logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les limiers de l’Igas sur tous les fronts

Politique sociale | publié le : 01.11.2007 | Nadia Salem

Contrôle, audit, mission d’appui : l’Inspection générale des affaires sociales, qui fête ses 40 ans, a su garder son indépendance et doper son influence. Ses enquêteurs sont de plus en plus sollicités.

Marguerite Moleux n’a pas le profil d’un « dernier de la classe ». Sortie dans le premier tiers du classement à l’ENA, elle fait partie des quatre élèves de la promotion 2007 qui ont choisi de rejoindre l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Un contingent presque aussi important que celui envoyé au prestigieux Conseil d’État ou à l’Inspection générale des finances. Fini le temps où l’Igas faisait figure de repoussoir auprès des jeunes énarques. Patron emblématique de ce corps d’inspection entre 1982 et 1993, où il s’est illustré en faisant tomber Jacques Crozemarie, tout-puissant président de l’Association de recherche contre le cancer, Michel Lucas se souvient d’avoir accueilli une fois « le dernier de la promo ». Désormais, plus de la moitié des inspecteurs proviennent des bancs de l’Ena. Mais l’Igas reste un vrai melting-pot où cohabitent des inspecteurs du travail, des médecins, d’anciens directeurs d’hôpital et même d’anciens militaires.

Pour Marguerite Moleux, l’Igas s’est imposée naturellement. En revanche, Thierry Breton, diplômé en 2006, reconnaît avoir longtemps hésité entre le Quai d’Orsay et l’Igas. Mais il ne regrette pas son choix. Il achève sa quatrième mission, en back-office, au cabinet de Xavier Bertrand, au ministère du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité. Rue de Grenelle, il organise, coordonne le travail des services, pilote la recherche documentaire en préparation de la première grande conférence sociale de l’automne consacrée aux conditions de travail. Il avait auparavant tenu la plume de Valérie Pécresse, nommée ensuite ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, lors de la rédaction d’un rapport parlementaire sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Des expériences qu’il n’aurait probablement pas vécues s’il était aujourd’hui chef de bureau dans une administration centrale.

Place à la collégialité. Frais émoulus de l’ENA ou fonctionnaires chevronnés, ils ont tous rejoint l’Igas pour deux raisons essentielles : la liberté d’action et l’autonomie de jugement dont bénéficient les inspecteurs. L’indépendance est, en effet, la marque de fabrique de ce corps d’inspection qui fête son quarantième anniversaire et dont Jean-Marcel Jeanneney, ministre des Affaires sociales du général de Gaulle, a défendu le principe dès l’origine. « Je tenais beaucoup à constituer cette inspection, car il est important pour un ministre de disposer d’un instrument qui soit indépendant des directions, à la fois pour examiner ce qui est fait par tel ou tel service et pour étudier, puis proposer des réformes », expliquait ce dernier en 1997 à l’occasion du trentenaire de l’institution.

Quarante ans après sa création, l’Igas a conservé l’esprit pionnier de ses fondateurs. Mais les effectifs ont triplé (de 53 à 150 personnes) et les méthodes de travail ont changé, Rue d’Astorg. « À l’époque, on vous confiait une mission au détour d’un couloir », se souvient un ancien de la maison. « Nous étions beaucoup moins accompagnés qu’aujourd’hui, poursuit Agnès Jeannet, inspectrice générale. Pouvoir discuter au sein d’un cadre collectif, c’est un changement dans la conception même du travail. » Exit l’inspecteur jugeant seul « en son âme et conscience ». Place à la collégialité et aux démarches qualité. Dans chacun des grands domaines d’intervention de l’Inspection, la protection sociale, la santé, le travail, des comités des pairs composés d’une vingtaine d’Igassiens ont été mis en place afin d’apporter une aide méthodologique et d’exercer une critique constructive durant les missions. « Un contrôle qualité inestimable », selon Marguerite Moleux, qui va assurer pendant deux ans le secrétariat d’un de ces comités.

Autre originalité du fonctionnement de l’Igas : la commission des suites, qui réunit, dix-huit mois ou deux ans après la fin de la mission, les membres d’une mission, les autorités de contrôle (service déconcentré, direction d’administration centrale, cabinet du ministre compétent) et les responsables de l’organisme contrôlé. Ces derniers sont alors invités à faire part des suites qu’ils ont données aux recommandations de l’Igas et, si nécessaire, à s’expliquer sur l’absence de mise en œuvre. À défaut de pouvoir de sanction réel, contrairement à celui reconnu à une institution comme la Cour des comptes, l’Inspection dispose désormais d’un droit de suite.

En quarante ans, l’Igas a vu son activité exploser. Aujourd’hui, l’institution a dans sa ligne de mire quelque 2 000 établissements hospitaliers, 500 caisses de Sécurité sociale, des milliers d’associations, dont plusieurs mastodontes comme la Croix-Rouge française ou l’Association des paralysés de France.

Parallèlement à l’inflation des budgets, le paysage social s’est complexifié : « Les politiques de l’emploi donnent depuis plusieurs années moins d’importance aux politiques ciblées pour s’appuyer sur des mécanismes généraux tels l’allégement des charges sociales, la réduction du temps de travail ; la protection sociale voit insensiblement se développer l’étage des protections complémentaires facultatives ; les politiques de santé se trouvent confrontées à des problèmes éthiques nouveaux, rendus plus aigus par les progrès des techniques médicales et la nécessité de maîtrise des dépenses », souligne Marie-Thérèse Join-Lambert, ancienne inspectrice générale à l’Igas. « Le champ du social est si vaste qu’il paraît vain de vouloir tout contrôler », résume André Nutte, un ancien inspecteur du travail qui dirige l’Igas depuis septembre 2006. Pour plus d’efficacité, l’Inspection privilégie les contrôles thématiques (achats, communication, informatique…). Dans le domaine de la protection sociale, l’institution fait office de gendarme du secteur, puisque l’État s’appuie sur le résultat de ses contrôles pour renouveler les conventions d’objectifs et de gestion signées avec les caisses nationales des principaux régimes de Sécurité sociale. Une règle intangible qui vaut aussi bien pour la puissante Caisse nationale d’assurance maladie que pour des organismes de base comme les Urssaf.

