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Vie des entreprises

Les boîtes de prod, réservoirs de précaires

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.11.2007 | Éric Béal

Derrière le petit écran trime une foule de précaires, ultraflexibles. On compte les contentieux à la pelle. La nouvelle convention collective du secteur freinera-t-elle ces pratiques ?

Les saltimbanques de la télé le sont désormais un peu moins. Les quelque 10 000 salariés des sociétés de production d’émissions (téléréalité, divertissement, jeux et magazines) bénéficient enfin d’une convention collective, la CCN PAV. Signée par la CFDT, la CGT, FO et la CFE-CGC en décembre 2006, elle a été étendue cet été par les pouvoirs publics. Le texte laisse cependant beaucoup de souplesse aux entreprises du secteur. Les bénéficiaires peuvent dorénavant se voir imposer de travailler quinze heures dans une journée, à raison de deux fois par semaine, au lieu des dix heures maximum autorisées par le Code du travail. Les semaines de travail peuvent également s’allonger jusqu’à quarante-six heures, pendant douze semaines consécutives.

Autre spécificité, les salariés en CDD d’usage peuvent maintenant bénéficier d’un contrat de travail mensuel… à condition d’accepter une diminution de 5 % de leur salaire. « Attention, précise Philippe Couteux, négociateur pour la CFDT, à partir de la treizième heure, les heures supplémentaires sont payées 175 %. Quant aux horaires, nous avons cherché à encadrer des pratiques existantes, parfois incontournables compte tenu des contraintes inhérentes au secteur. »

Horaires atypiques. Ces contraintes, Jacques Clément, président du Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de télévision (Spect), les souligne à l’envi. « Les rythmes de production ne correspondent pas à des horaires classiques. Les Victoires de la musique sont produites en cinq jours, par exemple. Les techniciens issus d’une douzaine de corps de métiers restent jusque tard le soir. » Au Spect, on met aussi en avant les clauses de cession imposées par les diffuseurs, qui permettent d’arrêter une émission rapidement si les scores d’audience se révèlent insuffisants. « Les coûts salariaux représentent plus de 50 % du coût des émissions. “Ça se discute” ou “Fort Boyard” existent depuis des années, mais beaucoup d’émissions ne dépassent pas le stade du pilote. La seule façon de répondre à cette incertitude est de recourir à des intermittents du spectacle », précise Jacques Clément.

Un argument qui fait bondir maître Oury Attia, du cabinet Ktorza. « Les sociétés de production ont fait de la précarité un système de gestion du personnel. Elles proposent à leurs salariés des contrats sur une période plus courte que celle qui leur est imposée par les diffuseurs. Il n’est pas rare de voir des techniciens du son ou de la lumière employés avec des contrats journaliers. » Nous sommes pourtant dans le monde merveilleux de la télévision, où nombre de responsables d’entreprise sont des vedettes souriantes du petit écran. Nagui, Arthur, Dechavanne, Mireille Dumas, Marc-Olivier Fogiel ou Delarue ont créé leur « boîte de prod » et vendent leurs émissions clés en main aux chaînes privées comme au service public. Mais, connus ou pas, les employeurs du secteur utilisent tous des intermittents et des CDD d’usage en masse.

Trois niveaux de précarité. Dans Jean-Luc Delarue : la coupe est pleine (éditions Pharos/Jacques-Marie Laffont, 2006), une biographie non autorisée, le journaliste David Zar-Ayan raconte qu’en 2004 il y avait trois niveaux de précarité à Réservoir Prod, la société de l’animateur de « Ça se discute ». 140 salariés en CDI, dont nombre de cadres et de rédacteurs en chef, 120 CDD « pour la durée de la saison audiovisuelle », des précaires permanents en quelque sorte, et une foule de techniciens, intermittents au contrat beaucoup plus réduit, désignés en interne comme les « précaires précaires ». Entre août 2003 et février 2004, l’Inspection du travail en a relevé 800, employés au moyen de plus de 2 000 contrats.

Les salariés permanents sont souvent mieux lotis, certaines boîtes ont même une bonne réputation

CDD d’usage. Rien de plus normal pour Maria Roche, ancienne responsable d’émission à Réservoir Prod, licenciée au bout de sept ans et demi. « Il faut entrer dans le budget des chaînes. Par ailleurs, les bons techniciens ne sont pas intéressés par un CDI et ce sont toujours les plus glandeurs qui réclament… »

Le milieu se caractérise par une gestion particulière des RH, admet Marie Mottet, DRH des sociétés de production de Lagardère Active. « Les recrutements s’effectuent le plus souvent par cooptation et les responsables privilégient le CDD d’usage adapté aux métiers de l’audiovisuel, ce qui signifie que la plupart des salariés ne bénéficient pas d’avantages sociaux. Mais notre convention collective va certainement améliorer leur situation et doper les dicussions de branche sur la prévoyance et la formation », précise-t-elle. Il était temps. Car le nombre de plaignants aux prud’hommes va croissant. À l’instar d’Agatha Rouland, assistante de production pour les émissions « Tout le monde en parle » et « On a tout essayé ». Passée du statut de pigiste à celui d’assistante en CDI, puis en CDD, avec perte de salaire, la jeune femme, qui a effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, est licenciée en octobre 2004 pour « manquement professionnel », après cinq ans de présence. Un an plus tard, les prud’hommes de Paris condamnent la SAS Tout sur l’écran à lui payer ses heures sup et ses congés payés ainsi que deux indemnités pour repos compensateur et licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les salariés permanents sont en général mieux lotis. Certaines boîtes ont même une bonne réputation. C’est le cas de Coyote Conseil, dont le patron, Christophe Dechavanne, est réputé pour sa proximité avec les salariés. D’autres sont partisans d’une gestion des ressources humaines plus brutale. En 2003, Martine Contrault, la directrice financière de Réservoir Prod, a été licenciée en cinq minutes pour faute grave. « La direction m’a mis l’usage des CDD répétitifs sur le dos, alors que j’avais des instruction précises pour embaucher uniquement avec un statut précaire. » Une accusation récusée ensuite par les prud’hommes. Il n’est pas sûr que la nouvelle convention collective mette un frein à ces pratiques un peu particulières.

Des délégués sur les plateaux

Le texte de la nouvelle convention collective de la production audiovisuelle recèle quelques innovations. Pour ce qui est du dialogue social, les partenaires sociaux de la branche ont décidé la création de « délégués de branche » pour les sociétés de moins de 11 salariés (les plus nombreuses).

« Chaque fédération syndicale peut nommer un délégué qui interviendra à la demande des salariés ou de l’employeur », explique Philippe Couteux, de la F3C CFDT. Son rôle sera similaire à celui d’un délégué du personnel et d’un délégué syndical interne. Seul hic, le financement de ces mesures n’a pas été fixé. Or une institution qui n’est pas financée aura du mal à fonctionner correctement.

Autre innovation, la possibilité d’élire des délégués de plateau pour les tournages de plus de deux semaines consécutives et l’ouverture de la négociation des accords collectifs d’entreprise à des représentants du personnel ou à un salarié mandaté par une fédération afin de pallier l’absence de délégué syndical dans l’entreprise. Plus généralement, la nouvelle convention collective de la production audiovisuelle a le mérite de verrouiller le champ du secteur en proposant une définition claire du métier d’une entreprise de production audiovisuelle. Un détail qui a son importance alors que les intermittents passent allégrement d’une émission télé à la production d’une vidéo publicitaire.

Auteur

  • Éric Béal