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Enquête

Patronat et syndicats sont-ils prêts à jouer le jeu ?

Enquête | publié le : 01.09.2007 | Fanny Guinochet

Défendre les intérêts de son camp sans s’arc-bouter sur des schémas dépassés… pas facile. Entre soutiens et oppositions tranchés aux réformes, les partenaires sociaux vont devoir se positionner.

Le bal des négociations est ouvert. Syndicats et patronat ont jusqu’à la fin de l’année pour s’entendre sur la réforme du marché du travail et lancer le chantier de la représentativité. Sans quoi le gouvernement décidera sans eux. Revue de détail des attentes des différentes organisations.

Les partenaires

En tête de liste des partenaires pressentis, la CFDT, souvent présentée comme le seul syndicat capable de s’engager dans des compromis. Le gouvernement l’a bien compris. Le 25 mai, lorsqu’il reçoit son secrétaire général, Nicolas Sarkozy sollicite son avis sur la méthode pour organiser les différentes conférences de la rentrée. « Il s’est adressé à lui comme s’ils étaient dans le même camp. Pour le président de la République, François Chérèque fait clairement figure d’allié, assure un conseiller de l’Élysée. Toute la difficulté pour la CFDT consistera à ne pas se laisser instrumentaliser, ou à être suffisamment habile afin de ne pas le montrer. »

Heureusement, l’épisode CPE n’est pas loin. Opposé au contrat première embauche, François Chérèque a prouvé à cette occasion qu’il pouvait montrer les dents. « Ce fut une bouffée d’oxygène, la CFDT redevenait une référence. Mais c’est évidemment insuffisant pour gommer le traumatisme de 2003 sur les retraites », affirme Jacqueline Giraud-Eyraud, l’ex-patronne revendicative de la CFDT Paca. « Sur le CPE, Chérèque a fait la démonstration qu’il savait rester dans l’unité. Va-t-il pouvoir tenir la ligne ? » s’interroge Marc Blondel, ancien leader de FO. Sur les retraites, la centrale a payé cher le baiser à Fillon. Des dizaines de milliers d’adhérents ont rendu leur carte. Bras droit du secrétaire général, Marcel Grignard précise : « Si la CFDT est prête à négocier, pas question d’aller sur le bûcher. » Bref, en 2007, la centrale ne prendra pas le risque de passer pour traître aux yeux des autres syndicats.

Parisot à 100 % sur la ligne Sarko. Autre allié du gouvernement, le Medef. En témoigne la réaction exaltée de Laurence Parisot après la victoire de Nicolas Sarkozy. « Ceux qui avaient encore des doutes savent à quoi s’en tenir, assure Maryse Dumas, à la CGT. Parisot est à 100 % sur la même ligne que Sarkozy. » Au Medef, le communiqué débordant d’enthousiasme que la présidente a tenu à rédiger elle-même, le 6 mai au soir, a suscité des critiques. Dans les rangs de l’UIMM, nombre de détracteurs estiment qu’il vaut mieux laisser le gouvernement agir. « Pas la peine de parler sécurisation des parcours avec des syndicats qui ne veulent rien entendre, alors que Sarkozy fera le boulot », assure un ténor de la métallurgie.

La tactique peut se révéler dangereuse : sur quelques sujets clés, les convergences ne sont pas si explicites. À propos de la fusion Unedic-Anpe, par exemple, Laurence Parisot n’a pas de marge en interne : impossible à faire avaler à Denis Gautier-Sauvagnac, vice-président de l’Unedic, et à ses troupes. « Les Medef territoriaux ne comprendraient pas que Laurence Parisot brade le paritarisme. Ils sont administrateurs des Assedic, des mandats dont ils ne peuvent se passer », souligne un ancien patron du CAC 40. Même limite sur le contrat de travail. Au contrat unique de Nicolas Sarkozy, le Medef préfère un « CDI de mission ».

L’adversaire résolu

La contestation, la CGT connaît. C’est la partition qu’elle joue le mieux. Lors de la délibération sociale initiée par le Medef en octobre 2006, elle a signifié tout de go son envie de garder ses distances en réclamant un statut d’observateur. Partagée entre désir de modernisation et nostalgie de la lutte des classes, la centrale reste enfermée dans son immobilisme. « Au final, c’est toujours le même dénouement. La CGT conteste mais laisse aux pouvoirs publics le choix des décisions », note un dirigeant de FO. À sa décharge, il est presque impossible pour Bernard Thibault de rejoindre le camp des réformistes, tant pèsent encore en interne ses militants orthodoxes, issus pour l’essentiel du secteur public. « Le passage d’un syndicalisme de protestation à un syndicalisme de proposition n’est pas gagné », assure Pierre-Jean Rozet, président du groupe CGT au CES. Le numéro un de la CGT doit composer avec une ligne dure à la SNCF, à La Poste, dans la métallurgie ou la chimie. Didier Le Reste, patron des cheminots, ne lui fait pas de cadeau, pas plus que la très raide Maryse Dumas. « Elle tient une ligne très dure sur l’emploi et la sécurisation des parcours. Aucun accord ne pourra être signé », pronostique un expert.

Si bruyants soient-ils, ces cris de guerre pourraient rester vains. Car, sur le terrain, le bras de fer a du mal à prendre forme. Après la présidentielle, la CGT, majoritaire, avait appelé la SNCF à la grève. En pure perte. En fait, pour faire passer ses réformes, le gouvernement n’a pas besoin de la signature cégétiste. Juste que le leader de la CGT retienne sa base. Lors de leur premier entretien, Nicolas Sarkozy l’a prévenu. « Il a joué l’intimidation et averti Thibault de ne pas lui barrer la route », confie un conseiller, qui a assisté à cette rencontre musclée.

