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“La formation participe à la conservation de l’ordre établi”

Actu | Entretien | publié le : 01.12.2007 | A.-C. Geoffroy

Spécialiste des sciences de l’éducation, cette ex-consultante RH livre une analyse sans concession de la fonction de la formation dans les entreprises.

Vous publiez un livre détonnant sur la formation qui, aujourd’hui, apparaît comme la solution miracle à n’importe quel problème de management. Comment expliquez-vous qu’elle ait acquis un tel statut ?

Les entreprises vivent dans une hypervalorisation du changement. Au point que le mot est vidé de son sens. Il faut sans cesse bouger, s’adapter, être mobile. Pour les salariés, c’est même essentiel. Sans changement, ils seraient peut-être bien plus désengagés. Car l’hymne au changement leur permet aussi d’être toujours en tension, en mouvement, avec l’impression qu’il se passe toujours quelque chose de nouveau. Mais le changement n’est pas simple à mettre en œuvre. Et c’est là qu’apparaît la formation. Dès que l’entreprise se heurte à un problème, quel qu’il soit (une difficulté de recrutement, un problème d’organisation, une concurrence accrue), elle pense trouver la solution dans la formation. Comme si, avec l’acte de formation, il allait se passer quelque chose d’assez mystérieux qui allait résoudre tous les problèmes de management et de changement.

Qu’attendent précisément les entreprises de la formation ?

Pour le savoir, un des moyens consiste à se pencher sur les modèles de conception des dispositifs de formation. J’ai décortiqué plus d’une centaine de plans de formation de grandes entreprises comme Arcelor, EDF, Dassault, Veolia, Schneider et interrogé une trentaine de concepteurs. À mon sens, il existe six modèles de conception. Ils vont de la mise en œuvre du changement culturel et organisationnel d’une entreprise à l’acquisition de nouveaux savoirs par les salariés, de compétences inhabituelles pour accroître la performance de la société en passant par la recherche de comportements inédits ou encore de modes de management modernes. Tous ces modèles ont un point commun : la mise en œuvre du changement. Or, à y regarder de plus près, on assiste souvent en même temps au sacre et au simulacre du changement.

Qu’entendez-vous par là ?

La formation poursuit le but d’aider les organisations à se renforcer elles-mêmes et non pas à se transformer. Lorsque la formation a pour objectif de changer la culture de l’entreprise, qu’observe-t-on ? Le concepteur se réfère à la hiérarchie, c’està-dire au pouvoir en place. Lorsque la formation est appelée à la rescousse pour apporter plus de savoir aux salariés, le professionnel de la formation se tourne vers les experts de l’entreprise, ceux-là même qui maîtrisent déjà ces savoirs. Personne n’est manipulateur dans l’histoire. Les ingénieurs de formation se débrouillent avec des commandes et des attentes d’entreprises souvent contradictoires. Pour cela, ils développent des savoir-faire qui ne sont écrits nulle part. Mais, finalement, la formation participe à un processus de conservation de l’ordre établi.

Pourtant les entreprises cherchent par tous les moyens à évaluer l’efficacité des formations. C’est donc qu’elles y croient ?

Il y a un discours étonnant sur le sujet. Il est presque impossible d’évaluer une formation. Aujourd’hui, les entreprises se contentent d’évaluations à chaud. Or ça ne sert à rien. Cela ne dit rien de l’efficacité d’une formation. Dans l’entreprise, en dehors du DRH, personne n’a intérêt à évaluer la formation. Ni le responsable de la formation, ni l’organisme de formation, ni le salarié, qui ne pourrait pas accepter d’avoir perdu du temps en séminaire.

Quelle est alors la fonction de la formation ?

C’est un outil indispensable pour mettre en scène le changement. Sa fonction est avant tout sociale. La formation est porteuse de normes, elle permet de maintenir la stabilité du système. Ce n’est pas la formation qui change un manager en leader, c’est la pression sociale. La formation est là afin d’expliquer le comportement que le manager doit adopter pour être dans le groupe. Je ne dis pas que la formation ne sert à rien, je ne dis pas qu’il ne faut pas se former. Je dis que la formation est aussi une pratique sociale dont il ne faut pas ignorer la portée.

Comment la formation pourrait-elle participer au changement ?

Pour autant que ce soit ce qu’on lui demande vraiment, ce dont je ne suis pas sûre, elle peut accompagner des changements déjà engagés (fusions, acquisitions, réorganisation face à la concurrence) et soutenir des transformations socialement en cours.

SANDRA ENLART

Directrice des études et de l’innovation d’Entreprise & Personnel.

PARCOURS

Cette enseignante en sciences de l’éducation à l’université de Genève a commencé sa carrière comme consultante RH.

À la Cegos de 1994 à 2001, elle y a dirigé la recherche. De 2001 à 2005, elle est à la tête du développement de l’e-business d’Adecco. Elle vient de publier Concevoir des dispositifs de formation d’adultes : du sacre au simulacre du changement (éditions Demos, 2007).

Auteur

  • A.-C. Geoffroy