et de droit du travail. Mais ces cadors n’ont pas été remplacés lors de leur départ à la retraite. Résultat, les chefs de file des négos doivent faire tout le boulot », constate un directeur de l’Avenue Bosquet. Cathy Kopp, la DRH d’Accor, a pu s’en rendre compte. Mal outillée pour reprendre, au pied levé, le leadership des discussions sur la réforme du marché du travail, elle a dû faire appel à l’avocat Jacques Barthélémy, un proche, qui lui pond des notes.

Les faiblesses patronales sont confirmées dans les hautes sphères gouvernementales. « Hormis la Direction générale du travail, personne en France ne peut rivaliser avec l’expertise de l’UIMM », explique un proche de Xavier Bertrand. « Dans les négociations sur la pénibilité, seule la métallurgie était capable de produire un dossier de bon calibre, confie-t-il. Il a fallu convoquer l’Igas pour relancer la machine… » Autre exemple : les conditions de travail. « Là encore, la seule base de travail pour évaluer le stress et les risques psychosociaux venait de l’Avenue de Wagram. » Ce qui a conduit le ministre du Travail à confier une mission à un prestataire extérieur, le cabinet Stimulus.

Une faiblesse abyssale. Côté syndical, le vide laissé par Denis Gautier-Sauvagnac inquiète autant qu’il réjouit. « DGS avait certes une vision archaïque des rapports sociaux. Mais il avait aussi de grandes compétences. Et, comme le Medef n’a pas préparé sa succession, on ne sait pas sur quoi cette crise va déboucher », explique-t-on dans l’entourage de François Chérèque. « On est tous sur la réserve. Gautier-Sauvagnac bloquait tout, mais, sur le social, il était le seul à maîtriser les dossiers. Parisot, elle, est d’une faiblesse abyssale. Son truc, c’est la communication et le sociétal », abonde-t-on à la CGT. « On peut leur reprocher ce qu’on veut, mais ils bossent. Ils arrivent avec une bonne connaissance des dossiers et une stratégie », confirme Bernard Devy, le Monsieur Retraites de la CGT-FO. Au dire de ses interlocuteurs, Dominique de Calan connaît la formation professionnelle et l’Agirc sur le bout du doigt, quand Jean-René Buisson, ex-DRH de Danone, tâtonne encore à l’Arrco. « Il est noyé dans les dossiers. À sa décharge, il manque de bras, d’équipes autour de lui », assure un connaisseur de la machine patronale. L’homme avait, un temps, été pressenti pour devenir le nouveau DGS de Laurence Parisot.

Un lobbying d’enfer. Impossible, en l’état, d’imaginer une mise à l’écart durable de l’UIMM. « Ne serait-ce que parce que les métallos siègent dans toutes les instances et que cette crise a plus que jamais renforcé l’esprit de corps », observe un négociateur patronal. Le renouvellement de l’Agirc, ce mois-ci, en fournit un bon exemple. Vice-président de l’organisme, Dominique de Calan s’est démené pour en prendre la tête, laissée vacante par le métallo CGC Jean-Louis Walter. « L’UIMM fait un lobbying d’enfer pour garder tous les postes. Et on sent bien que l’étiquette “métallo” prime sur le seul clivage syndicats-patronat », assure un syndicaliste. Car l’ex-patron des métallos CFE-CGC, Bernard Van Craeynest, désormais à la tête de sa confédération, brigue aussi la vice-présidence. Pas simple, dans ces conditions, pour les partisans de Bernard Lemée, l’ex-DRH de BNP Paribas, d’imposer leur poulain à la tête de l’Agirc…

Impossible d’imaginer une mise à l’écart durable de l’UIMM. “Les métallos siègent dans toutes les instances et cette crise a plus que jamais renforcé l’esprit de corps”, note un patron

