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Vie des entreprises

Georges Dao, patron du BTP et champion de la fidélisation

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.09.2007 | Nadia Salem

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Un investissement accru en formation continue En euros

Crédit photo Nadia Salem

CDD, contrat unique… très peu pour lui. Le P-DG de Cari, un poids moyen du BTP en pleine croissance, ne jure que par le CDI et recrute jeunes, femmes et seniors. Avec, à l’appui, une politique de formation innovante et un dialogue social serein.

Georges Dao aime les défis. Ce Marseillais de 59 ans, pur produit de la construction, en a relevé un de taille : le rachat, en 2004, de Carillion BTP, société du groupe britannique Tarmac, dont il était président du directoire. La maison mère voulait céder sa filiale. Ni une ni deux, ce fort en maths, polytechnicien, passé par Vinci, convainc quelques cadres français et le fonds d’investissement Ciclad de se lancer dans un LMBO. Le board anglais acquiesce et le voilà P-DG et propriétaire – à 51 % avec 14 managers – de ce qui deviendra Cari. Désormais « libre d’agir », il entend faire de cette « petite du BTP » une grande. À ceux qui le soupçonnent de vouloir jouer dans la cour des grands : « Nous y sommes déjà, dit-il, poussés par la demande des clients dans toute la France. » Néanmoins, il doit plaider sa cause auprès des banquiers, qui voudraient le voir freiner ses investissements. Mais aussi en interne où il bouscule les habitudes du management et innove en matière de recrutement et d’intégration. Une stratégie payante puisque Cari, numéro six du secteur en France, 2 400 salariés aujourd’hui, a recruté 900 personnes en 2006 et s’apprête à en embaucher 700 cette année malgré la perte d’un gros contrat l’an passé, celui de la construction du stade de Nice, où le groupe possède son siège. Mais Georges Dao ne jure que par la confiance et l’anticipation. « Les gens croient en ceux qui croient en eux », aime-t-il répéter. Et il investit sur le long terme, persuadé que « c’est plus facile aujourd’hui que cela le sera dans trois à cinq ans ».

1 Diversifier les recrutements

Pour renouveler son personnel ouvrier qui va partir massivement à la retraite, le groupe a choisi de ne pas faire appel à la main-d’œuvre étrangère mais de puiser de façon volontariste dans plusieurs viviers. « Bien sûr, nous pourrions faire venir des ouvriers polonais, mais ils ne cherchent pas à rester. Or nous voulons investir dans l’avenir », explique le P-DG, qui préfère miser sur les jeunes, les seniors mais aussi les femmes. « Nous sommes convaincus que la présence de femmes sur les chantiers permettra progressivement d’améliorer la qualité, la sécurité et de redorer l’image du secteur », remarque la DRH Nathalie Malan, recrutée en 2004 chez Neuf Cegetel pour créer une véritable direction des ressources humaines, forte aujourd’hui de 45 personnes.

Une étude menée avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) a montré qu’environ 90 % des postes offerts par Cari pouvaient convenir aux femmes. Et, depuis trois ans, l’entreprise mène des opérations de sensibilisation, en partenariat avec l’ANPE et l’enseigne de travail temporaire Adia notamment, pour les attirer vers les métiers du BTP. Il a fallu ensuite vaincre les réticences internes. « Mais plus les femmes seront nombreuses, plus leur place deviendra naturelle », insiste Georges Dao, qui remarque qu’elles ne représentent que 12 % des cadres de l’entreprise, mais déjà 30 % chez les moins de 30 ans. Sur les chantiers, elles sont aujourd’hui 36 – elles étaient 3 en 2005 – et des objectifs de recrutement ont été fixés aux directions régionales pour atteindre les 100 d’ici à la fin de l’année.

Mais Cari va aussi chercher du côté des personnes en situation précaire. L’entreprise travaille avec les plans locaux pour l’insertion et l’emploi, les missions locales, un organisme de reclassement (ESCCOM) et les entreprises de travail temporaire d’insertion comme TPlus, une filiale d’Adecco spécialisée dans l’insertion.