Les trouble-fête
Pour faire passer ses réformes, le gouvernement n’a pas besoin de la signature de la CGT, juste qu’elle retienne sa base

« Mailly, c’est une girouette », lance un syndicaliste CGC. « Il s’insurge puis c’est un des premiers à signer », reprend un responsable cédétiste. Dans les autres centrales syndicales, difficile de décrypter les intentions du patron de Force ouvrière. « Son pari, c’est de remettre la centrale dans le jeu conventionnel dont elle a été exclue sous l’ère Blondel », soutient le réformiste Roland Houp, ex-trésorier confédéral. De fait, l’organisation a multiplié les signatures sur la diversité, l’égalité professionnelle, le télétravail ou les maladies professionnelles. Des accords de second plan qui ne suffisent pas à lui rendre ses lettres de noblesse ni à effacer son refus de parapher le dernier accord Unedic.

Rassembleur, Jean-Claude Mailly a pacifié sa maison et créé un climat plutôt porteur pour cheminer vers la négociation. Mais ses troupes attendent des gages. « Entre une CFDT qui ne peut faire cavalier seul et une CGT contestataire, FO a une place à prendre », assure un responsable. « Notre signature sera importante pour donner du crédit à un accord », répète en boucle Jean-Claude Mailly, dont une des stratégies consiste à mettre en avant l’organisation, quitte à parfois la jouer solo. C’est ainsi qu’il a poussé sa centrale à annoncer la première qu’elle signerait l’accord sur les accidents du travail, ou encore à publier des communiqués dans son coin là où les autres parlaient d’une seule voix. Un pas de côté qui a vite fait de susciter la méfiance des autres centrales. D’autant que les relations cordiales que Jean-Claude Mailly entretient avec Laurence Parisot jettent un peu plus le discrédit.

L’Unsa aussi va chercher à jouer les utilités. Pour être reçue par Nicolas Sarkozy alors qu’elle n’est pas reconnue à l’échelon national, la centrale a pratiqué un lobbying d’enfer. « Elle a fait savoir que sa capacité de nuisance sur des dossiers comme le service minimum ne devait pas être sous-estimée », confie-t-on au ministère du Travail. « Dans la fonction publique d’État, nous sommes la deuxième organisation syndicale. Et la troisième, tous secteurs confondus », clame Alain Olive, son secrétaire général. Sans compter que, dans la police, l’Éducation et les transports, elle gagne du terrain. Pour s’installer à la table des officiels, Alain Olive n’hésite pas : « L’Unsa peut être contestataire. Nous pouvons jouer les trouble-fête. » Mais aussi servir les desseins sarkozystes, pour peu que le gouvernement lui donne des assurances quant à la reconnaissance prochaine de sa représentativité…

Les forces d’appoint

Pas facile de jouer dans la cour des grands pour la CFTC et la CFE-CGC. Quasiment inexistantes dans le secteur public, faiblement représentées dans les grandes entreprises privées, les deux centrales ne disposent d’aucune arme de dissuasion. Impossible pour elles de menacer de bloquer le pays ! Difficulté supplémentaire, leur positionnement réformiste ne leur permet guère de se différencier de la grande CFDT, dont elles partagent l’essentiel des revendications. Leur seul atout ? Vendre chèrement leur signature, en pesant sur des détails. Car le gouvernement aura tout intérêt à « draguer » ces forces d’appoint : en termes d’affichage, leur paraphe donnera plus de crédit à d’éventuels accords, qui, d’étriqués, deviendraient largement majoritaires.

Tactiquement, les deux organisations iront donc probablement dans le sens du vent, tout en tentant de défendre leurs intérêts. Soucieuses de maintenir leur position, elles n’auront pas d’autres options que de multiplier les alliances. D’autant qu’avec le dossier de la représentativité sur la table elles risquent gros. Face à la CFDT et à la CGT qui font bloc pour revoir un système totalement figé depuis l’arrêté de 1966, « elles pourraient solliciter le soutien du Medef pour que celui-ci s’y oppose. En échange, elles suivront le patronat sur la sécurisation des parcours ou sur les contrats de travail », analyse l’ancien cégétiste Jean-Dominique Simonpoli, directeur du cercle de réflexion Dialogues.

“Des syndicats en tenailles”
Dominique Labbé, maître de conférences en sciences politiques à Grenoble II

Quelles positions les organisations syndicales peuvent-elles tenir dans les négociations à venir ?

D’un côté, il leur faut montrer leur capacité à innover, à aller dans le sens du progrès, à participer à la réforme et, de l’autre, les Français comptent sur elles pour s’opposer au gouvernement et être les garantes de leurs droits.

Entre ces deux attentes de l’opinion, elles sont prises en tenailles.

Quelles incidences cette situation a-t-elle sur la ligne à adopter ?

Elles doivent impérativement renouveler leurs adhérents, et recruter, notamment des jeunes, car les centrales vieillissent. Du côté des jeunes, il y a une demande de contestation de la situation qu’il leur est faite. La CGT symbolise bien cette opposition, Sud également. Mais les jeunes ne veulent pas seulement du syndicalisme du coup de gueule et du blocage. Ils attendent que les syndicats obtiennent des résultats tangibles et qu’ils leur fournissent une aide personnalisée. Aucun n’est capable de le faire.

Comment les centrales peuvent-elles s’en sortir ?

Les syndicats n’ont pas intérêt à se rallier aux réformes, car ils risquent de perdre des adhérents et des voix. C’est tout sauf un encouragement à l’innovation. Il leur faut apparaître suffisamment réformistes tout en restant fermes.

Auteur

  • Fanny Guinochet