Cette omniprésence se retrouve à tous les niveaux. À l’échelon local, les dirigeants métallos noyautent la plupart des Assedic, des caisses d’assurance maladie, des conseils économiques et sociaux régionaux, des conseils de prud’hommes… « Il faut reconnaître à l’UIMM le mérite de s’être toujours beaucoup impliquée. Et de représenter un patronat qui a sans cesse considéré que le dialogue social n’était pas du temps perdu », souligne l’ancien ministre délégué à l’Emploi Gérard Larcher. Nombre de dirigeants du Medef sont d’ailleurs issus de l’UIMM et endossent la double casquette. Ainsi, près d’un tiers des 87 chambres syndicales territoriales de la métallurgie hébergent des unions patronales locales. « Ils sont nombreux à jongler avec plusieurs papiers à en-tête. Un pour le Medef, un pour la chambre syndicale, voire même un pour la CGPME », s’amuse un connaisseur.

L’imbrication de l’Union de la métallurgie dans l’édifice patronal complique sérieusement la tâche de Laurence Parisot. « Nous, Medef territoriaux, n’avons pas intérêt à ce que les deux entités soient aussi séparées qu’elle le voudrait. Cela reviendrait à scier la branche sur laquelle nous vivons ! » assure le délégué général d’un Medef du sud de la France. Afin de lancer la réflexion, la patronne des patrons a pourtant pris soin de réunir ses troupes, en décembre, autour d’un grand projet : le patronat du XXIe siècle. « Mon job, c’est d’emmener le patronat vers une modernité plus évidente, plus claire. J’aspire à un patronat qui fonctionne comme une véritable entreprise », explique-t-elle. Et d’espérer que l’UIMM se lance aussi dans une rénovation d’envergure.

« Son discours a toujours été intégrateur. Elle est LA personne capable de faire la synthèse sociétale dont le patronat a besoin pour se relever de ses soubresauts », assure Jean-Luc Placet, président du Syntec Conseil en management. Un fidèle de la première heure, que Laurence Parisot a envoyé en éclaireur pour défricher le délicat dossier de la représentativité syndicale. Pour que la rénovation aboutisse, encore faut-il que d’autres organisations patronales montent en puissance. « Jusqu’à présent, toutes les fédérations se reposaient sur la métallurgie. Il y avait une déresponsabilisation collective. Aujourd’hui, elles sont plus à même d’apporter leur contribution », note un proche de Cathy Kopp. Face à l’affaiblissement de l’UIMM, certaines fédérations du tertiaire tentent de s’engouffrer dans la brèche. « C’est un moment qui offre de vraies opportunités », admet Jérôme Bédier, à la tête de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Des ambitions que nourrit aussi celle du travail temporaire. Côté syndical, on observe les joutes avec intérêt. « Le Syntec, le BTP, la banque et les assurances vont forcément en tirer quelques avantages. Mais ça ne va pas être simple, car l’UIMM concentrait tous les pouvoirs », affirme Bernard Van Craeynest. « Face à l’UIMM, les fédérations les plus structurées, comme les banques, les assurances ou les industries alimentaires, sont encore très artisanales », renchérit l’ex-cégétiste Jean-Dominique Simonpoli, directeur de l’association Dialogues.

Avenue de Wagram, on ne s’avoue pas vaincu. « Le bâtiment ou les travaux publics vont prendre plus d’espace. Mais, comme leurs intérêts sont très liés à ceux de la métallurgie, ils n’auront pas les coudées franches. Qui vous dit qu’on n’agira pas en sous-marins ? » confie, non sans provocation, un dirigeant métallo. Bref, les partisans d’un aggiornamento patronal n’ont pas encore gagné la partie.

L’UIMM, premier contributeur du budget du Medef

Sur les 34 millions d’euros de budget de l’organisation patronale, en 2006, 19 millions proviennent des fédérations. La métallurgie débourse à elle seule 2,4 millions d’euros. Suivent les banques (1,7 million) et le bâtiment (1,2 million).

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet