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Politique sociale

L'apparatchik Mailly s'est mué en pacificateur de FO

Politique sociale | publié le : 01.06.2007 | Stéphane Béchaux

Patron de FO depuis trois ans, ce pédagogue fait de l'anti-Blondel. En interne comme sur la scène médiatique. Il lui reste à remettre la centrale dans le jeu conventionnel.

De son bureau au rez-de-chaussée du siège de Force ouvrière, avenue du Maine, Marc Blondel ne trône plus. Son poulain, Jean-Claude Mailly, ne s'est pas contenté de prendre sa place, au 5e étage. Sans heurt, ce dernier a coupé les ponts, imposant son style et sa méthode. Une révolution tranquille, qui devrait valoir à l'ex-apparatchik un plébiscite lors de son congrès confédéral, du 25 au 29 juin à Lille.

La première rupture est d'ordre comportemental. Ouvert, affable, Jean-Claude Mailly, 54 ans, traite ses interlocuteurs sur un pied d'égalité. « Ça n'a l'air de rien, mais un secrétaire général qui vous salue dans les couloirs, ça change l'atmosphère », témoigne un permanent confédéral. Anecdotique ? Pas du tout. Car quand il prend les commandes de la CGT-FO en février 2004, Jean-Claude Mailly hérite d'une maison à feu et à sang. Pour des raisons de divergences politiques, mais aussi de relations interpersonnelles. Au bureau confédéral, comme à la commission exécutive, on se combat plus qu'on ne débat. Dans nombre de fédérations du secteur privé, le secrétaire général est persona non grata. Quant aux relations avec les autres centrales, elles sont exécrables.

Quatre ans plus tard, changement de décor. Pas un patron de fédé, ou d'union départementale, pour se plaindre des relations avec la direction confédérale. « Mailly est un mec normal, avec qui on peut discuter », assure Jacques Lemercier, patron de FO Com (postes et télécoms). « Il est très facile d'accès, à l'écoute », abonde Michel Monteil, secrétaire général de FO Finances. Symbole de cet apaisement : la présence du secrétaire général, en avril dernier, aux côtés du réformiste patron des métallos, Frédéric Homez, lors de la présentation d'un Livre blanc sur l'industrie. Impensable auparavant. Une volonté de fédérer qui oblige néanmoins l'ex-secrétaire particulier de Marc Blondel, encarté au PS, à de spectaculaires grands écarts. Entre les inconditionnels de la signature et les fâchés du stylo, il doit adapter son discours pour ne contrarier personne dans son auberge espagnole.

La bise à Parisot. Au niveau interprofessionnel, même satisfecit. « On a d'excellentes relations. Il est ferme sur les prix, très direct, mais assez convivial », affirme-t-on à la CFE-CGC. « On peut s'expliquer. Nos rapports sont devenus civilisés, ce n'est pas rien », abonde la CFDT. Des relations détendues que le patron de Force ouvrière a initiées dès sa prise de fonctions, en conviant les leaders confédéraux à des séances de travail. Au patronat aussi, l'homme séduit. « C'est un type avec qui on peut discuter, notamment en tête à tête », apprécie l'un des dirigeants du Medef. Pour preuve, il claque la bise à Laurence Parisot ! Pas vraiment le comportement du gaucho sous influence trotskiste que dépeignaient ses détracteurs.