2 Fidéliser les salariés

Dans le BTP, recruter est une chose, garder ses collaborateurs en est une autre. Loin de pouvoir rivaliser avec les majors Vinci, Bouygues ou Eiffage, Cari – qui connaît un turnover de 16 % – joue sur plusieurs tableaux, à commencer par l’intégration et le suivi des jeunes. Sous l’impulsion de Georges Dao, elle a commencé par mettre en place des parcours initiatiques d’un an destinés aux jeunes cadres à haut potentiel. « Pour manager, il faut autre chose qu’une tête bien faite et des valeurs, estime Georges Dao. Il faut aussi des tripes, de la conviction. Dans des organisations comme les nôtres où tout fait l’objet de procédures, ce qui fait la différence entre deux candidats, c’est la manière dont ils vont les utiliser et les faire appliquer aux autres. »

Du coup, les jeunes à potentiel repérés par leur hiérarchie sont soumis à diverses épreuves : un combat avec la championne olympique d’escrime Laura Flessel et un match de handball avec une équipe niçoise de haut niveau. Au-delà des défis sportifs, ils participent à des journées de cohésion d’équipe, de visites de chantiers ou de services, ainsi qu’à des séances de travail avec l’Edhec. Toujours pour améliorer le management, et rassurer les nouveaux arrivants, Cari a institué des séances matinales chaque lundi, « les dix minutes chantier », en présence de responsables RH pour désamorcer les problèmes.

Dans l’optique de fidéliser un large volant de salariés, Cari s’efforce également de réduire le recours à l’intérim, qui représente depuis le début de l’année 55 % des entrants. Première étape, Cari s’est fixé un plafond de 20 % d’ici à la fin 2007. Une politique approuvée par les syndicats. « Les intérimaires, insuffisamment formés, nous posent des problèmes de sécurité sur les chantiers », déplore Pascal Roulant, de FO. Le P-DG regrette cependant qu’« un volant incompressible de 10 % d’intérimaires soit nécessaire pour répondre à la saisonnalité de l’activité ». L’entreprise a instauré une véritable gestion des intérimaires qui passe par la sélection de partenaires agréés. Et la direction demande à l’encadrement des chantiers d’anticiper le besoin de personnel pour pouvoir faire appel à l’intérim en toute connaissance de cause. En 2006, 370 cadres ont été sensibilisés à cette question.

Pour garder son personnel, Cari favorise enfin la cooptation, source, selon lui, d’une meilleure intégration. Outre son coût inférieur aux honoraires de cabinets spécialisés, elle valorise les salariés, impliqués dans le choix des nouveaux collaborateurs, et retarde les départs. « Car les salariés cooptés savent où ils mettent les pieds. On leur a parlé de l’entreprise », souligne le P-DG. En 2006, 55 % des embauches ont ainsi été réalisées grâce à ce dispositif.

3 Privilégier la formation interne

« Le BTP est encore un des rares secteurs où l’on n’a pas besoin de diplômes pour progresser. On apprend sur le tas », note Amado Garrido, responsable de la formation chez Cari, qui consacre 4,5 % de sa masse salariale à la formation professionnelle. Pour 2007, l’entreprise a provisionné 1,5 million d’euros pour près de 28 000 heures de formation. « Ce budget pourrait augmenter de 1 million d’euros en fonction des demandes des salariés, comme cela a été le cas en 2006 », affirme Nathalie Malan, la DRH. Et si ces formations ont porté sur l’adaptation aux métiers du BTP, sur le développement individuel, le management ou l’informatique, un tiers d’entre elles ont surtout concerné la sécurité, point noir du secteur.

Chez Cari, l’absentéisme pour cause de maladie et d’accidents du travail se chiffre à 175 000 heures par an, soit 5,59 % de la masse salariale totale de l’année (contre 6,40 % en 2004). Pour enrayer le mouvement, Cari a recruté en début d’année un directeur de la prévention et de la sécurité. « Il y a désormais un vrai souci de prévention, note Manuel Estèves, formateur à Reims. Dans chaque module de formation destiné aux jeunes se trouve une formation à la sécurité et au mode opératoire. »

Plus généralement, Cari privilégie la formation interne pour avoir des collaborateurs « opérationnels tout de suite », précise Manuel Estèves. L’entreprise compte actuellement 70 formateurs maison, dont 5 à temps plein. Leur tâche principale consiste à encadrer le dispositif Cari jeunes mis en place en 2004 et destiné à des personnes de 18 à 25 ans (jusqu’à 35 ans pour les femmes) sans aucune expérience dans le bâtiment. La formation est fondée sur l’alternance de cours théoriques et pratiques sous la responsabilité d’un tuteur. Répartis en groupes de sept ou huit, ces « jeunes » commencent par deux mois d’immersion sur les chantiers, en intérim. À l’issue de cette période, ceux qui le souhaitent et qui répondent aux attentes de l’entreprise sont embauchés en CDI. C’est le cas de 75 % d’entre eux. Résultat : avec ces recrutements, la pyramide des âges s’est inversée.

