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Politique sociale

Comment Charpy prépare l’ANPE à la fusion avec l’Unedic

Politique sociale | Méthode | publié le : 01.12.2007 | Fanny Guinochet

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Crédit photo Fanny Guinochet

Pour que le service unique de l’emploi cher à Sarkozy voie le jour vite et sans heurt, Christian Charpy devra faire preuve de diplomatie. Rassurer les salariés, composer avec les syndicats, élaborer le nouveau statut des agents… Un défi de taille.

Christian Charpy, le patron de l’ANPE, joue gros. Plus que la célébration des 40 ans de l’agence, créée en juillet 1967, c’est la fusion de l’établissement public avec l’Unedic qui l’accapare. Et pour cause, le président de la République en a fait une ardente priorité : « Ce que je veux, c’est un service de l’emploi intégré. Ça fait vingt ans qu’on en parle, droite et gauche confondues, ça fait vingt ans que les chômeurs font le parcours du combattant. Il faut maintenant passer la vitesse supérieure », assène Nicolas Sarkozy. Pour réaliser l’opération rapidement, l’Élysée a mis aux manettes Christine Lagarde, la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi. En octobre, elle a jeté les bases d’une nouvelle organisation et fixé un calendrier ultravolontariste : l’architecture de la nouvelle entité – que les connaisseurs baptisent déjà France Emploi – sera précisée ce mois-ci, un projet de loi suivra avant Noël, pour une adoption définitive début 2008.

Dans ce grand chambardement, Christian Charpy, qui, très tôt, avait plaidé pour « une véritable offre intégrée », avance à pas mesurés. Entre un personnel inquiet, des syndicats sur le qui-vive et un gouvernement pressé, il lui faut habilement naviguer, en rassurant en interne tout en donnant des gages à l’extérieur. Ses années passées comme conseiller social de Jean-Pierre Raffarin ont rompu ce haut fonctionnaire à la négociation. Envoyé à Matignon par Philippe Bas, alors secrétaire général de l’Élysée, Christian Charpy s’était plutôt bien sorti du dossier épineux de l’assurance maladie. Deux ans et demi après sa nomination, le voilà au cœur d’une véritable refondation de l’ANPE. Sans être certain d’être le pilote du futur ensemble.

1-Rassurer les troupes. Arrivé en avril 2005 à l’ANPE, Christian Charpy a eu le temps de s’imprégner de la culture de cet organisme très attaché au service public. Le CV de cet énarque, conseiller maître à la Cour des comptes, tranche avec celui de ses prédécesseurs, les deux Michel – Bon et Bernard –, tous deux issus de l’entreprise. « Il a piloté de grandes maisons publiques, comme Radio France internationale ou l’Établissement français du sang. Ce n’est pas un libéral à tous crins », note Jaqueline Lablanche, responsable de la cellule encadrement du Snap CFTC. « Pour désigner les demandeurs d’emploi, Charpy parle d’usagers et non plus de clients, confirme Joseph Romand, du bureau national du SNU, le très revendicatif syndicat majoritaire de l’ANPE. Il se situe dans une tradition gaulliste, qui défend un service équitable pour tous. » La position du directeur général sur la création de filiales privées au sein de l’Agence a, par exemple, rassuré en interne. Après le décret du 28 mars 2007, issu de la loi de cohésion sociale, les agents craignaient un éclatement du statut de l’ANPE, avec le transfert à des filiales de missions transformées en services payants. Certes, la grève organisée dès le lendemain, à l’appel de tous les syndicats, fut massivement suivie. Mais, en pratique, l’application du texte a été minimaliste. Christian Charpy était résolument contre la création de filiales à but lucratif. « Il pouvait difficilement s’opposer à un décret qui venait d’en haut. En revanche, il s’est débrouillé pour freiner sa mise en œuvre », assure un cadre.

