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Vie des entreprises

Substantielle évolution de la mobilité géographique

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.10.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Qu’elle s’exerce dans le cadre d’un reclassement, d’un accord de GPEC, d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’une clause ad hoc du contrat de travail, la mobilité géographique est – les DRH le savent – à manier avec précaution. La nouveauté, c’est qu’elle peut désormais, estime la chambre sociale, être exigée par le salarié pour des raisons familiales.

La restructuration n’étant plus un accident mais un phénomène parfois imprévu, en revanche jamais imprévisible, elle affecte souvent le contrat du salarié qui doit changer de lieu de travail et donc éventuellement perdre son emploi pour garder un emploi, qu’il s’agisse de mobilité préventive façon GPEC (C. trav., art. L. 320-2 : « mesures d’accompagnement de la mobilité géographique ») ou de reclassement en cas de projet de licenciement économique obligeant l’employeur à faire de telles propositions (Cass. soc., 17 juillet 2007) précises et forcément écrites (Cass. soc., 6 mars 2007). C’est d’ailleurs l’un des thèmes de la « sécurisation des parcours professionnels » en cours de discussion entre partenaires sociaux. Les jeunes générations y étant particulièrement sensibles, cette question fait également partie des réflexions menées en France, mais aussi à Bruxelles, sur l’articulation entre vie privée et vie professionnelle.

Complexe et évolutif en droit français, le droit jurisprudentiel de la modification du contrat a donc acquis une place centrale en droit du travail.

Pas seulement parce que la mobilité est un sujet sensible pour les fonctionnaires d’autorité que sont les magistrats du siège : à la fois inamovibles et à mobilité obligée s’ils veulent être promus.

Depuis trois ans, la Cour de cassation s’est intéressée de près à la clause de mobilité : directement avec l’arrêt du 17 juillet 2007 rappelant l’exigence d’un périmètre précis, mais aussi indirectement à travers les dégâts collatéraux éventuels nés de sa mise en œuvre, qu’il s’agisse des effets sur la rémunération du collaborateur muté (Cass. soc., 3 mai 2006) ou de l’article L. 120-2 du Code du travail : si une large mobilité ne porte pas frontalement atteinte à une liberté publique, ses effets bouleversent nécessairement la vie du salarié qui, à 47 ans, n’a plus les fantasmes extrême-orientaux de ses 23 ans mais toujours la même clause et désormais trois enfants.

De quoi faire réfléchir sur certains plans de GPEC en forme de vaste Tour de France ou sur l’étendue urbi et orbi de l’obligation de reclassement, bref sur « l’idée qu’on fera passer des salariés de Lille à Marseille ou de Strasbourg à Rennes. Le véritable espace de mobilité qui permet une saine gestion de l’emploi, c’est l’espace de mobilité du salarié. Celui qui permet de changer d’emploi sans avoir pour autant à déménager, vendre son pavillon, changer ses enfants d’école et trouver un nouveau travail pour son conjoint. C’est autour de ce juste territoire que doivent se concentrer les efforts de tous, ce qui passe par une profonde remise en cause des mentalités et des pratiques » (Sylvain Morel, DRH du Printemps, « Ne pas se tromper de mobilité », la Tribune, 24 mai 2007). Le roi est nu, mais pas forcément le juriste qui a séparé depuis longtemps mobilité dans le même secteur géographique, simple changement des conditions de travail et départ à l’autre bout de la France, modification du contrat pouvant être refusée. Mais aussi puissance du droit : une clause de mobilité licite peut transformer une mutation Lyon-Singapour en un petit changement des conditions de travail devant être accepté. Deux nouveautés pour 2007.

