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Idées

Le rythme des réformes imposé aux syndicats est-il trop soutenu ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2007 |

En proposant aux partenaires sociaux d’ouvrir une discussion sur leur mode de financement, le gouvernement est venu alourdir un programme de travail déjà surchargé. La démocratie sociale fonctionne-t-elle correctement ? Réponse de Raymond Soubie, conseiller de Nicolas Sarkozy, d’un universitaire, Jean-François Amadieu, et d’un ancien conseiller d’État, Bernard Spitz.

Raymond Soubie Conseiller de Nicolas Sarkozy.

Personne ne peut nier que l’agenda social est chargé. Mais il est à la hauteur des défis que le pays a à relever, qu’il s’agisse du fonctionnement du marché du travail, des enjeux financiers auxquels la Sécurité sociale est confrontée ou de l’avenir de nos retraites. Cela correspond à des attentes fortes des Français. Ne pas tenir ces engagements, ce serait les décevoir et renier ce qui a été promis. Mais, si le nombre de chantiers est important, le calendrier est précis et aucune étape, à commencer par celle essentielle du dialogue, n’est bâclée. Cette dialectique entre action et dialogue est un point clé de la stratégie sociale précisée dans le discours du 18 septembre devant l’Ajis. Il s’agit d’une conviction forte de Nicolas Sarkozy : le dialogue social ne doit pas être un alibi à l’inaction mais l’urgence de l’action ne saurait justifier qu’on méprise le dialogue social. Quelle en est la traduction concrète ?

Tout d’abord, le président a des contacts étroits avec les partenaires sociaux : il les a déjà reçus à plusieurs reprises, avant même son installation à l’Élysée. Chaque fois qu’une échéance importante se présente, le président leur en parle directement. On peut ne pas être d’accord avec ses orientations mais personne n’est jamais pris en traître. Ensuite, les voies de la concertation et de la négociation sont systématiquement privilégiées. Dès son élection, le président a présenté aux syndicats et au patronat les réformes qu’il entendait conduire. Chaque fois que ces derniers ont indiqué qu’ils préféraient d’abord négocier entre eux, la possibilité leur en a été laissée. C’est par exemple le cas des négociations en cours sur le marché du travail. Mais la concertation avec les partenaires sociaux est aussi permanente, comme pour la fusion de l’ANPE et de l’Unedic ou encore les régimes spéciaux de retraite, où la réforme sera déclinée par la négociation dans chacune des entreprises concernées. Enfin, il existe de vrais calendriers. Sur chaque dossier, le président a fixé des échéances, car il n’est pas question que les négociations s’enlisent. Ainsi, sur le marché du travail, les choses ont été clairement dites : s’il y a un accord entre partenaires sociaux avant la fin de l’année, il sera sanctuarisé par la loi ; si l’accord est partiel, le gouvernement le complétera ; s’il n’y a aucun accord, ce dernier reprendra la main. En bref, si l’agenda social est chargé, son rythme est maîtrisé pour laisser toute sa place au dialogue social.

Jean-François Amadieu Professeur à l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne).

Bien des réformes ont tardé à être lancées, comme celles portant sur la représentativité, le financement syndical, la régulation des conflits, les régimes spéciaux ou le dialogue social dans la fonction publique. Et les partenaires sociaux n’ont pas tous montré leur empressement sur ces thèmes de négociation. Les uns et les autres ont cherché à retarder des évolutions qu’ils ne souhaitaient pas en s’appuyant sur les alternances politiques. L’allongement des discussions peut ainsi apparaître comme une simple tactique, mais s’agit-il seulement de cela ?