Cari met également l’accent sur le tutorat et le parrainage afin de « faciliter l’intégration et la transmission des savoirs », précise la DRH. Un dispositif de tutorat formalisé avec une charte d’engagement et un livret de suivi qui permet de valoriser également les seniors, courtisés eux aussi par l’entreprise.

4 Maintenir un dialogue social serein
En 2006, les syndicats de Cari ont décroché un treizième mois pour les ouvriers qui ont plus de quatre ans d’ancienneté

La croissance rapide de l’entreprise depuis 2004 a, de fait, davantage structuré les relations sociales. Cari compte sept comités d’entreprise dans l’ensemble des directions régionales ainsi qu’un comité central d’entreprise. FO, la CGT, la CFDT et la CFTC sont représentées. La direction reste néanmoins « très accessible », estime Mohamed Hanini, délégué central CGT. Sur le site de Carros (Alpes-Maritimes), nombreux sont les ouvriers qui appellent le P-DG par son prénom. Les représentants du personnel se considèrent d’ailleurs comme l’« interface » entre la direction et les salariés, au risque parfois de se voir traiter de « suppôts » de la direction. Pour parer la critique, les protocoles d’accord sont longuement expliqués au personnel.

Georges Dao se targue de n’avoir connu aucun jour de grève ces dernières années : plutôt un « bon signe », selon lui.

Parmi les succès syndicaux figure la signature, en 2006, d’un accord de prévoyance. Cari prend en charge à 100 % la mutuelle des salariés, en CDI ou en CDD. Autre victoire, l’obtention de titres-restaurants pour tous les salariés, à l’exception du personnel de chantier qui bénéficie de primes de panier.

Quant aux négociations salariales, sujet de préoccupation majeur, « cela fait deux ans qu’elles sont validées par le CCE », se réjouit Nathalie Malan. Cari, qui compte 25 % de salariés actionnaires, rémunère, selon la direction, « légèrement au-dessus du marché ». Sachant que l’échelle des salaires peut varier du simple au double selon l’expérience. Un chef de chantier commence à 1 800 euros brut par mois et peut terminer sa carrière à 3 600 euros. Chaque année, direction et syndicats se mettent d’accord sur le niveau d’augmentation général des salaires et sur la répartition entre part variable et part fixe. Depuis 2000, 5 % d’augmentation par an ont été accordés, sauf en 2006 où la hausse n’a pas dépassé 2,3 %. Les dernières négociations n’ont débouché que sur des augmentations individuelles, effectives au 1er juillet, ne dépassant pas 1,5 %. Mais, en primes, les cadres ont perçu jusqu’à trois mois de salaire et les ouvriers jusqu’à un mois.

Dernier bonus, les syndicats ont décroché en 2006 un treizième mois pour les ouvriers qui ont plus de quatre ans d’ancienneté. Ce qui n’est pas du goût des nouveaux. « Ça fait trente ans qu’on se bat pour l’avoir, les jeunes peuvent attendre ! » estime Mohamed Hanini, de la CGT. Les nouvelles recrues n’ont qu’à prendre leur mal en patience.

Repères

Avec 900 embauches en 2006, 700 prévues en 2007, Cari (2 400 salariés) connaît une forte croissance.

Son chiffre d’affaires 2006, en progression de 30 % par rapport à 2005, s’élève à 418 millions d’euros. Le groupe s’est fixé pour objectif de dépasser les 600 millions d’euros de chiffre d’affaires et les 3 000 salariés en 2011.

1991

Le groupe britannique Tarmac achète 70 % des parts de Nicoletti, entreprise niçoise de BTP créée en 1906.

1999

Tarmac BTP change de nom et devient Carillion BTP.

2004

Carillion BTP devient Cari par une opération de LMBO.

2005

Cari rachète l’entreprise Mazza BTP à Lyon.

Un investissement accru en formation continue En euros
ENTRETIEN AVEC GEORGES DAO, P-DG DE L’ENTREPRISE DE BTP CARI
“Je préfère investir en CDI, même si cela coûte plus cher, car j’aurai un retour sur investissement”

Cari est né en 2004 d’une opération de LMBO. Le capital-risqueur influence-t-il votre management ?