Mission de bons offices. Hormis les cas d’urgence, à l’instar du contrôle réalisé cette année au centre hospitalier Jean-Monnet d’Épinal, où plusieurs patients sont décédés des suites d’une surexposition aux rayons ionisants, les « secouristes » du social sont voués à faire moins de contrôles, davantage d’audits approfondis, de missions d’appui et de missions conjointes avec d’autres corps d’inspections générales (celles des finances ou de l’administration). C’est précisément un de ces exercices « atypiques » que vient d’effectuer Agnès Jeannet. Dans le cadre de la négociation sur la pénibilité au travail qui traîne en longueur depuis dix-huit mois, cette inspectrice a été appelée au secours des partenaires sociaux et les a aidés à s’accorder sur une définition de la pénibilité. Une première à l’Igas et une nouveauté également pour les syndicats, peu habitués à voir les grands corps d’inspection de l’État s’immiscer dans leur pré carré. Négociateur de la CFDT sur la pénibilité, Jean-Louis Malys a plutôt bien accueilli cette mission de bons offices, qu’il a perçue comme « une aide à la décision ».

Chef de l’Igas de 2000 à 2006 et actuelle secrétaire générale des ministères sociaux, Marie-Caroline Bonnet-Galzy considère cependant que ce genre de mission doit être limité dans le temps. « Dans ce cas de figure, l’inspecteur est davantage dans un rôle de consultant. Il doit conserver la maîtrise de sa mission. » Mais le contrôle des gestionnaires publics n’exclut pas le conseil, rétorque-t-elle à ceux qui crient à la dispersion. En vraie manageuse, Marie-Caroline Bonnet-Galzy s’est attachée durant six ans à l’Igas à définir une stratégie, organiser le travail en équipe et à assurer le service après-vente des rapports. Car, selon elle, « la meilleure sanction, c’est que les rapports ne soient pas lus ».

À la suite de son contrôle de l’ARC, le législateur a autorisé l’Igas à inspecter les associations

Reste que la capacité d’influence de l’Igas sur les décisions publiques n’est pas près de s’estomper. « Les rapports de l’Igas sont presque toujours le point de départ d’une évolution politique », confirme Éric Aubry, qui a coordonné le rapport public 2006 de l’Igas avant d’être nommé conseiller social de François Fillon, en mai dernier. Exemple : c’est à la suite du contrôle de l’ARC effectué par l’Inspection que le législateur a autorisé l’Igas à inspecter les associations faisant appel à la générosité du public. De même, les rapports qui ont alerté les pouvoirs publics, dès la seconde moitié des années 70, sur la dérive des dépenses sociales ont émis une quantité de propositions, reprises des années plus tard par les ministres successifs : limitation plus rigoureuse des budgets hospitaliers, entre 1978 et 1980, substitution du budget global hospitalier au désastreux système du prix de journée, en 1983, instauration d’une carte sanitaire plus contraignante, avec la loi Évin de 1991. De la même façon, la quasi-totalité des mesures phares du plan Juppé de 1996 (responsabilisation des acteurs, pôle régional de planification et de financement des établissements de soins, contrôle de l’adéquation des prescriptions aux besoins…) a été inspirée par l’Igas.

A contrario, les préconisations de l’Inspection concernant le service public de l’emploi n’ont pas été suivies d’effet. En 1994, deux inspecteurs chargés d’enquêter sur l’opportunité d’une fusion entre l’ANPE et l’Unedic avaient fermement rejeté cette hypothèse et recommandé en revanche le transfert vers les Assedic des inscriptions des demandeurs d’emploi jusque-là effectuées par l’Agence. Une réforme devenue effective en 1998. Dix ans après, c’est une révolution d’une tout autre ampleur qui attend le service public de l’emploi…

L’Igas accroît progressivement son audience

Née en 1967 du regroupement de l’Inspection de la Sécurité sociale, de l’Inspection de la santé et de la population et des inspecteurs généraux du travail, l’Igas ne s’est vu accorder un statut qu’en 1990 par la fusion de ces trois corps. Un « signe de reconnaissance », selon André Nutte, son patron actuel.

L’Inspection assure une mission de contrôle et d’évaluation des politiques sociales (Sécurité sociale ; protection sociale obligatoire ; santé, travail et formation professionnelle).

Certains contrôles sont programmés (35 à 40 % des contrôles), comme ceux qui concernent les grands opérateurs du secteur (Caisse nationale d’assurance maladie, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail…). D’autres sont inopinés, comme celui de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, après la découverte de fœtus conservés au-delà des délais légaux. 28 % de ces contrôles concernent le secteur de la santé. L’Igas produit entre 150 et 160 rapports par an, sur commande immédiate d’une dizaine de ministres et secrétaires d’État compétents dans le domaine social. Sur les quelque 150 missions effectuées chaque année, 15 à 20 % sont menées conjointement avec d’autres inspections. Un décret du 27 avril 2007 a accru ses moyens d’intervention via une réforme du statut de ses inspecteurs. Il aligne notamment leur déroulement de carrière sur celui des membres de la prestigieuse Inspection des finances.

Auteur

  • Nadia Salem