UN DROIT À LA MOBILITÉ POUR RAISONS FAMILIALES

Signe d’une démarche jurisprudentielle nouvelle ? L’arrêt du 24 janvier 2007 met en scène une mobilité exigée par une salariée, vendeuse à Valenciennes, ayant pris un congé maternité puis parental, et sans doute aussi un peu de recul. Plusieurs mois avant son retour, elle demande à pouvoir rejoindre une succursale nettement plus ensoleillée : celle d’Avignon, où elle réside désormais avec son concubin. Hélas ! mille fois hélas ! aucun poste n’y est disponible lui est-il répondu, avec rappel de son affectation à Valenciennes. Poste initial qu’elle refuse de reprendre à l’issue de ses congés : licenciement pour abandon de poste.

Alors que, croyant être dans la ligne, la cour d’appel avait jugé que, malgré ces contraintes familiales bien réelles, l’employeur n’avait pas l’obligation de proposer les postes disponibles (qui, en réalité, existaient bel et bien en Avignon), la chambre sociale casse le 24 janvier 2007, dans un arrêt certes non publié, mais au visa tout de même des articles 8 de la CEDH et L. 120-4 du Code du travail : « Le juge aurait dû rechercher les raisons objectives s’opposant à ce que l’un des postes disponibles dans la région d’Avignon soit proposé à Mme N., contrainte de changer de domicile pour des raisons familiales impérieuses. La décision de l’employeur de maintenir son affectation à Valenciennes, alors qu’il était informé depuis plusieurs mois de cette situation, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle. »

Le fondement de ce singulier arrêt est donc double, sinon trouble : la bonne foi énoncée dans l’article L. 120-4 du Code du travail, expressément visé, mais également le très explosif article L. 120-2, absent du visa mais bien présent dans le dispositif (« atteinte disproportionnée à la liberté de choix du domicile »). On imagine à cette aune le sort funeste des clauses de mobilité géographique dont la fonction n’est justement pas de muter le salarié à 6 kilomètres si elles devaient être soumises à ce régime. Si, de jure, elles n’interdisent pas au salarié épris de TGV ou d’A 5 de garder le même domicile (« une mutation géographique ne constitue pas, en elle-même, une atteinte aux libertés fondamentales quant au libre choix du domicile du salarié », Cass. soc., 28 mars 2006) et a fortiori en nos temps de télétravail avec le haut débit, de facto, leur mise en œuvre implique un tel changement.

Une telle évolution jurisprudentielle était, il est vrai, prévisible : échaudée par des propositions de mobilité conçues pour être refusées et conduisant à un licenciement pour faute, la Cour de cassation s’intéressait depuis plusieurs années à la compatibilité entre des clauses de mobilité trop générales et impersonnelles et l’article L. 120-2 du Code du travail. Semblant hésitante entre cet article relatif aux libertés fondamentales et le simple respect de la bonne foi contractuelle (C. trav., art. L. 120-4), elle notait dans son rapport 2005 publié en avril 2006 : « Il n’est pas nécessaire que le salarié démontre un abus de droit ou une légèreté blâmable de son employeur : il suffit qu’il établisse le manquement à la bonne foi. Cette notion permet au juge de prendre en considération des éléments tirés de la situation individuelle de chaque salarié (fragilité familiale ou de santé). »

Que le chef d’entreprise prenne en considération les contraintes, voire les desiderata de ses collaborateurs, c’est évidemment très souvent le cas, ne serait-ce que pour garder les meilleurs. Certains accords collectifs ou de GPEC prévoient d’ailleurs des priorités, parfois même un ou deux droits au refus (cf. accord EDF du 13 février 2007). Mais de là à créer un droit à la mobilité géographique opposable, dépendant des choix éminemment personnels et donc très individualisés de chaque parent-époux-enfant, sans parler des fraudes éventuelles (cf. les tactiques de rapprochement dans l’Éducation nationale)… Entre le Pacs, le divorce avec droit de visite ou la nécessaire proximité de parents du quatrième âge, tout collaborateur ou presque a ses propres contraintes familiales, à ses yeux forcément impérieuses et aujourd’hui de plus en plus variées. Et c’est justement pour éviter ce type de casuistique sans fin nécessitant d’entrer dans la vie privée du salarié que la chambre sociale avait abandonné il y a quinze ans l’analyse subjective au profit de l’analyse objective du « secteur géographique », que certes nombre de juges du fond appliquent parfois… subjectivement.