Ciclad a été un véritable partenaire pour Cari. Les dirigeants nous ont épaulés dans l’opération de rachat et dans la négociation complexe avec les banquiers. Leur aide a été cruciale parce qu’ils avaient l’expérience. Eux-mêmes sont en LMBO. Ce qui les intéresse, c’est surtout la stratégie et la motivation du manager. Tous les trois mois, devant un comité stratégique, j’expose mes orientations. Pendant quatre à cinq heures je suis sur la sellette. Mais, à la différence du grand groupe britannique auquel Carillion BTP appartenait, nous disposons désormais d’une marge de manœuvre accrue. Culturellement, il a même fallu convaincre les managers qu’ils pouvaient oser.

Pour le recrutement, comment vous différenciez-vous de vos concurrents ?

Le recrutement a repris quatre ans avant le rachat. Pendant sept ans, Carillion BTP n’avait plus recruté. Nous ne savions plus faire. La première chose que j’ai souhaité mettre en place, c’est la cooptation, assortie d’une prime de 400 euros pour bien montrer que coopter ce n’était pas pistonner.

Sur le segment cadres, où nous avons du mal à embaucher, là où Bouygues et Vinci ont multiplié les étapes, j’ai imposé l’embauche au premier entretien. J’ai convaincu les managers que le véritable recrutement se faisait à l’issue de la période d’essai. Avec cette méthode, nous n’avons pas beaucoup augmenté le pourcentage d’échecs. Nous sommes actuellement aux alentours de 8 %. Par ailleurs, les CDD sont bannis chez nous. Plutôt que de payer les 6 % de prime de précarité à l’issue d’un contrat, je préfère embaucher en CDI et me préoccuper en amont de la fin du chantier. Un autre entrepreneur peut en avoir besoin…

Assouplir le contrat de travail vous aiderait-il à recruter ?

Notre intérêt consiste à réduire la précarité car l’enjeu essentiel dans nos métiers, c’est la fidélisation. On a la chance de ne pas redouter la délocalisation. Il faudra toujours construire. Et, de l’ouvrier à l’ingénieur, il faut trois à cinq ans pour bien maîtriser les métiers. Assurer des chantiers ayant la certification qualité-sécurité-environnement avec des gens de passage, ce n’est pas réaliste. Je préfère investir en CDI dans des jeunes ou des femmes, même si cela me coûte plus cher, car je sais que j’aurai un retour sur investissement. Mieux vaut recruter maintenant que d’en baver demain. Car, dans trois à quatre ans, la pression sera encore plus forte…

Allez-vous tirer profit de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

Effectuer des heures supplémentaires pour faire progresser l’activité et le pouvoir d’achat, c’est positif. Du point de vue de l’entreprise et surtout pour nos métiers du BTP, c’est autre chose. Le personnel s’est habitué aux 35 heures. Je ne suis pas sûr qu’il veuille travailler plus. Nous sommes en outre organisés en équipes. Il est donc impossible d’avoir un horaire à la carte.

De plus, la mise en place des 35 heures a été une usine à gaz. Nous avons mis deux ans à les mettre en œuvre. Les heures supplémentaires abondent un compte de modulation. Elles sont transformées en journées libérées et l’entreprise peut payer jusqu’à quatre-vingt-dix heures supplémentaires majorées de 25 %. Aujourd’hui, avec ce système, deux tiers des salariés les récupèrent en vacances et un tiers en salaire. Le fait de défiscaliser est bien la preuve qu’il faut une incitation pour favoriser le développement des heures supplémentaires, car ni les entreprises ni les salariés ne seront moteurs.

Quel usage faites-vous de la sous-traitance ?

Chez Cari, on essaie de ne travailler qu’avec des gens que l’on connaît. Notre seul problème, c’est celui du faux. Nous n’avons pas les moyens de vérifier la véracité des documents qui nous sont présentés. Nous avons en revanche limité le nombre de sociétés d’intérim partenaires. Il y a deux ans, nous fonctionnions avec 150 sociétés, aujourd’hui elles ne sont plus qu’une vingtaine. On a fait le ménage. Les sociétés d’intérim avec lesquelles nous travaillons ont pignon sur rue. C’est une garantie pour éviter le travail au noir.

Propos recueillis par Nadia Salem et Sandrine Foulon

GEORGES DAO 59 ans.

1971

Diplômé de Polytechnique.

1990

Directeur régional Côte d’Azur chez Gagneraud.

1992

Entre chez Nicoletti comme directeur général.

2002

Devient président du directoire de Carillion BTP.

2004

Rachète avec 14 managers 51 % de Carillion BTP et devient P-DG de Cari.

Auteur

  • Nadia Salem