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Le second marché du recrutement

Dossier | publié le : 01.01.2008 | S. D.

Joli coup de com pour les entreprises : les salons, forums et autres agences de recrutement fleurissent dans le monde de Second Life. Avantage : des frais réduits et des contacts rapides. Mais les résultats restent difficiles à évaluer.

Qui aurait cru qu’Alexandre Jacques, chef de projet RH aux Caisses d’épargne, se collerait des ailes noires dans le dos et chausserait des tongs pour rencontrer des candidats ? Son avatar s’est autorisé ces excentricités vestimentaires lors d’un salon virtuel du recrutement sur Second life, cet univers en trois dimensions qui compte environ 6 millions d’adeptes. Organisé par TMPNeo en novembre dernier dans le cadre de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, l’événement a permis à Air France, à Axa, au Groupe Caisse d’épargne et à L’Oréal de « chatter » en direct avec environ 1 200 avatars candidats. De plus en plus de grandes entreprises en mal de postulants appâtent le chaland dans ce monde que n’aurait pas dénié George Orwell. En juin dernier, Accenture, Alstom, Areva, Capgemini, L’Oréal et Unilog exploraient pour la première fois en France ce nouveau canal de recrutement. Depuis, Expectra, filiale de Vedior qui recrute essentiellement dans l’informatique, l’ingénierie, la gestion et le management, a aussi inauguré une agence virtuelle pratiquement plus accueillante qu’une vraie, ouverte 7 jours sur 7, de 13 heures à 22 heures en semaine. Derrière leur ordinateur, huit employés embauchés pour l’occasion consacrent une partie de leur temps à renseigner gentiment 6 000 avatars parfois malhabiles. Le 29 novembre dernier, une frégate de la Marine nationale qui prévoit d’embaucher 3 800 militaires a même fait escale sur Second Life pour discuter de ses métiers et des perspectives de carrière. Un joli coup de communication pour ces entreprises qui ne savent plus quoi inventer pour se démarquer des concurrents et attirer les jeunes talents, parfois hors des frontières nationales. « Sur un marché tendu où les candidats sont sollicités, Second Life nous permet de rencontrer des jeunes sans qu’ils aient à se déplacer », explique Caroline Rigaud, directrice du recrutement chez Accenture. Réputé dans le secteur du conseil en management, le cabinet en profite pour faire savoir qu’il embauche aussi des architectes en systèmes d’information, des chefs de projet ERP, etc.

Une éolienne dans un salon de recrutement. Même constat pour Cornelia den Hartog, directrice de Gax Technologies, spécialiste des high-tech, qui organisait le premier salon virtuel du grand duché en novembre dernier. « Au Luxembourg, 3 000 postes en moyenne restent non pourvus en finance. Nous pouvons réunir un maximum de candidats avec Second Life, sans payer de frais de déplacement et sans perdre de temps. » L’occasion de cultiver leur côté branché et innovant tout en évoquant, comme lors d’un forum traditionnel, le contenu de leurs métiers, les profils recherchés, les opportunités de carrière, etc. « Axa se veut un assureur de la vie quotidienne, considère Roger Alcouffe, consultant en RH chez Axa. Il en va de notre image de nous imprégner des courants sociétaux. » Pour Alexandre Jacques, « ces entretiens virtuels sont l’occasion de repérer quelques bons CV. Dans le secteur bancaire, le rapport de force va évoluer en faveur des jeunes diplômés. L’entreprise doit diffuser ses valeurs et montrer sa capacité d’innovation ». D’ailleurs, pour soigner son image écolo, l’Écureuil avait même équipé son salon d’une éolienne !

Concrètement, les candidats intéressés s’inscrivent en ligne et envoient leur CV avant de discuter en direct le jour J avec les entreprises. Dissimulés derrière leurs avatars, errant dans un univers a priori ludique, candidats et recruteurs s’avèrent finalement respectueux du formalisme et prennent ces échanges très au sérieux. « Les candidats cherchent sérieusement du travail, estime Alexandre Jacques. Ils restent très courtois, conservent le vouvoiement, utilisent très peu le langage SMS. » Au mieux, ce monde virtuel contribue à suspendre temporairement les discriminations et les apparences fâcheuses. « Tous les stéréotypes liés à l’apparence, à la tenue vestimentaire tombent, les deux interlocuteurs s’intéressent directement au fond », argumente Yann Auffray, directeur du pôle événementiel de TMPNeo. Ancien recruteur chez L’Oréal en juin dernier, ce jeune apôtre de Second Life se souvient d’un candidat aux « questions incisives, qui souhaitait absolument savoir si L’Oréal se livrait encore à des tests sur les animaux. Une pugnacité qu’il n’aurait pas osé avoir dans un entretien réel ». Roger Alcouffe nuance cet enthousiasme. « Même si l’outil est interactif, l’échange manque de spontanéité. Il manque la gestuelle, l’expression orale qui peuvent apporter des éléments d’évaluation. » Du reste, toutes les entreprises rencontrées considèrent ces mises en jambes comme une première étape dans une procédure de recrutement qui demeure inchangée. Et, comme dans la vraie vie, les recruteurs sur Second Life restent attachés aux diplômes et s’intéressent essentiellement aux jeunes diplômés bac + 4 minimum.

Sur Second Life, l’immobilier n’a pas flambé. Quant au retour sur investissement, il reste pour l’instant difficile à évaluer. « Nous avons reçu de 450 à 500 candidatures, trois fois plus que sur les traditionnels sites pour l’emploi, mesure Caroline Rigaud, chez Accenture. Sur les 60 ou 70 entretiens menés dans la réalité, une quinzaine ont débouché sur un recrutement, et autant sont dans les tuyaux. » De son côté, Elsa Bourgeois, directrice marketing et recrutement chez Expectra, y voit « un accélérateur de contact qui permet de raccourcir les délais ». Sans compter que l’immobilier n’a pas encore flambé sur Second Life et que l’ouverture d’une agence y est bien moins coûteuse qu’à Paris.

Pour Bruno Dumas, directeur du recrutement chez Capgemini France, « les résultats ne sont pas forcément délirants par rapport au tapage médiatique, d’autant que l’outil risque de perdre rapidement son côté novateur. Sur 111 personnes reçues en entretien, une quinzaine demeurent dans les circuits de recrutement, 4 ont déjà été embauchées. Les candidats ne vont pas perdre leur temps à surfer sur Second Life pour des postes en pénurie. À la limite, un entretien par téléphone est plus direct et plus rapide. L’avenir dira si l’engouement pour la plate-forme virtuelle dépasse le simple effet de mode.

SPONTANÉITÉ LIMITÉE

Le plus technophobe des internautes peut assez facilement se créer un avatar. Reste ensuite à se fondre dans cet univers a priori ludique. Le candidat, protégé derrière l’apparence de son avatar, pose toutes les questions qu’il veut. Mais les chats, sous forme de MSN, manquent de spontanéité et restent relativement formels.

CADRE AVANTAGEUX

Sofa blanc apparemment luxueux, tapis moelleux, plantes vertes luxuriantes et cadre lumineux… Dans Second Life, l’agence virtuelle d’Expectra ouverte depuis juin dernier, 7 jours sur 7, est plus cosy qu’une vraie.

EFFICACITÉ À PROUVER

Expectra Hax, le responsable de l’agence, a déjà renseigné plus de 6 000 internautes. Mais seulement un peu plus de 300 ont finalement rempli un mini-CV transmis à un vrai recruteur. Pour appâter le chaland, rien ne vaut encore la proximité d’une agence de quartier.

Auteur

  • S. D.