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Politique sociale

Des conseils de prud'hommes au rendement très inégal

Politique sociale | publié le : 01.06.2007 | Éric Béal

Rigueur budgétaire oblige, les prud'hommes sont dans le collimateur de la chancellerie. Mais l'hétérogénéité du fonctionnement d'un conseil à l'autre rend difficile une mise en coupe réglée.

Le 20 juin, Jean-Pierre Piovesan demandera raison à la cour d'appel de Chambéry. Cet ancien président du conseil de prud'hommes de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) a été condamné en juillet 2006 en correctionnelle pour faux, usage de faux et escroquerie envers l'État. Tarif : trois mois de prison avec sursis et 4 932 euros d'amende, soit le montant que son employeur aurait perçu en trop en compensation d'une activité prud'homale jugée inexistante. « Dix salariés étaient sur le banc des accusés avec moi. On nous reprochait un trop grand nombre d'heures de présence au conseil », explique ce délégué syndical CFDT chez Thales. Les statistiques semblent donner tort aux accusés, car le collège des conseillers salariés de Thonon cumulait cinq fois plus de temps de présence que celui des employeurs. « Ces derniers ne préparaient jamais les audiences et rédigeaient rarement les jugements », justifie le syndicaliste. En attendant le verdict de la cour d'appel, le torchon brûle entre les magistrats professionnels et le conseil de prud'hommes de Thonon-les-Bains, fermé depuis trois ans sur décision de la cour d'appel.

L'affaire est révélatrice d'un contentieux qui monte entre le ministère de la Justice et les 14 610 conseillers prud'homaux répartis dans les 271 conseils de prud'hommes (CPH) de France. « L'administration a voulu faire un exemple », estime Didier Cauchois, responsable du service juridique de la CFDT, qui souligne qu'en 2006 la cour d'appel de Colmar (Haut-Rhin) a refusé de rembourser la totalité des frais déclarés par une trentaine de conseillers prud'homaux, dont une dizaine d'employeurs. L'impulsion vient de la chancellerie, qui tente, depuis quelques années, de maîtriser l'évolution des indemnités versées aux conseillers prud'homaux. Dans un rapport remis en octobre 2005 à Pascal Clément, alors ministre de la Justice, Henri Desclaux, ancien procureur général à la cour d'appel de Versailles, recommandait de définir clairement les activités prud'homales et de fixer un maximum de temps indemnisable pour chacune d'entre elles.

Une heure pour préparer une audience. Mais les propositions de la Place Vendôme ne plaisent guère aux représentants syndicaux présents au Conseil supérieur de la prud'homie (CSP). « Elles ont le mérite de prévoir l'indemnisation de tâches qui ne l'étaient pas auparavant. Mais nous sommes contre toute limitation de durée », indique Christine Pourre, membre CGT au CSP et présidente du conseil de prud'hommes de Créteil (Val-de-Marne). L'heure prévue pour préparer une audience et les trois heures maximales dévolues à la rédaction des jugements sont critiquées par une grande partie des conseillers. « Nous devons rédiger dans un style clair, avec des explications pédagogiques pour que les parties comprennent le jugement sans avoir besoin de l'intervention d'un avocat. Le plus souvent, cela prend cinq à six heures », affirme Christine Rodriguez, conseillère prud'homale dans le collège employeurs à Créteil.

Difficile, pour l'administration, de comprendre pourquoi le traitement d'une affaire demande un an dans certaines juridictions prud'homales alors que d'autres conseils terminent en six mois

Cette polémique intervient dans un contexte particulier. Entrée en vigueur en 2006, la loi organique relative aux lois de finances oblige les ministères à justifier leurs dépenses de façon plus systématique, ce qui pousse l'administration, celle de la justice comme les autres, à une plus grande rigueur comptable. Les conseillers remplissent une feuille de présence mensuelle indiquant leur temps de parcours pour se rendre au CPH, leur temps de présence en audience ou en délibéré et le temps de rédaction du jugement pour ceux qui en sont chargés, les présidents d'audience ou de section la plupart du temps. Une déclaration utilisée par la chancellerie pour calculer les indemnisations, non sans vérifications préalables. « J'avertis le conseiller en cas d'incohérence sur les heures indiquées. Et je corrige le montant avant d'envoyer la demande au service administratif régional », indique Jean-Claude Marouby, greffier en chef au conseil de prud'hommes de Paris.

Au-delà de ces règles comptables, les conseillers ont le sentiment que leur institution est insuffisamment reconnue. « Ils estiment que le ministère s'intéresse peu à leur travail et mégote de plus en plus sur les moyens. Quant aux magistrats professionnels, ils ne les reconnaîtraient pas », explique Hélène Michel, enseignante en sociologie à l'IEP de Strasbourg et à l'université de Lille II, qui s'apprête à publier un ouvrage sur les prud'hommes avec Laurent Willemez, maître de conférences en sociologie à l'université de Poitiers, après une enquête auprès de 810 conseillers. De fait, il y a quelques années, le conseil de Paris fonctionnait avec 175 administratifs. Il n'en reste plus que 136 aujourd'hui. Le conseil de Créteil, quant à lui, est passé de 22 à 16. Et, dans nombre de petits CPH, les jugements sont saisis sur le portable du président, car il n'y a pas de matériel informatique à disposition. « Le ministère de la Justice s'intéresse surtout aux statistiques judiciaires, au nombre d'affaires traitées, au nombre d'appels et aux indemnités des conseillers. Mais il n'y a rien sur leurs pratiques ou leurs caractéristiques sociales », indique Hélène Michel.

