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Les assureurs français contraints d’évoluer

Dossier | publié le : 01.12.2007 |

Le projet de directive européenne « Monster » impose de nouvelles contraintes au marché de la retraite collective. Et pousse les assureurs français à renforcer leurs procédures et à opérer des rapprochements.

Mutuelles et institutions de prévoyance en tête, les trois familles d’assureurs n’ont pas raté le coche ! Cent cinquante-quatre entreprises françaises d’assurance ont participé au printemps à la troisième étude d’impact lancée dans le cadre de la préparation de la directive Solvabilité 2, dont les résultats ont été publiés mi-novembre. Soit plus du double de participants que dans la précédente étude d’impact. Car l’enjeu est énorme ! Présenté en juillet par la Commission européenne, ce projet de directive – d’ores et déjà surnommé Monster du fait de la taille de son fichier en format PDF (300 pages sans les annexes) – va en effet révolutionner toute l’approche française en matière de règles prudentielles. Afin d’inciter les assureurs à mieux gérer leurs risques, Solvabilité 2 va sans doute, en particulier, augmenter considérablement le niveau des fonds propres exigés pour couvrir leurs actifs. Ainsi, « les assureurs auront des besoins de fonds propres plus importants pour couvrir les risques des fonds investis en actions », résume Jean Canel, consultant senior chez Towers Perrin.

Autre révolution copernicienne pour la profession, le projet de directive européenne généralise l’appréciation de ces actifs non plus en fonction de normes prudentielles édictées par l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam), mais selon leur « juste valeur de marché », conformément à l’esprit des nouvelles normes comptables internationales (IAS) en vigueur. Pour Jean-Philippe Huchet, président de l’Union mutualiste Retraite (UMR), « ce mode d’actualisation tient davantage compte de la réalité du rendement obtenu sur les trois dernières années et de la composition des actifs », mais il tend aussi à déprécier les actifs en actions, pourtant indispensables à la couverture d’un risque long comme l’épargne retraite. « Avec une vision à un an de la solvabilité des organismes, les placements en actions, plus volatils, seront pénalisés puisqu’ils conduiront à immobiliser davantage de capitaux », confirme Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l’Acam.

Un risque actions plus ou moins maîtrisé. Les assureurs ne sont toutefois pas tous logés à la même enseigne face à ces nouvelles contraintes. Du côté des « bancassureurs », par exemple, on estime ne pas avoir grand-chose à craindre : « La mise en place de Solavibilité 2 ne nous posera aucun problème, car nous avons déjà la pratique de systèmes comparables dans le monde bancaire », explique Jean-Marie Gallet, directeur commercial adjoint de BNP Paribas Épargne Retraite. A contrario, dans les institutions de prévoyance, on a sorti la calculette : « En appliquant la formule standard proposée dans la troisième étude d’impact, le risque actions représenterait les deux tiers du capital exigé alors que ce risque n’est aujourd’hui pas comptabilisé du tout dans nos marges de solvabilité. Ce qui aboutirait à multiplier par deux, voire par trois, en moyenne, les fonds propres exigibles. En tenant compte de la durée moyenne des engagements, ce risque actions serait toutefois divisé par deux », détaille l’un de leurs experts.

Mais encore faut-il convaincre les autorités de Bruxelles. Si le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) et la Mutualité ont déjà obtenu, en 2006, de la Commission, la reconnaissance de la spécificité du risque santé, il n’en est pas encore de même en matière de pension. D’autant qu’en ce domaine les acteurs français sont plutôt isolés sur la scène européenne où l’épargne retraite collective est majoritairement l’apanage des fonds de pension. Lesquels sont régis non pas par les normes assurantielles, mais par la directive de 2003 relative aux institutions de retraite professionnelles, qui prend mieux en compte les spécificités du risque long (voir encadré page 74). « Si Solvabilité 2 ne reconnaît pas suffisamment l’horizon des engagements en matière de retraite collective, ce marché risque d’être considérablement fragilisé », prévient déjà Bertrand Boivin-Champeaux, responsable technique et financier du CTIP.

