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Enquête

Le syndicat du PC cherche à infiltrer les multinationales

Enquête | publié le : 01.06.2007 | Joris Zylberman à Shanghai

Le syndicat officiel veut imposer des sections dans les firmes étrangères. Moins pour défendre les salariés que pour regagner du pouvoir et des fonds.

N'imaginez pas des locaux avec des murs tapissés d'affiches de propagande, de drapeaux rouges ou autres portraits du président Mao. Vous faites fausse route. Le Syndicat général de Shanghai n'est même pas logé dans un bâtiment stalinien auréolé d'une étoile rouge. Il est installé discrètement dans l'un des immeubles de style Art nouveau qui forment le Bund, symbole imposant des anciennes concessions étrangères le long du fleuve Huangpu, juste en face des tours futuristes de Pudong. Spacieux, les bureaux ressemblent au back-office d'une banque : tables larges, écrans plats, cloisons de verre opaque. Aucun signe d'appartenance au monde ouvrier. Et pour cause, le syndicat n'est pas une authentique organisation de travailleurs, contrairement à ce que son nom laisse supposer.

Appliquer la ligne officielle. Bien sûr, ce n'est pas ce que dit Liu Weixin, directeur adjoint du département de l'organisation. « Notre mission est à la fois de protéger les droits des employés et d'aider les entreprises à se développer. Ensuite, notre rôle est de favoriser la création de syndicats de base, d'éduquer les salariés, d'améliorer leurs qualifications et de les représenter dans les organes de l'État. » L'équation est simple : le secrétaire général du Syndicat général de Shanghai est aussi le vice-président du Parlement de la ville. L'organisation n'est elle-même que la branche locale de l'AFCTU, la Fédération chinoise des syndicats, organe du Parti communiste, seul habilité à « représenter les travailleurs ». En toute logique, le syndicat fait donc appliquer la ligne officielle. « Nous n'encourageons jamais à cesser le travail, cela nuit à la stabilité sociale », récite Liu, qui ne précise pas que la loi entrave le droit de grève.

Que fait le syndicat si les droits des employés sont bafoués ? « Ce genre de conflit n'arrive pas puisque l'entreprise doit nous consulter et parce qu'elle doit respecter la loi, ajoute le directeur adjoint. Le syndicat sert de médiateur et n'est pas là pour intenter des procès. Il recherche l'harmonie entre les salariés et la direction. L'entreprise n'a donc aucune raison de se sentir menacée par la création d'un syndicat chez elle. » Cette dernière remarque de Liu s'adresse clairement aux groupes étrangers. En 2006, l'AFCTU a mené une campagne de syndicalisation jugée « agressive ». Particulièrement visées, les multinationales ont été sommées d'accepter la formation de cellules syndicales en leur sein. En cas de refus, l'AFCTU a fait intervenir les autorités et alerté les médias. C'est ce qui est arrivé l'automne 2006 à Wal-Mart, le géant américain de la distribution. Connue pour son allergie aux syndicats, la firme a dû céder face aux accusations d'« exploiter les travailleurs chinois pour réduire les coûts » et autoriser le personnel de ses 62 magasins chinois à se syndiquer. Même régime pour les fast-foods McDonald's et KFC qui ont accepté de « coopérer » au printemps.

La « société harmonieuse ». Éminemment politique, cette campagne est encouragée par Pékin. Depuis trois ans, le président Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao s'attachent à répondre, au moins dans la presse, à la colère des ouvriers chinois contre les mauvaises conditions de travail. La « syndicalisation » s'accorde parfaitement au nouveau mot d'ordre de la « société harmonieuse ». Mais, selon nombre d'observateurs, l'objectif réel de l'AFCTU est moins de défendre les salariés que de regagner du pouvoir et des fonds. « L'évolution récente du marché du travail a conduit au déplacement des salariés des entreprises d'État en restructuration vers un secteur privé montant en puissance. D'où un déclin de l'adhésion au syndicat officiel », note Andreas Lauffs, avocat chez Baker & McKenzie à Hongkong. Inversant la tendance l'an passé, l'organe du Parti a atteint 150 millions de membres à travers 1 174 entreprises dans tout le pays. Son objectif pour 2007 : augmenter de 80 % le nombre d'adhérents dans les entreprises étrangères.

Œcuménique, Liu Weixin, du Syndicat de Shanghai, assure que les relations entre son organisation et les firmes étrangères s'apaisent. « Quand elles nous connaissent, elles constatent que tout ce que nous recherchons, c'est un partenariat, une relation d'amitié. » Et des subsides, car la création d'un syndicat oblige l'entreprise à verser 2 % de sa masse salariale à l'AFCTU.

Les firmes étrangères limitent les dégâts

La peur de la démocratie chinoise », titrait en avril dernier le Washington Post dans un article au vitriol sur l'attitude des entreprises américaines en Chine. Pékin a proposé en mars 2006 un projet de loi sur le contrat de travail accordant au syndicat un rôle nouveau : celui d'approuver le règlement intérieur qui gouverne les relations du travail, du salaire au licenciement. « Les firmes américaines ont trouvé ces maigres avancées encore trop radicales, alors que les syndicats sont contrôlés par le Parti et souvent dirigés par les patrons eux-mêmes », dénonce le quotidien. « Le risque d'interventionnisme du syndicat dans le management a fait peur aux étrangers », préfère souligner David Boitout, avocat au cabinet Gide à Shanghai. Profitant de la vaste consultation lancée par le gouvernement chinois, les milieux d'affaires occidentaux ont mené une opération de lobbying pour édulcorer la loi. « Les critiques sont arrivées via les chambres de commerce occidentales, raconte Zheng Aiqing, maître de conférences à l'Université du peuple de Pékin. Les entreprises craignent des lois trop prosalariés et une augmentation de leurs charges. » Elles redoutent aussi la concurrence des firmes chinoises. « Celles-ci sont loin d'appliquer les lois, plaide un industriel français. Alors que nous sommes davantage contraints et contrôlés. » L'effort a payé : en septembre 2006, une deuxième version du projet réduit le syndicat à un rôle de consultation obligatoire. « Le texte est plus raisonnable, se réjouit David Boitout. Il écarte toute cogestion à l'allemande. » Pour Andreas Lauffs, de Baker & McKenzie, « les autorités ont eu peur de décourager l'investissement étranger ».

Auteur

  • Joris Zylberman à Shanghai