Homme de consensus, Jean-Claude Mailly reste soucieux des équilibres de sa maison. Sous son premier mandat, il n'a coupé – il s'y était engagé – aucune tête parmi les secrétaires confédéraux qui ne l'avaient pas soutenu. Son ancien adversaire, Jean-Claude Mallet, chargé de la protection sociale, le reconnaît : « Il a tenu parole, on a vraiment pu travailler ensemble. » René Valladon, le numéro deux de la centrale, s'en félicite. « Jean-Claude Mailly n'a pas la culture du conflit interne. Il cherche à gommer les aspérités inutiles pour ramener les différences à leur véritable dimension. Tant mieux ! car cette confédération a été très affaiblie pendant presque vingt ans par des oppositions. » Si la mise sur orbite, début 2007, de la très raide Rose Boutaric, ancienne patronne de la Fédération des employés et cadres, au poste de trésorière a suscité des inquiétudes chez les tenants de la politique contractuelle, les noms des nouvelles recrues du bureau confédéral ont, depuis, apaisé les craintes. Hormis Didier Porte, patron virulent de l'UD de l'Aube, Jean-Claude Mailly fait entrer des réformistes dans son équipe. Marie-Alice Medeuf-Andrieux, secrétaire générale de l'UD de Martinique, s'occupera de la négociation collective ; Stéphane Lardy, issu de la FGTA (agroalimentaire, commerce, restauration…), de l'emploi, du chômage et de la formation professionnelle ; et Andrée Thomas (FO Com), du secteur juridique et de la campagne prud'homale.

Au patronat et dans les autres centrales, on sait gré à Jean-Claude Mailly d'avoir tourné la page Blondel, mais on doute de sa liberté d'action

Fini le baratin. Autre rupture avec l'ère Blondel, l'accent mis sur la pédagogie. Jean-Claude Mailly profite de ses innombrables déplacements en province pour faire passer des messages clairs et concis sur le contenu des dossiers et les enjeux. « Les militants en ont besoin. Ils sont mieux armés après un bon débat qu'avec un slogan unique », juge Jean-Claude Mallet. Dans les instances confédérales, aussi, fini le baratin. « Avec Blondel, les discours pouvaient durer très longtemps. Mailly, lui, fait beaucoup plus court pour permettre à tous de s'exprimer », note Gérard Dossetto, patron de l'UD des Bouches-du-Rhône. La méthode vaut aussi au bureau confédéral. « Il a libéré la parole. Il n'a pas honte de changer d'avis », soutient Roland Houp, le trésorier. En faisant porter les discussions sur le fond, il oblige son équipe à sortir des positions idéologiques. Et les clivages s'estompent. Revers de la médaille, ce refus des formules chocs passe mal dans les médias. Pour les journalistes radio ou télé, Jean-Claude Mailly n'a rien du « bon client », capable, d'une phrase tranchante ou d'un coup de gueule, de retenir l'attention de son auditoire. Résultat, il peine à imposer son image sur la scène médiatique et à faire oublier son prédécesseur, réputé pour son franc-parler et ses formules à l'emporte-pièce.

Dans le jeu conventionnel, le premier signe tangible d'évolution de FO porte sur les retraites. Hier brandi en étendard, le retour aux 37,5 années de cotisation est en passe de disparaître des revendications. « Si rien n'est fait, la loi Fillon prévoit le passage aux 41 années puis aux 42. L'urgence, c'est d'arrêter les compteurs et de se battre sur le niveau des pensions », explique Mailly. Une position qui doit beaucoup au négociateur maison, Bernard Devy. « Il ne faut pas qu'on s'installe dans une revendication unique et dogmatique. Sinon, on ne pourra pas peser sur les discussions de 2008 », justifie-t-il. Au congrès de Lille, les discussions seront animées, certains adhérents, enseignants en tête, s'arcboutant sur les 37,5 années. Mais, sauf grande surprise, le débat est plié d'avance. Sur la scène européenne, aussi, FO a changé de ton. Contrairement à son prédécesseur, Mailly ne rate aucun des conseils exécutifs de la CES, à Bruxelles. Moins isolée, sa centrale n'en reste pas moins critique à l'égard de l'Union européenne, jugée trop libérale. Sans prendre position, indépendance oblige, FO était ainsi clairement rangée dans le camp des opposants au traité constitutionnel.