Vers des groupements paritaires. Pour l’heure, Solvabilité 2 accorde déjà aux assureurs la possibilité de s’exonérer de ces règles communes, sous réserve de bâtir un modèle interne d’évaluation des risques, validé par l’Acam. Une souplesse en trompe l’œil, estime toutefois Dominique Boucher, délégué général de l’Institut de la protection sociale européenne (Ipse) : « En dehors des gros assureurs comme Axa, les autres acteurs n’ont pas les moyens techniques suffisants pour bâtir un modèle interne. » Que ce soit en termes de représentativité du portefeuille, de diversité des risques ou encore de surface internationale. En tout état de cause, « Solvabilité 2 va nous amener à mutualiser nos forces actuarielles », confirme Jean-Paul Lacam, directeur général du groupe Taitbout et président de la commission technique du CTIP, qui anticipe une accélération des rapprochements « sous forme de groupements paritaires de prévoyance ».

Autre impact de la directive européenne, le renforcement des exigences en matière de contrôle et de gouvernance. « Nous devons nous professionnaliser davantage en formalisant nos procédures et en réalisant une véritable cartographie des risques », convient Jean-Philippe Huchet, de l’UMR. « Prenant conscience de leurs responsabilités de dirigeants d’une entreprise d’assurance, nos administrateurs bénévoles sont demandeurs de formation », abonde Jean-Paul Lacam.

Conçues aussi pour accroître la compétitivité des assureurs européens à l’échelon international, ces normes risquent enfin de contraindre les mutuelles et les institutions de prévoyance à se développer davantage au-delà des frontières hexagonales. « Les institutions de prévoyance n’ont pas pris la mesure des conséquences en termes de rapprochements internationaux », se désole toutefois Bruno Gabellieri, secrétaire général de l’Association européenne des institutions paritaires (AEIP). « Cela commence à peine », reconnaît Jean-Paul Lacam, du groupe Taitbout. De fait, selon Dominique Boucher, de l’Ipse, « seuls trois groupes de protection sociale français ont une activité européenne un tant soit peu sérieuse » : Médéric, qui s’est implanté en Espagne ; Apri, qui a conclu un partenariat avec les Mutuelles de Catalogne ; et AG2R, qui vient d’être officiellement autorisé à participer à la mise en place des premiers fonds de pension en Roumanie.

Dans le monde mutualiste, on commence aussi à prendre conscience de la nécessité de se regrouper par-delà les frontières, comme en témoigne le partenariat conclu en septembre entre la Mutuelle des étudiants et la Mutualité socialiste de Belgique. « De petites sociétés mutualistes qui n’ont à elles seules pas la surface financière suffisante aimeraient d’ores et déjà travailler avec nous, que ce soit au Portugal, en Italie et surtout en Grèce, explique, de son côté, Jean-Philippe Huchet, de l’UMR. Mais encore faudrait-il que l’Europe nous permette de conserver notre spécificité, en nous accordant d’adopter un statut de société mutualiste européenne. »

Après avoir essuyé un premier échec au Parlement européen, les grandes fédérations mutualistes françaises se sont donc remises à l’ouvrage au premier semestre, pour aboutir à un projet de compromis… Reste maintenant à savoir si celui-ci aura le temps de voir le jour avant la mise en œuvre de Solvabilité 2, qui est, au mieux, prévue (voir encadré ci-contre), transpositions comprises, pour 2012…

Le lent décollage des fonds paneuropéens

Le marché des institutions de retraite professionnelles transfrontalières frémit… » Directeur du réseau de retraite paneuropéen, créé en 2003 par l’assureur hollandais Aegon, Frans van der Horst en est convaincu, au vu de l’augmentation, depuis un an, des demandes de renseignement de clients multinationaux « soucieux de piloter leurs régimes de retraite de façon globale et plus efficiente ». Et de citer le cas de Philips qui, après quatre ans de préparation, a commencé à basculer ses fonds de pension dans une IRP. « Les entreprises souhaitent avoir une meilleure visibilité de leurs programmes de retraite internationaux », confirme Martine Rapoport, directrice des clientèles collectives de la CNP, qui table, elle aussi, sur « un développement progressif du marché ».

