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Vie des entreprises

Plus belle la vie de bureau sur Second Life ?

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.09.2007 | Fanny Guinochet

La célèbre plate-forme commence à séduire les entreprises. Surtout pour recruter. Certaines créent leur espace RH, d’autres tiennent forum ou draguent les diplômés sur un campus virtuel.

Dans la vraie vie, Vincent Delpeux a 42 ans, habite Lyon et gagne sa vie comme plasticien. Par curiosité, mais aussi avec l’espoir d’arrondir ses fins de mois, Vincent s’inscrit, en janvier, sur le site Second Life, ce monde virtuel imaginé en 2003 par le groupe californien Lindel Lab : « J’avais entendu parler de Anshe Chung, cette Allemande d’origine chinoise qui a fait fortune sur Second Life en vendant de l’immobilier virtuel. J’ai voulu tenter ma chance. » Vincent crée gratuitement son « avatar », c’est-à-dire son personnage, un bel éphèbe musclé qu’il nomme Laszlo : « Très vite, je me suis rendu compte que, comme dans la vraie vie, sans apport pour investir, il faut travailler. » Vincent-Laszlo se met donc en quête d’un job. Mais ceux qu’il se voit proposer sont déroutants : figurant, prostitué, dealer… Il décline les offres, jusqu’à ce qu’un avatar rencontré au gré de ses pérégrinations le mette en relation avec un patron de boîte de nuit qui l’embauche comme agent d’entretien.

Pour une journée, Laszlo gagne 500 linden dollars, la monnaie locale, versée sur son compte en banque virtuel, soit 1,50 euro. S’il le souhaite, il peut transférer ce gain sur son vrai compte en banque et le convertir en dollars américains. « C’est la spécificité de Second Life, ce qui le différencie d’un jeu vidéo classique et en fait une véritable extension du monde réel », note François Abiven, patron de l’agence de marketing Repères, présente sur Second Life.

Très vite, Vincent-Laszlo est las de balayer pour si menu pécule. Il fait preuve d’absentéisme : « Mon patron m’a viré. Tout s’est fait oralement. » Et pour cause, « sur Second Life, le vide juridique est total. Pas de contrat ni de Code du travail qui tiennent ! » assure Michel Gensollen, chercheur en économie de l’Internet à l’École nationale supérieure des télécommunications (ENST). « Pour le moment, les prestations concernent des salaires dérisoires – de 50 à 100 linden dollars l’heure, soit 0,15 à 0,30 euro –, les litiges sont limités. Mais si une véritable économie se développe, des recours juridiques apparaîtront. »

Les RH se développent. En attendant, dans les « îles » – régions de Second Life –, Vincent-Laszlo ère : « Je suis un chômeur non indemnisé ! » Si l’ANPE n’existe pas encore, des entreprises aussi prestigieuses que Dior, Dell, Lacoste, Cetelem, Adidas ou Nissan… se sont installées dans cet univers. « Au début, elles ont surtout cherché à exister commercialement, en exposant leurs produits. Puis elles ont vu l’intérêt d’utiliser la plate-forme 3D en matière de RH », assure Stanislas Magniant, directeur conseil chez Publicis, qui étudie le phénomène pour des grandes marques.

La plate-forme revendique plus de 6 millions d’inscrits à travers le monde, dont 50 000 se croisent quotidiennement. D’après Delphine Gatignol, directrice chez ComScore, un institut d’études spécialisées, « derrière les avatars se cachent des personnes créatives, au goût prononcé pour les innovations technologiques ; 51 % sont des hommes, la plupart ont entre 25 et 35 ans ». Un réservoir de compétences que les banques, mais aussi les entreprises de communication ou les sociétés high-tech cherchent à « capter » via des opérations de « v-recrutement » (pour recrutement virtuel). En créant sur son île un espace totalement dédié aux RH dès novembre 2006, IBM fait figure de pionnier : « C’est une façon innovante de recruter des techniciens, des experts en logiciels dont nous avons besoin », explique Michael Kiess, chargé du dossier chez IBM. Pour répondre aux postulants dans Second Life, le groupe américain a demandé à ses salariés de créer des avatars… 300 ont déjà joué le jeu. Résultat ? « Nous avons collecté une centaine de CV. Beaucoup ont des profils plus atypiques que les candidats habituels », assure Michael Kiess. Accenture table sur un succès équivalent avec sa bulle RH, lancée en juin. Dans cet espace ultradesign, en forme de balle de golf, le principe est le même : les avatars-candidats s’inscrivent pour des entretiens avec des avatars-recruteurs. « Mais, très vite, on fixe un entretien dans la vraie vie », assure Caroline Rigaud, directrice du recrutement. En juin, L’Oréal, Areva, Capgemini, Alstom et Unilog se sont associés pour un forum de l’emploi sur Second Life : « Exactement comme de véritables journées portes ouvertes », souligne Pierre-Hervé Bazin, responsable du département jeunes cadres et ingénieurs pour Areva. « Sur un marché de l’emploi tendu, Second Life fournit un outil en plus, avec une interactivité plus intéressante que le simple job board. L’entreprise est active, elle ne se contente pas de recueillir des CV. »

Campus virtuels. Les professionnels du recrutement comme Randstad, Monster ou Vedior se bousculent pour ouvrir boutique. Enfin, il est déjà possible de débaucher les jeunes diplômés de Harvard, Stanford, NYU, mais aussi de l’Insead sur leurs campus virtuels. Dans ces répliques avec amphithéâtres, labos de recherche et bar lounge, des avatars-professeurs dispensent des cours à des avatars-étudiants, disséminés partout sur la planète. Plus ludiques qu’une simple vidéoconférence, et moins coûteux. Directeur de l’Atelier BNP, chargé de l’île BNP, Louis Treussard promet d’ailleurs : « Nombre de conférences métiers, de séminaires et cursus de formation sont en préparation. » À ce rythme, sur Second Life, une véritable vie de bureau se met en place. Sera-t-elle moins stressante que dans le réel ? Pas sûr. En prévision, quelques psychothérapeutes ont déjà ouvert leur cabinet virtuel…

6 millions d’inscrits

Avec 8 % des inscrits, les Français formaient, au printemps dernier, la troisième communauté de Second Life, derrière les Américains (31 % des inscrits) et les Allemands (16 %).

Auteur

  • Fanny Guinochet