Rose-Marie Van Lerberghe, qui tient désormais chronique dans notre mensuel, a la réputation d’une énarque au franc-parler. Sa carrière s’est partagée entre des responsabilités dans l’administration de l’emploi et des fonctions dans le privé, toujours proches du social, chez Danone, ainsi qu’au cabinet-conseil Altedia. Mais l’actuelle présidente de la société Korian, spécialisée dans l’accueil des personnes âgées dépendantes, a choisi de braquer le projecteur sur son passage à la tête de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris, entre décembre 2002 et octobre 2006. « Vos chances sont à peu près nulles », l’avait prévenue son patron d’alors, Raymond Soubie, face à la multitude de pièges que recèle une telle machine : 39 hôpitaux, près de 19 000 médecins et de 75 000 personnels non médicaux, un budget de 5 milliards d’euros.

Comme le rappelait le président de l’AP-HP lors du départ de sa directrice générale, cette dernière ne parle pas pour rien quand elle vante les mérites de la « conception positive du conflit » chère à Hegel. « Dame de fer » du social, Rose-Marie Van Lerberghe a voulu, dès son arrivée, remettre en ordre de marche une institution menacée d’implosion. Elle a découvert combien la mise en œuvre « calamiteuse » des 35 heures a contribué à accroître le sentiment de désorganisation à tous les échelons. À quoi s’ajoute une crise budgétaire, le déficit de 40 millions d’euros constaté en 2001 ayant bondi à 100 millions l’année suivante. L’ouvrage relate le combat de tous les jours pour faire accepter son plan stratégique par tous les « pouvoirs parallèles » de l’hôpital – administratifs, médecins, infirmières – et retrace le choc de la canicule de 2003. De cette crise sanitaire elle tire une leçon : « L’énorme effort de médicalisation qu’impose le vieillissement de la population, que ce soit au domicile ou en établissement d’hébergement. »

L’essentiel du livre porte toutefois sur une problématique managériale en vogue aujourd’hui : comment convertir à la réforme et à de nouvelles formes d’organisation le service public. Si l’auteur estime avoir démontré qu’on pouvait « faire bouger les choses », à condition de s’appuyer sur les valeurs propres au service public, elle reconnaît avoir échoué à débloquer le dialogue social. L’autre blocage auquel elle s’est heurtée est celui des « politiques ». Mais on ressent à quel point cette « aventure intellectuelle, aventure humaine et émotionnelle », l’aura profondément marquée.