REFUS D’UNE MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE

Même s’agissant d’une mobilité-sanction disciplinaire (voir flash), une véritable modification du contrat peut toujours être refusée sans commettre de faute. Mais en cas de simple changement des conditions de travail ? Ainsi du salarié brestois titulaire d’une clause de mobilité « France métropolitaine » refusant de rejoindre son nouveau poste à Vesoul. Si nombre d’entreprises visaient alors la faute grave sans y croire vraiment elles-mêmes, c’est que cette solution permettait d’évacuer l’épineuse question du préavis. Car, en cas de simple faute réelle et sérieuse, et à moins que l’employeur généreux mais peu soucieux de contagion ne décide de l’en dispenser, il peut exiger que le salarié l’effectue aux nouvelles conditions, donc parte pour quelques mois à Vesoul : humour noir peu apprécié du futur licencié (pour ce motif).

L’arrêt du 17 juillet 2007 a donc légitimement cherché à concilier les intérêts de chacun. À la suite de son refus de mutation de Boulogne-Billancourt à Épône, un salarié est licencié pour faute grave (« absence injustifiée prolongée malgré mise en demeure »). Réponse en deux temps de la chambre très sociale :

• Classique depuis 2004 : « Le refus par le salarié du changement de ses conditions de travail, s’il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ». On ne peut en effet raisonnablement « traiter comme une voleuse » une jeune maman ne pouvant être mobile car jonglant avec crèche, collège et lycée. Simple cause réelle et sérieuse donc : le salarié va-t-il toucher indemnité de préavis et indemnité de licenciement ?

• « Le refus du salarié de poursuivre l’exécution de son contrat en raison du simple changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction le rend responsable de l’inexécution du préavis qu’il refusait d’exécuter aux nouvelles conditions. »

Solution de conciliation : puisqu’il s’agit d’une simple faute réelle et sérieuse, le collaborateur va toucher son indemnité de licenciement mais non celle de préavis. La chambre sociale rappelle que l’employeur pouvait exiger qu’il fût effectué au nouveau lieu d’affectation. Puisqu’il n’est pas exécuté du fait du salarié, il ne sera pas payé. Et il ne s’agit pas de sanction pécuniaire, mais de bien banal droit des contrats. Bien vu !

FLASH
Mobilité lointaine à titre disciplinaire

Ce simple énoncé fait douter de l’opportunité de cette solution : additionner la sévérité du régime de la modification du contrat à celle du droit disciplinaire relève du masochisme. Cette mobilité-sanction était-elle prévue par le règlement intérieur ? Même s’il s’agit de la simple mise en œuvre d’une clause de mobilité, l’employeur a-t-il respecté la procédure contradictoire ? Cette sanction n’est-elle pas disproportionnée à la faute commise ? En cas de réponse négative à l’une de ces trois questions, annulation pure et simple de la mobilité illicite et droit au retour au poste initial (Cass. soc., 20 décembre 2006). Seul motif de satisfaction patronale, le salarié ne pourra invoquer la règle non bis in idem : « Une modification du contrat prononcée à titre de sanction disciplinaire contre un salarié ne peut lui être imposée. En cas de refus, l’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction, aux lieu et place de la sanction refusée » (Cass. soc., 10 juillet 2007). Bref, souvent ici un licenciement pour faute… mais alors hors délais disciplinaires ? « Lorsque le salarié refuse une mesure de rétrogradation disciplinaire notifiée après un premier entretien préalable, l’employeur doit le convoquer à un nouvel entretien, le délai d’un mois maximum prévu par l’article L. 122-41 courant après le second entretien » (Cass. soc., 27 mars 2007).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray