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Enquête

De la comédie à la tragédie sociale

Enquête | publié le : 01.12.2007 | Anne Fairise, Sandrine Foulon

Les fans de Ken Loach peuvent se réjouir. Son dernier film, It’s a Free World, sort sur les écrans juste après les fêtes. Après la parenthèse historique du Vent se lève, l’orfèvre du cinéma social retourne à ses premières amours. Et nous livre une vision plus désenchantée que jamais du monde du travail. Oubliées, les comédies grinçantes post-thatchériennes à la Raining Stones (1993) où la classe ouvrière britannique tentait de joindre les deux bouts. Le dernier opus de Ken Loach aborde l’envers du miracle économique sous l’angle d’une agence de recrutement londonienne qui exploite des travailleurs journaliers des pays de l’Est. Ce maître du social a drainé dans son sillage toute une série de cinéastes anglais estampillés « sociaux », mais reste bien seul à occuper ce créneau. Film après film, il incarne le réalisateur social du continent européen. Et n’a guère d’équivalent, même aux États-Unis où, depuis toujours, les personnages sont filmés en situation de travail. Mais Hollywood a beau avoir produit des avocats, des flics, des financiers et des médecins en série, bien peu de cinéastes américains parlent réellement du travail.

Pour autant, partout dans le monde, des cinéastes s’emparent de manière singulière de ce thème : difficulté à en trouver, à le garder, à l’exercer. Travail et chômage concentrent désormais suffisamment d’ingrédients dramatiques pour que des réalisateurs, certes encore peu nombreux, y trouvent une source d’inspiration. Tour d’horizon, très subjectif, de films marquants sur le travail…

1989 Working Girl (Mike Nichols, États-Unis)

Modeste secrétaire à Wall Street, Tess McGill profite de l’absence de sa brillante patronne pour mener elle-même une transaction financière et gravir du même coup les échelons… Grand succès du box-office américain, cette comédie s’inscrit dans une veine largement utilisée aux États-Unis : l’ambition, le carriérisme, les dilemmes cornéliens entre vie privée et vie professionnelle. Depuis les Temps modernes de Chaplin, le travail est une guest star du cinéma américain. Parfois relégué au rang d’élément du décor, il est néanmoins indissociable de l’identité des personnages.

2004 J’aime travailler (Francesca Comencini, Italie)

Mère isolée, Anna espère que sa situation familiale lui permettra de sauver sa place d’assistante comptable en période de restructuration. Elle devient, au contraire, la proie idéale d’une direction qui allège ses effectifs en usant du harcèlement moral. Dans cette fiction intimiste, Francesca Comencini renoue avec un certain cinéma néoréaliste d’après-guerre qui décrivait les difficultés économiques et les changements de mentalité dans le quotidien. Pour ce sujet, la réalisatrice a enquêté auprès de la CGIL, la CGT italienne.

1996 Au loin s’en vont les nuages (Aki Kaurismäki, Finlande)

Ça ne va pas fort pour Ilona, maîtresse d’hôtel, et son mari Lauri, conducteur de tramway, qui se retrouvent tous deux au chômage. Ils doivent reconstruire leur vie, et la société n’est pas très compréhensive face à leurs efforts. Mais aucun misérabilisme chez Aki Kaurismäki, la moitié du cinéma finlandais à lui seul. Tout est grave mais rien n’est vraiment sérieux : Ilona et Lauri s’apparentent à des personnages de Dostoïevski perdus dans un univers à la Tati. « Je ne pourrais pas me regarder dans une glace si je ne faisais pas un film sur le chômage », notait alors le cinéaste, qui a bâti une trilogie sur les perdants.