D’autres, moins indulgents, lui reprochent de s’être pleinement inscrit dans une logique d’entreprise. Refonte des systèmes d’évaluation des compétences, prime de performance, mesure de l’efficacité… Christian Charpy a donné le coup d’accélérateur qu’attendait le gouvernement Villepin. « Pour le suivi du demandeur d’emploi, obligé désormais de rencontrer son conseiller chaque mois, avec un risque de radiation à la clé, Charpy a appliqué sans états d’âme les directives », note Régis Dauxois, secrétaire général de FO ANPE. Appliquée depuis janvier 2006, cette mesure a suscité beaucoup de remous en interne. « On a voulu transformer les conseillers en une police des chômeurs », s’insurge Olivier Hagel, représentant de SUD. « C’est bien la logique du chiffre qui prédomine », regrette Noël Daucé, secrétaire général du SNU ANPE.

2-Associer les agents au projet. « C’est un patron, pas un manager. En prenant le poste, il a clairement fait connaître son souhait d’être associé à l’élaboration de la politique de l’emploi. L’opérationnel, ce n’est pas son truc », estime un cadre du siège à Noisy-le-Grand. « Christian Charpy a toujours considéré que les problèmes de fuite d’eau et de management d’une agence locale relevaient d’autres instances. Il ne s’intéresse qu’à la stratégie », confirme Jacqueline Lablanche, au Snap CFTC. Reste que, pour négocier la fusion, Christian Charpy a dû mettre la main à la pâte.

Artisan de la loi sur le dialogue social en 2004 au côté de Jean-Pierre Raffarin, il est passé de la théorie à la pratique. Le directeur général doit composer avec pas moins de sept centrales reconnues, auxquelles s’ajoute SUD. Pas simple, quand la moitié d’entre elles (SNU, FO, CGT et SUD), qui représentent 65 % des voix, affiche une opposition de principe au rapprochement. Et d’autant plus résolue que les élections professionnelles ont lieu ce mois-ci à l’ANPE. « Je me suis demandé si, vu le contexte, il fallait les repousser. J’ai considéré que comme les élections ont lieu tous les trois ans il n’y avait pas lieu d’y déroger », indique Christian Charpy. Tout en poursuivant les consultations avec les organisations syndicales, le directeur général a décidé de s’adresser sans filtre au personnel de l’Agence. Depuis l’été dernier, il met les bouchées doubles : réunions en régions, visioconférences, allocution en ligne pour évoquer la fusion, création d’un intranet dédié… Le 25 juin, par exemple, il échangeait via un chat avec 1 200 cadres, des directeurs régionaux et des directeurs d’agence.

3-Peaufiner le nouveau statut. Si les syndicats ne croient plus à la possibilité de remettre en cause la fusion en tant que telle, les agents attendent des assurances, essentiellement sur leur statut. Entre l’ANPE, administration publique, et l’Unedic, structure privée gérée par les partenaires sociaux, les écarts de traitement sont notables. Actuellement, les 28 000 agents de l’ANPE bénéficient d’une rémunération calquée sur les grilles de la fonction publique. Selon Jean-Noël Thiollier, le directeur général adjoint chargé des RH, le salaire moyen d’un agent s’établit à 2 100 euros brut mensuel, sur douze mois, le salaire de démarrage n’excédant pas 1 900 euros brut. À l’Unedic, en revanche, les 14 000 employés de droit privé bénéficient de conditions salariales nettement supérieures, proches de celles de la convention collective du secteur des banques et des assurances. Leur rémunération est versée sur quatorze mois et représente en moyenne, primes et avantages inclus, 2 400 euros brut. « Dans ces conditions, l’alignement ne peut se faire que vers le haut. Sinon, ce sera l’explosion à l’ANPE », estime Michel Coquillon, administrateur CFTC. « Le projet prévoit que les agents employés actuellement par l’ANPE et l’Unedic conservent leur statut et leur rémunération, tandis qu’un statut commun serait créé pour les nouveaux recrutés », précise Christian Charpy. Les agents en place pourraient opter pour ce nouveau statut. Un cabinet extérieur sera désigné en janvier prochain pour passer au crible les différences de traitement et proposer une politique salariale unique applicable au nouvel établissement.

Mais, hormis la question cruciale des statuts, l’autre interrogation des agents concerne leur métier. La fusion prévoit de faire converger les métiers du placement des demandeurs d’emploi – assuré par l’ANPE – et de l’inscription et du suivi de l’indemnisation des chômeurs – remplis par le personnel des Assedic. « Avec la fusion, on nous annonce un portefeuille de clients qui tomberait à une trentaine de personnes, au lieu de 120 à 130 actuellement. Je demande à voir », interroge un agent, plutôt dubitatif.

