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Idées

Faut-il instaurer un service minimum dans les services publics ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2007 |

Promesse de Nicolas Sarkozy, le service minimum sera mis en œuvre par la loi dans les services publics si les partenaires sociaux ne trouvent pas d'accord. Est-il nécessaire d'aller au-delà des dispositifs de prévention qui existent déjà, notamment dans les transports. Les réponses d'un universitaire de Paris I, d'un professeur de droit public et d'un historien, spécialiste de la grève.

Jean-François Amadieu Professeur à Paris I-Panthéon-Sorbonne

“Légiférer bloquerait le dialogue social et générerait une conflictualité accrue”

Pour assurer une meilleure continuité du service public de transport en cas de grève, la France doit se tourner vers les pays qui connaissent une faible conflictualité. Ces derniers ont obtenu ce résultat au moyen de la négociation collective, du règlement à froid des différends et de clauses de paix sociale qui prohibent le recours à la grève durant la période d'application des accords collectifs. Il n'est pas contestable que le niveau des grèves baisse considérablement lorsque le dialogue social et la prévention des conflits progressent. C'est le cas à la RATP depuis 1996 mais aussi, plus généralement, dans les entreprises publiques. Par comparaison, la fonction publique concentre un pourcentage sans cesse plus élevé du total des journées de grève dans notre pays. Dans les transports de voyageurs, la conflictualité est nettement plus importante dans les réseaux de province qu'à la RATP ou à la SNCF ; or le dialogue social s'y est tardivement et mal développé.

Compte tenu des progrès réalisés au sein des entreprises, les grèves proviennent pour l'essentiel de mouvements nationaux : 90 % des grèves de la SNCF ou de la RATP concernaient les retraites en 2003 et 83 % des conflits portaient sur le CPE en 2006 dans ces deux entreprises. 70 % des grèves dans les réseaux de province sont interprofessionnelles. Les mouvements qui gênent les usagers résultent souvent d'un déficit de concertation et de négociation au niveau national. Dans l'exposé des motifs de la loi Fillon, puis à l'initiative de Dominique de Villepin, des engagements de concertation préalable sont pris par le gouvernement. C'est en systématisant ces démarches que peuvent être réalisés les progrès dans la continuité du service public.

Fixer des règles de service minimum au niveau national, sur le modèle italien, se révélerait disproportionné et inapplicable. Il est plus judicieux de développer la négociation, d'étendre des mécanismes de prévention, d'alarme sociale et individuelle qui ont prouvé leur efficacité. Enfin, les partenaires sociaux doivent améliorer par la voie contractuelle ce qu'ils ont déjà engagé avec succès depuis deux ans dans le domaine de la prévisibilité, de l'information et du service garanti. Le gouvernement peut, sur ces aspects, inciter davantage à la conclusion d'accords et s'appliquer à lui-même les règles du dialogue social. À l'inverse, légiférer sur le service minimum bloquerait durablement le dialogue social et générerait une conflictualité accrue.

Philippe Terneyre Professeur de droit public à l'université de Pau et des pays de l'Adour

“Il n'est pas discutable qu'il faille une loi pour forcer les intéressés à mettre en place un service minimum”

Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Au vu des échecs antérieurs à instaurer un service minimum dans les services publics, on peut s'interroger sur les chances de succès de la nouvelle équipe gouvernementale à donner une réponse claire, durable et opérationnelle à cette question, d'autant qu'elle se heurte à de nombreux obstacles juridiques. Que le Premier ministre ait la faculté de déposer un projet de loi sans avoir, au préalable, à réviser la Constitution ne fait aucun doute : si le droit de grève est constitutionnel, la continuité des services publics est un principe à valeur également constitutionnelle qui fonde la compétence du législateur à en assurer l'exercice en toutes circonstances au moyen, s'il le faut, d'une limitation du droit de grève. D'ailleurs, des lois partielles existent déjà et la jurisprudence reconnaît au chef de service le pouvoir d'organiser, à certaines conditions, un service minimum. En revanche, le premier obstacle que va devoir surmonter le gouvernement sera de savoir s'il souhaite tout régler ou seulement les cas les plus insupportables pour les usagers et/ou que l'État peut maîtriser directement. En effet, lorsqu'on parle de grèves dans les services publics, il s'agit de services très différents les uns des autres et de grèves liées tantôt aux conditions de travail, tantôt à la politique générale du gouvernement, tantôt « épidermiques », liées à une agression ou à une sanction envers un agent.