1997 The Full Monty (Peter Cattaneo, Grande-Bretagne)

En attendant un job, pourquoi ne pas devenir stripteaseur à la manière des Chippendales ? Chômeur désœuvré dans un Sheffield sinistré, Gaz convainc cinq copains vivant aussi d’expédients de se métamorphoser. Avec ce film drôlatique, très grand public, Peter Cattaneo creuse la veine de la comédie very british sur fond de crise sociale et de chômage longue durée, également travaillée par Stephen Frears ou Mark Herman. Depuis la fin des années 80, les films évoquant les laissés-pour-compte du thatchérisme, initiés en premier lieu par Ken Loach et Mike Leigh, se multiplient.

1999 Rosetta (Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique)

Sisyphe de la banlieue liégeoise, Rosetta quitte tous les jours sa caravane en quête d’un travail, qu’on lui accorde pour mieux le lui reprendre. Prête à tout pour « ne pas tomber dans le trou », elle est tout en énergie et rage silencieuses. Brut, sombre, le film, palme d’or à Cannes, est un choc. « Le travail, c’est la guerre que les gens mènent aujourd’hui », expliquent les réalisateurs, qui se sont inspirés du Château de Kafka. Le personnage de K, écarté du château et du village, en vient à se demander s’il existe vraiment. En Belgique, le film a entraîné la création d’un « plan Rosetta » en faveur de l’emploi des jeunes.

2001 Beijing Bicycle (Wang Xiaoshuai, Chine)

Débarqué de sa campagne à Pékin, Guei est corvéable à merci dans une société de courses. On lui confie un VTT qu’il doit partager avec un étudiant. La bicyclette devient un enjeu d’ascension sociale. Jusqu’au jour où son outil de travail est volé… En marge des superproductions chinoises (la Cité interdite, de Zhang Yimou), le film de Xiaoshuai, ours d’argent à Berlin en 2001, s’inscrit dans une nouvelle vague de critique sociale qui dénonce l’envers du miracle économique. À l’instar de Still Life, de Jia Zhang Ke, qui se plonge dans l’univers des laissés-pour-compte du barrage des Trois-Gorges.

2002 Halbe Treppe (Andreas Dresen, Allemagne)

À Francfort-sur-Oder, en ex-RDA, deux couples s’enfoncent dans la médiocrité. Propriétaire de snack, vendeuse, présentateur de radio… chacun trime pour trouver sa place au soleil quand un adultère vient bouleverser la routine. Ours d’argent à Berlin en 2002, ce film est l’un des rares à aborder, indirectement certes, les questions sociales qui commencent à préoccuper les Allemands. Wenders et Fassbinder mis à part, les réalisateurs outre-Rhin ont surtout nourri leurs fictions des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre froide, puis sur de réunification.

2006 Le Direktor (Lars von Trier, Danemark)

Incapable d’assumer les décisions impopulaires, le gérant d’une société a inventé un patron fictif. Lors de la vente, il embauche un comédien pour l’incarner. Avec cette farce absurde sur l’entreprise, Lars von Trier épingle la fausseté des rapports hiérarchiques et les combines avant délocalisation. Mais le dynamiteur du cinéma danois interroge surtout le rôle de la mise en scène, en expérimentant le cadrage assisté par ordinateur. Ce long-métrage semble aussi anecdotique dans sa filmographie que le thème du travail est peu exploité dans le cinéma danois.

2006 La Méthode (Marcelo Pineyro, Espagne)

Un poste pour sept candidats. Pas de DRH pour mener l’entretien, les rivaux en costume et tailleur comprennent vite qu’ils vont devoir s’éliminer entre eux. Transposé dans l’univers de l’entreprise, cette version du « Maillon faible », vire au huis clos cruel et meurtrier. Alliances, stratégies, exploitation des failles personnelles, trahisons… les compétiteurs ne reculent devant rien pour décrocher le poste. Jusqu’où peut-on aller pour travailler ? s’interroge Marcelo Pineyro. Jusque-là, le cinéma espagnol avait surtout puisé son inspiration dans l’après-franquisme et la « movida ».

Auteur

  • Anne Fairise, Sandrine Foulon