Un raté à l'Unedic. L'avenir dira si la CGT-FO peut passer la vitesse supérieure. Car il lui manque un signe fort de son retour dans le jeu conventionnel. Depuis l'élection de Jean-Claude Mailly, la centrale a certes paraphé des accords sur la diversité, l'égalité professionnelle ou le télétravail. Mais ces textes de second rang ne compensent pas le refus de l'organisation d'avaliser, fin 2005, la convention Unedic. « On a fait une grosse partie du boulot. On n'a pas été loin de la signature », admet Jean-Claude Mailly. Un raté pour les réformistes qui, Jean-Claude Mallet en tête, rêvaient de rendre à la maison son lustre d'antan. Sur le départ, ce dernier a, depuis, pris sa revanche. Au printemps, il a poussé son organisation à annoncer, la première, qu'elle signerait l'accord sur les accidents du travail.

Au patronat comme dans les autres confédérations, on sait gré à Jean-Claude Mailly d'avoir tourné la page Blondel. Mais on doute encore de ses véritables intentions et de sa liberté d'action à l'égard du Parti des travailleurs. « Il manque peu de chose pour qu'il revienne dans le jeu. Il lui reste à se dégager complètement de quelques travers idéologiques de son organisation, très marquée par le secteur public », dit-on au Medef. « Avec Mailly, FO est beaucoup plus imprégnée de la réalité. Mais on ne sait pas quelles sont ses marges de manœuvre », renchérit-on à la CFDT. L'homme a en tout cas une belle carte à jouer. Entre une CFDT en mal de partenaires et une CGT immobile, sa centrale peut endosser l'habit d'interlocuteur charnière. « Quand on apporte notre signature, ça donne du crédit à un accord. Sinon, ça fait du dégât », confirme l'intéressé. Le nouveau gouvernement devra s'en souvenir…

Comment Mailly gère sa PME

Voilà un mythe qui coûte cher. En déclarant 800 000 adhérents à la nouvelle Confédération syndicale internationale, la CGT-FO peut certes s'enorgueillir de talonner la CFDT en tant que premier syndicat français. Mais, au prix de 182,20 euros les 1 000 adhérents, elle doit régler 145 760 euros à l'organisation internationale. « Il y a une part de solidarité internationale dans ces 800 000 », reconnaît Jean-Claude Mailly. Une façon détournée d'admettre que les chiffres sont gonflés. Et le patron de FO de promettre qu'il fera bientôt la transparence sur le nombre d'adhérents, « au moment opportun ». Selon des sources internes, les vrais chiffres seraient plus proches de la moitié.

Sujet tabou sous ses prédécesseurs, les finances de l'organisation – et donc, indirectement, le nombre de ses adhérents – sont désormais connues du bureau confédéral. Depuis trois exercices, le trésorier ouvre une partie des livres de comptes aux secrétaires confédéraux, une fois par an. Chacun dispose, désormais, d'une dotation financière annuelle pour régler les activités de son secteur. Salaires, loyers, téléphone…

La trentaine de postes budgétaires est passée au crible tous les trimestres. « Ça responsabilise. Avant, c'était presque à guichet ouvert », se félicite Roland Houp, le grand argentier. Résultat : des dépenses en baisse de 14 %. Résolu à « professionnaliser la gestion » de sa PME de 150 personnes, Jean-Claude Mailly n'entend pas limiter ces efforts à la seule Avenue du Maine. Lors de la grand-messe confédérale, les congressistes seront invités à modifier les statuts confédéraux. Objectif : contraindre les 13 000 syndicats de base à être à jour de cotisation sur l'ensemble des exercices pour pouvoir voter au congrès. Et non plus seulement sur l'exercice précédent. De quoi accélérer la remontée des cotisations et en finir avec la rétention dont certains se sont fait une spécialité. En particulier, la Fédération des employés et cadres (FEC) que dirigeait, depuis 1993, Rose Boutaric, la future trésorière confédérale !

Autre gros chantier interne auquel Jean-Claude Mailly compte s'attaquer lors de son deuxième mandat : la réforme des champs fédéraux. Inchangée depuis des années, la structuration de la centrale s'avère aujourd'hui complètement obsolète. La minuscule Fédération de la coiffure est, par exemple, toujours autonome, quand d'autres structures font office de grand bazar. En particulier la FEC, qui regroupe aussi bien les banques que les compagnies de navigation, la Sécurité sociale ou les casinos.

Auteur

  • Stéphane Béchaux