Les 14 000 employés de droit privé de l’Unedic bénéficient de conditions salariales nettement supérieures

4-Redéployer les effectifs. Une fusion donne souvent lieu à une chasse aux doublons. Christian Charpy ne s’en cache pas : il prévoit entre « 4 500 et 5 000 redéploiements ». En tête de liste, les fonctions supports et administratives, mais aussi les « lignes de management », notamment les personnels des directions régionales. Le problème se pose avec acuité pour les directeurs territoriaux. Des postes de fin de carrière très correctement rémunérés, avec des salaires pouvant aller de 3 700 à 6 000 euros brut pour les territoires les plus importants, auxquels s’ajoutent primes, véhicule de service et autres avantages. Pour ceux qui ne bénéficieraient pas de préretraite, la mobilité interne devrait fonctionner à plein. « Cette fusion promet d’être un tsunami. Dans l’encadrement, nous allons devoir faire autre chose. Les hôpitaux ou les préfectures auront peut-être besoin de nous… J’espère que des passerelles seront envisagées », confie un directeur régional adjoint du Sud. Quant à savoir si la fusion laissera une grande part d’autonomie aux régions, c’est aussi un des points cruciaux de la négociation à venir, les directions territoriales n’entendant pas perdre leur autonomie.

Enfin, les précaires pourraient servir de variable d’ajustement. « Depuis décembre 2003, le statut du personnel prévoit une levée des quotas de recours aux CDD. Même si la direction s’en défend, aujourd’hui, un salarié sur quatre est précaire. Les titularisations ne sont plus à l’ordre du jour. Et le renouvellement des CDD est gelé », dénonce Philippe Sabater, du SNU ANPE. Des tensions pourraient en découler : « Le chômage baisse, mais il ne faut pas croire que notre charge de travail diminue. On court en permanence », clame un conseiller dans une agence du Nord. « C’est un métier extrêmement dur. Émotionnellement, surtout », raconte Sandra, une jeune recrue qui a démissionné, quinze jours seulement après son intégration.

La fusion a laissé en plan le débat sur les conditions de travail, tout comme la place des handicapés, le schéma directeur des emplois, des compétences et de la formation… « Impossible de discuter sans savoir ce que sera l’établissement dans trois mois », reconnaît Dominique Nugues, le secrétaire général de l’Unsa ANPE. À l’Agence, l’heure est à l’attentisme. « Une grosse grève, un faux pas, et Charpy sera mis sur la touche. A contrario, une fusion sans heurt, et ce sera une jolie promotion », assure un conseiller de l’Élysée. Comme être nommé patron de la future entité ? Pour Christian Charpy, ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y pense pas.

Repères

L’ANPE est un établissement public administratif qui emploie 28 130 agents répartis dans 1 370 implantations locales. Chaque agent suit en moyenne 120 chômeurs, soit quatre fois plus que dans les pays scandinaves. Au total, 17 millions d’entretiens sont menés par an. L’Agence traite 3,5 millions d’offres d’emploi, compte 530 000 entreprises clientes et dispose d’un budget de fonctionnement de 2, 058 milliards d’euros.

13 juillet 1967

Création de l’ANPE. Le taux de chômage est de 2 %.

1992

Michel Bon, le directeur général, impose une culture d’entreprise.

1996

Premier rapprochement avec l’Unedic qui traite l’inscription des chômeurs.

2005

Fin du monopole de l’ANPE dans le placement des demandeurs d’emploi.

Été 2007

Nicolas Sarkozy annonce la fusion Unedic-ANPE d’ici à la fin de l’année.

Les effectifs ont doublé entre 1993 et 2007 Nombre de personnes
ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN CHARPY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ANPE
“Il n’y aura pas d’étatisation de l’assurance chômage ni de privatisation de l’ANPE”

Le projet de fusion ANPE- Unedic est en marche. Comment accompagnez-vous ce changement ?

