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Politique sociale

En Allemagne, c'est travailler plus pour gagner moins

Politique sociale | publié le : 01.06.2007 | Thomas Schnee

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En Allemagne, c'est travailler plus pour gagner moins

Crédit photo Thomas Schnee

Augmentation de la durée du travail, baisse des salaires… les salariés allemands ont fait de lourdes concessions à la protection de l'emploi. Avec la reprise économique, ils revendiquent un meilleur partage des fruits de la croissance.

René Obermann, le jeune patron de Deutsche Telekom, noubliera pas de sitôt son déplacement à Hambourg fin avril. Venu participer à l'assemblée du personnel dune filiale, il sest retrouvé face à 2 000 manifestants en colère. Quelques jours plus tard, il a essuyé une bordée de sifflets, lors de lassemblée générale du groupe. Motif de cette bronca ? Deutsche Telekom souhaite transférer 50 000 salariés du service client et de la maintenance dans une filiale, T-Service, avec, à la clé, une baisse de salaire dau moins 12 % et une augmentation de la durée du travail qui passera de 34 heures hebdomadaires à 38,5 heures, voire 40. Devant lampleur de la contestation, le directoire de Deutsche Telekom, P-DG compris, a renoncé à deux mois de salaire, par solidarité envers les salariés. Sans dissuader le personnel de se mettre en grève. Même régime sec chez Siemens. Alors que planent des menaces de délocalisation dans la branche services, concernant 10 000 emplois, le groupe a décidé dappliquer l'accord de Bocholt de 2003, qui prévoit le passage de la semaine de 35 heures à une semaine flexible de 32 à 40 heures et une réduction des salaires et primes de 15 %. Inimaginable de ce côté-ci du Rhin. Reste que les résultats sont là : le coût du travail en Allemagne na pas augmenté depuis 2000 tandis quil a progressé de plus de 10 % en France et de 20 % en Italie.

Fini le tarif maison. Ce remède de choc – augmentation de la durée du travail conjuguée à une baisse des rémunérations – nest pas lunique panacée des entreprises allemandes. Pragmatique, lindustrie germanique na pas remisé les 35 heures aux oubliettes de la lutte des classes pour revenir aux 40 heures. Ainsi, chez le fabricant d'ampoules électriques Osram, filiale de Siemens, les 1 000 salariés peuvent travailler entre 0 et 48 heures par semaine, avec une moyenne annuelle garantie de 37,5 heures par semaine, sans réduction de salaire. Chez DaimlerChrysler, c'est l'encadrement qui a vu son temps de travail remonter à 40 heures, l'entreprise souhaitant accélérer le développement de nouveaux modèles. En revanche, les usines continuent à pratiquer les 35 heures. Sans réduction de salaire.

A contrario, la municipalité de Berlin, en très mauvaise situation financière, a négocié des horaires hebdomadaires pouvant monter à 40 heures avec une diminution de 10 % du salaire. En 2006, enfin, Volkswagen a abandonné la fameuse semaine de quatre jours (28,8 heures) pour repasser à des horaires flexibles de 33 à 36 heures. Et cela sans compensation salariale, de sorte que l'opération a fait disparaître le « tarif maison », supérieur d'environ 15 % aux salaires du secteur.

Mais la baisse du chômage est à ce prix. Le coup de frein brutal sur les salaires donné par l'Allemagne au cours des dernières années estassurément l'un des facteurs principaux de la reprise économique outre-Rhin, également alimentée par le boom des exportations et par la consommation des ménages, en berne depuis dix ans, qui se ressent à peine de l'introduction de 3 points supplémentaires de TVA en début d'année. Une embellie qui se lit dans les statistiques du chômage. Sans optimisme exagéré, les experts du marché du travail, tout de même surpris par l'ampleur de la décrue, tablent désormais sur 3 millions de chômeurs en moyenne annuelle dès l'année 2008, contre encore 5 millions en 2005.

A cette relance de l'économie allemande les syndicats ont largement pris leur part. « Pour sauver les entreprises en difficulté, [ils] se sont déclarés prêts à faire des exceptions dès le milieu années 90. Mais ce n'est qu'en 2004, accords de Pforzheim, que nous avons accepté de négocier pour des entreprises bonne santé », rappelle Jörg Köther, porte-parole d'IG Metall. Signés en catimini, ces accords ont d'abord été considérés dans le clan syndical comme une dangereuse concession faite au patronat : « Nous avons ouvert la boîte de Pandore », se lamentait alors Jürgen Peters, numéro un d'IG Metall. Reste que, à peine trois ans plus tard, les accords de Pforzheim ont porté leurs fruits, comme le montre l'exemple de Böddecker, une entreprise de Wuppertal qui fabrique des serrures d'automobiles.