D'où un problème de méthode. À cet égard, s'il n'est pas discutable qu'il faille une loi dès l'instant où l'on souhaite forcer les intéressés à mettre en place un service minimum, la question se pose de savoir si elle doit viser tous les services publics ou s'il doit exister une loi par service public. Ensuite, doit-elle tout régler, ou bien renvoyer à des décrets et à des accords collectifs pour déterminer l'obligation qui pourrait être faite aux salariés de se déclarer grévistes quarante-huit heures avant le déclenchement de la grève et les autorités habilitées à requérir les personnels grévistes si ceux, non grévistes, étaient insuffisants pour assurer le service ? Intuitivement, la voie conventionnelle est la meilleure car elle respecte à la fois la libre administration des collectivités territoriales, l'intelligence des partenaires sociaux et l'hétérogénéité des situations. N'oblige-t-on pas dans des délégations de service public le délégataire à mettre en place un service minimum en cas de grève sous peine d'avoir à payer de fortes pénalités ? C'est cette piste qu'il faut suivre, du moins dans les services publics payants.

Stéphane Sirot Professeur d'histoire à l'université de Cergy-Pontoise

“Sous la forme évoquée, le service minimum suspend le droit de grève inscrit dans la Constitution”

La volonté de légiférer en matière de service minimum est une tentation récurrente de la droite française. L'élection de M. Sarkozy relance la perspective d'une nouvelle initiative. Au-delà de l'utilité et de la faisabilité discutables d'une telle mesure est soulevée la question de sa légitimité. Quelle utilité, d'abord ? Faut-il rappeler qu'à de très rares exceptions près l'arrêt du travail en cas de grève n'est jamais total. Ajoutons qu'à la SNCF, puisque les cheminots sont les premiers visés par le service minimum, l'information diffusée à destination des usagers s'améliore et rend plus aisée la planification d'un éventuel trajet. Quelle faisabilité, ensuite ? Sept pays de l'Union européenne disposent d'un régime général de service minimum. L'expérience montre que sa mise en œuvre ne va pas sans heurt si les acteurs sociaux se montrent déterminés à faire valoir leurs revendications ou usent des moyens de recours que leur accorde le droit. Et le Medef a lui-même reconnu que le service minimum est « difficilement applicable », dans les transports en commun notamment, pour des raisons en partie techniques.

Quelle légitimité, enfin ? Qu'on le veuille ou non, un service minimum sous la forme évoquée par M. Sarkozy suspend pour une partie de la journée le droit de grève inscrit dans la Constitution depuis 1946. Le restreindre porte non seulement le risque d'accroître le déséquilibre des rapports sociaux au détriment du monde du travail, mais également celui d'amoindrir encore le contre-pouvoir syndical plutôt que de réfléchir à la perfectibilité du dialogue social, ce qui pourrait servir un pouvoir politique pressé de faire passer ses réformes, sur les régimes spéciaux de retraite par exemple.

Le discours dominant qui irrigue l'opinion sur le thème de la grève est révélateur des mutations du champ politique. Sans cesse plus consumériste et compassionnel, le citoyen condamne volontiers ceux qui défendent leur intérêt collectif dès lors que leur protestation gêne son droit individuel au déplacement. La démocratie, qui signifie notamment « la reconnaissance de la légitimité et de la positivité du conflit dans la société », s'oriente vers une aseptisation appauvrissante. Tout cela rend bien des Français réceptifs à la rhétorique de la « prise d'otages », analysée il y a cinquante ans par Roland Barthes, pour qui l'opposition gréviste/usager est l'un des traits constitutifs de la « mentalité réactionnaire » qui consiste à « disperser la collectivité en individus et l'individu en essences ».