Mon rôle est de faire en sorte que les pouvoirs publics et les organisations patronales et syndicales qui négocient connaissent au mieux les préoccupations de l’Agence et les intègrent dans les décisions à venir. Depuis le début de l’été, les contacts se multiplient. Chacun a fait un pas vers l’autre. Il n’y aura pas d’étatisation de l’assurance chômage ni de privatisation de l’ANPE. C’est le « et/et » qui prime. Après une première phase de discussions, entre l’ANPE et l’État, l’Unedic et l’État, ou encore les partenaires sociaux et l’État, place désormais à l’opérationnel.

Que va devenir le groupement d’intérêt économique constitué avec l’Unedic ?

Le rapprochement avec l’Unedic est déjà enclenché. Les personnels des deux entités ont désormais l’habitude de travailler ensemble, comme en témoignent les 220 guichets uniques. En février 2007, le GIE a été créé pour engager la convergence des deux systèmes informatiques complémentaires. Au 1er janvier, l’ensemble des personnels devrait basculer dans le nouvel établissement GIE selon des modalités différentes pour l’ANPE et l’Unedic. Mais le cadre a été élaboré alors que la fusion n’était pas encore lancée. Il faut donc réexaminer les modalités de fonctionnement du GIE en fonction du nouveau contexte.

Allez-vous réduire les effectifs ?

L’Agence a beaucoup recruté ces dernières années. Depuis 2000, 9 000 nouveaux postes ont été créés. Le Pare avait donné lieu à 4 500 créations d’emploi, dont une large part financée par l’Unedic. Puis le suivi mensuel, les plates-formes de vocation ou encore la convention de reclassement personnalisée ont conduit à 4 500 nouvelles créations d’emploi. Il faut y voir la volonté de mettre l’Agence au niveau des standards européens, même si nous en sommes encore loin. Cumulés, les effectifs de l’ANPE et de l’Unedic représentent 44 000 personnes, là où, pour des missions similaires, les Allemands sont 90 000 et les Anglais presque autant, avec les Jobcentre Plus. L’objectif de la fusion n’est pas de réduire les effectifs. Il faut plutôt travailler sur un repositionnement global du réseau.

Qu’entendez-vous par « repositionnement global du réseau » ?

Dans le futur ensemble, le métier de placement, qui est au cœur de la mission de l’ANPE, et celui de liquidation des droits, rempli par l’Assedic, coexisteront. Ces deux prérogatives devront gagner en cohérence afin de permettre à un maximum de personnes d’être dans une logique d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Mais on ne peut pas passer du métier de liquidateur à celui de placeur du jour au lendemain. La formation et le développement de compétences vont s’intensifier. Avec un chômage en baisse et la création d’un ensemble plus vaste, je souhaite que les métiers soient tournés prioritairement vers les demandeurs d’emploi en fonction de leur profil et de leurs difficultés, mais aussi vers les entreprises. Nous avons déjà des équipes professionnelles par secteur. À nous de les développer. La direction marketing que j’ai mise en place il y a deux ans est là par exemple pour présenter des offres de services globales aux entreprises : recrutements par simulation, présélection des candidats, interlocuteur unique…

Va-t-on vers une « unicité des fonctions » ?

Seule l’unicité du référent qui suit le demandeur compte. Depuis 2006, avec le suivi mensuel, un conseiller est chargé de 60 à 120 demandeurs d’emploi. Comme dans la banque, ou le fisc, chaque usager doit pouvoir disposer d’un conseiller personnel, garant de son retour à l’emploi. Avec la fusion, le conseiller pourra aussi être le référent des questions d’indemnisation. Cela ne veut pas dire qu’il s’en occupera toujours lui-même. Il pourra faire appel à d’autres expertises.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Fanny Guinochet

CHRISTIAN CHARPY

48 ans.

1986

Diplômé de l’ENA, conseiller à la Cour des comptes.

1993

Conseiller technique de Simone Veil, ministre des Affaires sociales.

1994

Directeur de cabinet de Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé.

1995

Directeur de Radio France internationale.

1998

Président de l’Agence française du sang.

2003

Conseiller social de Jean-Pierre Raffarin.

2005

Directeur général de l’ANPE.

Auteur

  • Fanny Guinochet