En 2006, en échange dune réduction dune heure de la durée du travail et dune baisse minime de salaire, les 18 000 salariés de ThyssenKrupp Steel ont négocié sept ans de sécurité de lemploi

En 2004, Alfred Zimmermann, P-DG de Böddecker, demande à ses 130 salariés cinq heures de travail hebdomadaires supplémentaires sans compensation salariale. En cas de refus, il menace de délocaliser la production en Pologne. Désireux de se faire épauler dans une négociation d'une telle ampleur, le comité d'entreprise fait appel à IG Metall, qui n'accepte d'intervenir qu'avec l'assentiment des salariés et moyennant leur participation active aux négociations, dans le cadre de commissions ad hoc. Résultat, en quelques jours, le taux de syndicalisation du personnel à IG Metall est passé de 28,5 % à plus de 60 %. Et les négociations ont débouché sur une augmentation du temps de travail sans compensation salariale pendant trois ans. En échange, le P-DG de Böddecker s'est engagé à investir dans le développement du site, dans la formation, tout en renonçant à procéder à des licenciements économiques pendant trois ans. Régulièrement, les salariés allemands font la preuve qu'ils sont plus sensibles aux garanties sur l'emploi qu'aux augmentations de salaire. En témoigne l'échec cuisant de la grande grève lancée en 2003 par IG Metall pour faire bénéficier les Länder de l'Est des 35 heures.

Chef tout-puissant d'IG Metall en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Detlef Wetzel a été l'un des premiers à s'engager avec détermination en faveur d'une négociation globale, à l'image de l'accord négocié en juillet 2006 chez ThyssenKrupp Steel, filiale sidérurgique du géant de la métallurgie. En échange d'une réduction d'une heure de la durée du travail et d'une baisse minime de salaire, les 18 000 salariés de TK Steel ont obtenu sept ans de sécurité de l'emploi. L'accord prévoit également un dispositif destiné à rajeunir progressivement les effectifs sans user des préretraites : « Aucune entreprise ne fait faillite parce qu'elle paie ses salariés en respectant les conventions collectives. En revanche, elle fait faillite si elle n'est pas innovante et n'investit pas dans l'avenir », estime Detlef Wetzel, qui, en échange de la modération salariale, appelle les représentants des salariés à peser beaucoup plus fortement sur les orientations à long terme des entreprises.

Le retour des revendications. Pour autant, les exigences en matière de rémunérations n'ont pas disparu. Comme en témoigne le bras de fer engagé par IG Metall avec le patronat de la métallurgie pour obtenir 6,5 % d'augmentation au lieu des 2,5 % proposés par les employeurs. Avant de décrocher, début mai, et pour une période de dix-neuf mois, une hausse de 4,1 % à compter de juin plus 1,7 % en juin 2008. « Il est évident qu'avec une embellie conjoncturelle et des succès éclatants à l'export nous avons des attentes élevées en termes de salaire », déclarait Frank Bsirske, patron de Verdi, en présentant ses vœux pour 2007. Reste que les accords salariaux ne devraient pas faire exploser les budgets des entreprises conclus en 2007. Les hausses déjà négociées ou celles en cours de négociation se composent pratiquement toutes d'une part fixe relativement modérée et d'une prime variable liée à la conjoncture.

Autre facteur de revendication salariale, l'explosion des emplois à bas salaires (6,3 millions), favorisée par le gouvernement Schröder pour remettre les chômeurs au travail. Une politique qui a débouché sur un dumping salarial meurtrier dans le commerce, la restauration, la coiffure, le bâtiment, les transports ou encore les services postaux, qui seront totalement ouverts à la fin 2007. Pour éviter un effondrement de la grille des salaires, une alliance inhabituelle s'est même constituée en faveur de l'introduction d'un salaire minimum.

Cette improbable coalition réunit les syndicats, le Parti social-démocrate, l'aile « gauche » du parti conservateur. Mais aussi des entreprises comme Deutsche Post ou TNT qui dénoncent le dumping social pratiqué par la multitude de concurrents apparus avec la libéralisation du marché postal. Angela Merkel s'y refuse, préférant à un salaire minimum unique des minima par branche professionnelle. Mais, assurément, le débat sur la redistribution des fruits de la croissance n'est pas près de s'éteindre outre-Rhin.

