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“En France, il n’y a pas de volonté publique d’aider à sortir de la rue”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2008 | Anne Fairise

Ce sociologue dénonce une politique qui se limite à la gestion de flux en centres d’hébergement et fait l’impasse sur une interrogation des logiques d’exclusion.

La Fédération nationale d’accueil et de réinsertion sociale, qui gère 90 % des centres d’hébergement, vous a demandé d’étudier le « coût social du “sans-abrisme” ». Quel est l’état des connaissances en France ?

Contrairement aux pays anglo-saxons, la France n’a mené aucune étude sur ce sujet, qui permettrait pourtant de renouveler et d’optimiser les modes d’intervention publique envers les sans-abri. Car la prévention serait moins onéreuse que le statu quo actuel. Mais cette approche dérange. Poser la question du coût social généré par la vie à la rue, c’est d’abord reconnaître que l’État français a mis en place une politique a minima en direction des sans-abri. Elle se limite à la gestion de flux, la nuit, entre les centres d’hébergement d’urgence (CHU) gérés par les associations, dans des bâtiments non remis aux normes, pour la plupart. En passant des conventions annuelles, donc non pérennes, avec les gestionnaires de CHU, l’État a d’emblée décidé de consacrer peu d’argent au sujet.

Pourtant, cette politique est de plus en plus onéreuse…

Dans la région parisienne, où se trouve la majorité des sans-abri, le budget de la DDASS consacré à l’hébergement d’urgence a été multiplié par dix depuis les années 90, pour atteindre quelque 100 millions d’euros. Cette évolution a été concomitante de l’absence de création de résidences sociales. Complètement « embolisées » aujourd’hui, elles ne peuvent accueillir les sortants des CHU. Cette hausse du budget traduit aussi la forte augmentation du nombre de sans-abri, estimé entre 100 000 et 300 000. La France est restée sur un principe solidaire. Il faut en sortir et penser une vraie politique, avec un coût structurel. Cela suppose de réinterroger les politiques d’insertion. Mais il n’y a pas de volonté publique d’aider à sortir de la rue. Le chercheur Daniel Terrolle parle de réinsertion par la mort. L’espérance de vie à la rue, c’est 42 ans, deux fois moins que la moyenne nationale.

Le plan d’action renforcé en direction des sans-abri (Parsa), mis en place en janvier, après le mouvement des Don Quichotte, ne marque-t-il pas une rupture ?

Ce mouvement a révélé les conditions de survie très précaires proposées dans les CHU et permis de faire accepter le refus des sans-abri d’aller d’un centre à un autre. Le Parsa entérine le principe de la stabilisation, avec la non-remise à la rue des sans-abri hébergés en CHU. C’est un tournant majeur des politiques sociales. Il faut maintenant en mesurer l’impact sur le terrain. À ma connaissance, c’est une catastrophe. Beaucoup d’acteurs de l’urgence ne savent que gérer le flux et ignorent le travail d’insertion. Il faudrait, surtout, penser la politique d’urgence hors des grands dortoirs.

Qu’apporterait une étude sur les coûts humains et sociaux de la vie à la rue ?

Elle montrerait que la politique a minima à l’égard des sans-abri génère des coûts aberrants. Comme celui des multiples structures d’accueil, non coordonnées, dont l’usage des budgets est très mal évalué. Cette étude mettrait aussi au jour les multiples « trous » dans l’accompagnement social « urgentiste », faute de moyens. Quelle logique y a-t-il à hospitaliser un sans-abri s’il se retrouve ensuite à la rue, comme dans 95 % des cas ? Pour être pertinente, une telle étude ne doit pas se borner au « marché de la pauvreté » ou à la « surconsommation » de services publics par les sans-abri.

Pourquoi ?

Il ne faut pas se limiter aux effets, mais interroger la cause. Les sans-abri sont des exclus du logement social. En posant le sujet de la sorte, on le relie aux politiques sociales, au rôle des bailleurs sociaux, etc. Il devient alors possible d’agir en amont de la situation de sans-abri.

Que proposez-vous ?

D’abord, des études pour comprendre les processus de désaffiliation. Suivre 5 000 chômeurs de longue durée sur quatre ans permettrait de voir lesquels deviennent sans-abri et de comprendre les logiques de décrochage depuis la perte d’un emploi. Il faudrait faire la même chose depuis l’expulsion d’un logement ou la sortie d’institutions offrant une prise en charge totale, comme la prison, l’armée, l’aide sociale à l’enfance – 30 % des jeunes à la rue, en moyenne, sortent de la DDASS. Il serait judicieux aussi de conduire des études sur le suivi social offert aux sans-abri par les associations caritatives et le secteur public. Cela permettrait d’évaluer leur travail.

PATRICK BRUNETEAUX

Chercheur en sociologie politique au CNRS, spécialiste des politiques d’urgence envers les SDF et de la vie à la rue.

PARCOURS

Membre du Centre de recherches politiques de la Sorbonne depuis 1996, il a écrit, avec Corinne Lanzarini, les Nouvelles Figures du sous-prolétariat (L’Harmattan, 1999) et participé, récemment, à un rapport sur l’exclusion en Martinique. Il prépare pour 2008 l’« ethnobiographie d’un sans-abri » qu’il suit depuis sept ans.

Auteur

  • Anne Fairise