La négociation collective est un processus de décision qui requiert du temps car les partenaires sociaux doivent mener des discussions internes pour déterminer et modifier leurs positions. Or nos organisations syndicales n’ont pas la capacité à faire accepter rapidement des concessions aux salariés et aux militants. Dans un contexte marqué par les divisions et la montée du syndicalisme contestataire, elles ne peuvent guère endosser la responsabilité de réformes que les salariés ou les fonctionnaires ne comprendraient pas. La négociation et la publicité qui lui est donnée ont donc une vertu pédagogique, même si elle échoue. Au sein des entreprises, les négociations sont soigneusement réparties dans le temps pour permettre aux syndicats de jouer leur rôle. Au niveau des branches et de l’interprofessionnel, elles s’écoulent sur des temps longs. Après Grenelle, il a fallu plusieurs années pour que les partenaires sociaux aboutissent aux grands accords interprofessionnels qui ont jalonné le début des années 70. Dans les branches, songeons au temps qu’il faudra pour que les grilles de classification dites Parodi soient renégociées.

Sur le plan européen, il existe des règles remarquables puisque les partenaires bénéficient d’une véritable subsidiarité. Ils peuvent choisir de négocier dans le domaine social, après qu’une phase de concertation préalable a eu lieu en amont. Ils disposent alors de neuf mois au minimum pour aboutir à un accord. La multiplication des négociations et des concertations et le raccourcissement des délais ne créent pas les meilleures conditions pour avancer. Le gouvernement qui est tenu au dialogue depuis la loi de 2007 prendrait le risque d’échouer des réformes d’envergure. Mais le rythme très soutenu des annonces, la fermeté et le volontarisme réformateur se suffisent peut-être à eux-mêmes, le résultat réel important finalement moins que par le passé.

Bernard Spitz Président de BSConseil.

Trop vite ? Non. Ceux qui disent cela sont surtout ceux qui comptent sur l’enlisement de la volonté de réforme et qui n’ont aucune envie de traiter les sujets de fond. Depuis plusieurs décennies, la temporisation n’a ainsi servi qu’à faire le jeu des conservateurs et à spolier les jeunes générations. Reste à tenir le rythme engagé et à soigner la manière. Comme pour un nageur qui fonce dès le départ, le jugement se fera sur la ligne d’arrivée. C’est alors que l’on réalisera si l’athlète avait ou non présumé de ses forces. Il en va de la politique comme du sport. Les Français ont clairement donné mandat pour le changement à Nicolas Sarkozy. Celui-ci, qui sait que l’état de grâce n’a qu’un temps, joue avec ses atouts. La vitesse d’exécution en est un. Faire pression sur les partenaires sociaux en est un autre. D’autant que nombre de réformes n’ont que trop tardé, vu la situation économique et démographique de la France. L’exemple des retraites l’illustre. Pour un phénomène qui aurait pu être anticipé dès la fin des années 70, il aura fallu attendre 1991 pour que Michel Rocard démontre que la durée de cotisation devrait tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie ; et encore dix-sept ans et trois élections présidentielles pour que l’on en arrive à remédier à l’archaïsme des régimes spéciaux. Le rythme des réformes va donc presto, allegro peut-être, ma non troppo. D’autant que si le gouvernement attaque sur plusieurs fronts : dialogue social, service minimum, revue des politiques publiques, système de santé, carte judiciaire, représentativité, temps de travail, pénibilité…, en même temps, il dose le dialogue social. Il paraît ouvert aux négociations d’entreprise. Il multiplie les marques de considération à l’égard des syndicats. Il n’exclut pas non plus les compromis ni les reculs. Au prix de renoncements ? C’est le risque : l’arrêt net de la réforme de l’enseignement supérieur a ainsi laissé intacte la désastreuse spécificité française envoyant des pans entiers de jeunes dans le mur avec des formations sans sélection mais surtout sans débouchés. Les milieux les plus modestes alimenteront donc encore cette armée de futurs chômeurs dont la France a le triste record d’Europe.

L’enjeu final, ce n’est pas seulement d’avancer vite, c’est de le faire avec suffisamment de méthode pour sortir de cette séquence sans coûteux faux-semblants et avec des partenaires sociaux en état de construire à l’avenir par la négociation une vraie transformation sociale.