Créé par la directive de juin 2003, transposé en droit français par une ordonnance de mars 2006, le nouveau régime paneuropéen des fonds de pension décolle toutefois plus lentement que prévu. Comme en témoignent les résultats de l’enquête sur l’épargne retraite en Europe publiée mi-septembre par le cabinet Towers Perrin. Ainsi, seules 26 % des 435 entreprises interrogées dans six pays envisagent de mettre en place un tel dispositif « dans les dix prochaines années ». Même son de cloche du côté de l’offre où, selon Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l’Acam, une dizaine d’institutions seulement ont demandé leur agrément auprès du Comité européen des superviseurs de fonds de pension pour exercer leur activité en dehors de leurs frontières d’origine. Parmi elles, quatre opérateurs français : Axa, Dexia, CNP et Arial Assurance, filiale commune du groupe AG2R-La Mondiale. « L’absence d’environnement social et fiscal harmonisé a freiné pour un temps la mise en œuvre des IRP », constate François Lusson, président du cabinet d’actuariat Winter & Associés. « Cette disparité sociale et fiscale entraîne des calculs supplémentaires pour bâtir des plans transfrontaliers homogènes, renchérit Jean Canel, du cabinet Towers Perrin… Cela génère donc des surcoûts importants qui ne peuvent s’amortir que sur de gros volumes de fonds. » « Cela n’a pas empêché certains pays d’aménager l’environnement fiscal et social pour attirer les IRP sur leur territoire », observe Catherine Millet-Ursin, avocate du cabinet Fromont, Briens & Associés. C’est le cas de l’Irlande, du Luxembourg et de la Belgique, qui ont exonéré ces programmes de toute taxe sociale et fiscale à l’entrée comme à la sortie. En dehors de Nestlé, qui a suscité beaucoup d’émotion en Suisse en annonçant le déménagement de son fonds de pension en Belgique, « ce dumping social n’a encore, selon Frans van der Horst, d’Aegon, pas beaucoup d’effet sur les stratégies des entreprises, car c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire ! ».

Dans l’attente d’une hypothétique harmonisation sociale et fiscale, les assureurs cherchent néanmoins à occuper le terrain. « Nous proposons dès aujourd’hui des contrats susceptibles de bénéficier de l’agrément IRP et de ses avantages exclusifs », explique par exemple Gilbert Gurcel, membre du directoire d’Arial Assurance.

Autrement dit, si l’administration des versements de fonds est conservée dans le pays d’origine, les actifs sont, eux, gérés au niveau international. Autres avantages, ces fonds de pension bénéficient de règles prudentielles plus souples qui en diminuent le coût de gestion, et leurs actifs font l’objet d’un cantonnement strict. « Cela intéresse certaines entreprises françaises qui ont d’importants passifs de retraite à gérer, par exemple ceux des institutions de retraite supplémentaire, qui devront se transformer d’ici à 2008 », poursuit Gilbert Gurcel. « Cela nécessite à chaque fois un montage spécifique pour nous adapter au besoin et à la géographie du client », témoigne, pour sa part, Martine Rapoport, de la CNP. Ce qui n’arrive pas tous les jours à la Caisse nationale de prévoyance…

Rendez-vous en 2012

Si le calendrier est respecté, les nouvelles normes prudentielles de Solvabilité 2 ne devraient entrer en application qu’en 2012.

Après la publication, mi-juillet, de ce projet de directive par la Commission européenne, c’est en effet au tour du Parlement et du Conseil des ministres de l’Union européenne d’examiner le texte dans la perspective de son adoption définitive à la mi-2008.

Durant ce processus d’examen, le Comité européen des contrôleurs de l’assurance et des pensions professionnelles (Cecapp ou CEIOPS en anglais), qui réunit les superviseurs européens du marché de l’assurance, comme l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam) en France, va continuer de formuler des recommandations et des avis techniques pour amender ce projet. Deux autres questionnaires d’impact sont déjà prévus en 2008 et en 2009. À charge pour les différents acteurs du marché de l’assurance de faire remonter leurs commentaires.

Le CEIOPS devrait enfin poursuivre ses recommandations durant la phase de transposition de la directive dans les différents États.