Deutsche Telekom
+ 6 h Travail hebdo. Salaire – 12 %

Pour enrayer la chute de ses résultats, le géant de la téléphonie a décidé dextenaliser 30 % du personnel dans une filiale low cost, avec augmentation du travail (de 34 à 38, voir 40 heures par semaine) et baisse de salaire (de 12 à 15 %) à la clé. Une décision qui provoque un bras de fer avec le puissant syndicat Verdi.

Detlef Wetzel, un syndicaliste “participatif”

Pour la presse allemande, Detlef Wetzel est « un homme de demain », « le réformateur » du syndicalisme allemand. Chef du district IG Metall de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (le plus important d'Allemagne avec 600 000 adhérents), Detlef Wetzel a beaucoup fait parler de lui en 2006, année où il a négocié avec succès des accords collectifs nationaux, dans la métallurgie et l'électrotechnique, ainsi que dans la sidérurgie. Originaire de Siegen, cet outilleur de formation, entré à IG Metall en 1972, s'est vite fait remarquer pour son ouverture et son imagination.

Avec lui, tout peut être discuté, selon le patronat de sa région. Négocier un passage aux 40 heures sans compensation salariale ne dérange pas Detlef Wetzel outre mesure, pourvu que l'accord soit fondé socialement et économiquement et se base sur un véritable compromis entre salariés et patron. Il a ainsi vite compris qu'en temps de crise les grands accords collectifs de branche ne servaient plus forcément les intérêts de plus en plus éclatés des salariés : « Nous devons redevenir combatifs dans chaque entreprise », affirme-t-il. Il a d'abord réalisé un « Tarifcheck » dans toutes les entreprises de son district, sorte de vaste bilan de santé de l'action syndicale locale. Il a ensuite initié l'action « mieux mais pas moins cher », un dialogue où comités d'entreprise et patrons s'efforcent de définir en commun les stratégies à long terme des entreprises.

Dans ce dialogue, le syndicat n'intervient qu'en temps que conseiller et expert, laissant aux salariés le soin de monter en première ligne. Comme on le voit, Detlef Wetzel n'est pas seulement l'un des premiers responsables d'IG Metall à avoir systématiquement replacé l'action syndicale au niveau de l'entreprise. Il joue aussi franc jeu avec les salariés. IG Metall offre volontiers son savoir-faire et ses conseils, mais en échange de l'adhésion et de l'implication des salariés. Les faits semblent lui donner raison. Partout où Detlef Wetzel est passé, les effectifs syndicaux sont à la hausse.

À 53 ans, cet apiculteur amateur est assurément appelé à jouer un rôle national dans le syndicalisme allemand. À l'occasion de la préparation du congrès d'IG Metall en octobre prochain, on parle même de lui comme du futur numéro deux du plus grand syndicat allemand. Mais son accession au sommet n'est pas encore assurée. Lors de la guerre des chefs de 2003, où Jürgen Peters, président actuel d'IG Metall et chef de file des traditionalistes, s'était imposé de justesse devant Berthold Huber, numéro deux actuel, Detlef Wetzel avait activement soutenu ce dernier. Comme prix de sa victoire, Jürgen Peters avait promis à Berthold Huber de ne pas se représenter à la fin de sa présidence.

Aujourd'hui, personne ne sait si ce dernier tiendra sa parole et laissera la place au tandem Huber-Wetzel.

T. S.

Siemens
+ 5 h Travail hebdo. Salaire – 20 %

La branche services du groupe Siemens a conclu en 2004 un accord hyperdéfensif concernant 5 000 salariés. La durée du travail repasse de 35 à 40 heures par semaine, sans compensation salariale. Et le treizième mois et les congés payés passent à la trappe. La baisse de salaire varie, selon les cas, de 20 à 30 % !

Volskwagen
+ 5 h Travail hebdo. Salaire – 15 %

En 2006, Volskwagen, souvent présenté comme un laboratoire social outre-Rhin, décide de revenir à la semaine de cinq jours, sans compensation de salaire. Faisant disparaître du même coup l'écart, de 15 % environ, entre les tarifs maison et les salaires pratiqués dans l'automobile allemande.

Auteur

  • Thomas Schnee