Hétérogénéité. Difficile, pour l'administration, de comprendre pourquoi le traitement d'une affaire demande douze mois dans certains conseils alors que d'autres la bouclent en six. « Nous préférons attendre quinze jours entre l'audience et le délibéré. Cela permet de vérifier les pièces du dossier et de demander des informations complémentaires », note Patrice Bois, président CGT du conseil d'Argentan (Orne). Une position partagée par Jean-Michel Lenormand, son confrère employeurs du conseil de Thiers (Puy-de-Dôme). « J'organise toujours une réunion supplémentaire avec mes assesseurs pour délibérer de l'affaire à froid. » Si elle permet d'asseoir le jugement sur une réflexion plus solide, cette pratique renchérit le coût des décisions. À Paris, Jacques-Frédéric Sauvage, président de la section commerce, prône la rapidité : « Nous écoutons les plaidoiries et nous délibérons le jour même, ce qui me permet de prononcer la décision en fin de journée. Nous devons statuer sur les positions prises en séance, pas sur le dossier. »

Institution frontière entre le monde du travail et la justice, la prud'homie est très hétérogène. Le rapport Desclaux suggère de procéder à « une relecture de la carte judiciaire des juridictions prud'homales ». En clair, la suppression des conseils trop peu sollicités. Car, note-t-il, « un trop faible volume d'affaires risque d'être un handicap à la qualité de la justice rendue ». À Paris, premier conseil de France, 21 313 demandes ont été déposées en 2003. La section commerce occupe un étage entier de l'immeuble qui abrite les prud'hommes. « Le rythme est de 12 à 16 affaires par audience. Nous tenons deux séances de conciliation le matin et trois audiences l'après-midi. Au total, nous avons tenu 614 audiences l'an dernier », explique Jacques-Frédéric Sauvage. À l'autre bout de la France, à Bedarieux (Hérault), le conseil n'a reçu que 24 nouvelles demandes au cours de la même année. « Nous traitons deux affaires par mois en moyenne, indique Noëlle Llamas, conseillère à Bedarieux depuis 1995. Nous travaillons dans des locaux mis à disposition par la mairie, avec une greffière qui vient de Béziers deux fois par semaine. » Noëlle Llamas avoue que la formation des conseillers est un casse-tête. « Chaque année, les salariés bénéficient d'une semaine de formation à Béziers. Ils sont mieux armés que les conseillers employeurs, qui ont du mal à se libérer pour assister aux séminaires proposés par l'organisme de formation patronal. Mais, bon, nous sommes peu nombreux, nous arrivons à dialoguer. »

Reste à savoir si la qualité des décisions prises par les petits conseils de prud'hommes est réellement inférieure à celle des jugements rendus par les poids lourds. À Bedarieux, Noëlle Llamas se félicite qu'un très petit nombre d'affaires finissent, faute d'accord entre conseillers salariés et employeurs, en départition, devant un magistrat professionnel. À l'inverse, Jean-Pierre Piovesan, ancien président du conseil de Thonon, n'était pas gêné qu'une affaire sur deux se termine devant un juge départiteur. « Cela prouve qu'il y avait une vraie opposition entre représentants des salariés et des employeurs. » En dépit des déboires de son conseil, il ne s'inquiète guère pour l'avenir de la justice prud'homale, car elle coûte beaucoup moins cher que celle des autres juridictions. Un argument de poids face à la chancellerie.

Le règne du paritarisme

Le hall d'accueil est rempli de robes noires à jabot blanc. La proximité revendiquée par les conseillers prud'homaux n'empêche pas les justiciables du Val-de-Marne de se faire accompagner d'un avocat pour être mieux défendus. Perché au 5e étage d'un bâtiment sans grâce, propriété des AGF, le conseil de prud'hommes (CPH) de Créteil fonctionne pourtant sur les mêmes principes que les 271 autres conseils de France : les quatre juges présents à l'audience de ce début mai ne sont pas des magistrats professionnels mais des représentants du monde de l'entreprise. Deux d'entre eux sont des salariés, les deux autres sont des employeurs. Parmi ces derniers, Gérard Liagre tient le rôle de président d'audience. « Le collège employeurs élit ses présidents d'audience au cours de l'assemblée générale annuelle. Le collège des salariés fait de même. Nous nous répartissons ensuite les audiences, en fonction de nos impératifs professionnels. De toute façon, le président anime l'audience, mais sa voix n'est pas prépondérante par rapport à celle deses trois assesseurs », explique cet ancien DRH de Pernod Ricard à la retraite.

Le paritarisme est roi dans un CPH.

Élus tous les cinq ans, les conseillers désignent chaque année un président au sein de leur collège. Lequel devient alternativement président ou vice-président du conseil de prud'hommes pendant une année. À Créteil, Gérard Liagre est vice-président en 2007. La présidence est tenue par Christine Pourre, DS CGT et secrétaire du CE de l'institut Gustave-Roussy. L'alternance est identique à la tête des cinq sections spécialisées que compte normalement un CPH : commerce, industrie, encadrement, activités diverses et agriculture. Mais cette dernière section n'existe pas partout. À l'image du conseil de prud'hommes de Thiers, où les affaires concernant l'agriculture sont renvoyées vers Clermont-Ferrand, comme l'explique son président, Jean-Michel Lenormand. « Nous sommes trente-deux conseillers, huit par section. Quatre salariés, quatre employeurs. C'est le nombre minimal pour fonctionner une fois par semaine compte tenu des impératifs professionnels des uns et des autres. »

Avec 150 à 250 affaires par an, le CPH de Thiers fait partie des petits conseils, qui composent un tiers du total.

Auteur

  • Éric Béal