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Les mutuelles veulent garder leur spécificité

Dossier | publié le : 01.06.2007 | V.L.

Soumises aux mêmes règles que les assureurs et les institutions de prévoyance, les mutuelles se regroupent et se restructurent. Leur défi : garder leur avantage concurrentiel, sans perdre leur âme.

La Mutuelle nationale aviation marine (Mnam) a fait son choix. En suivant « le principe de réalité pour faire face à son environnement et aux nouvelles contraintes », précise son trésorier général, Bertrand Laot. Alors que la situation financière de cette mutuelle qui protège 136 000 personnes est saine, elle a décidé de s'adosser à un partenaire plus solide. Au lieu de se rapprocher, comme « il aurait été intellectuellement confortable », de ses cousines de la fonction publique, elle a porté son dévolu sur un poids lourd de la mutualité interprofessionnelle, Harmonie Mutuelles, une union mutualiste créée en 2004 par Prévadiès, Harmonie Mutualité et Releya qui compte plus de 3 millions de personnes protégées. Ce dernier épisode de la recomposition du paysage mutualiste est révélateur. D'abord, il confirme le mouvement de concentration du secteur, qui devrait se poursuivre, assure l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam). Au 31 décembre 2006, l'Acam dénombrait 2 002 mutuelles contre… 5 000 il y a dix ans. Parmi elles, 1 212 seulement ont une activité d'assurance (Livre II), que la moitié délègue à une autre mutuelle par une convention de substitution. Bref, « il n'est pas incohérent d'envisager, à terme, 250 à 500 mutuelles », analyse Matthieu de Sorbay, de G & M Consultants.

Cette concentration est le plus souvent subie, mais aussi parfois voulue, note l'Acam. « Il est nécessaire d'atteindre une taille adaptée pour disposer des compétences indispensables en termes juridiques, de communication ou de système d'information », explique André Geffard, directeur général de Prévadiès, issu de la fusion de Préviade-Mutouest et d'Imadiès, et codirecteur d'Harmonie Mutuelles. « Nous sommes une petite mutuelle et pourtant nous vivons ! » rétorque Jacques Garot, directeur de Groupe France Mutuelle. Matthieu de Sorbay met tout le monde d'accord : « Les petites mutuelles ont toute leur place si elles innovent et mettent en place des alliances. » Reste que 15 regroupements couvrent à présent la moitié de la population mutualiste.

La décision de la Mnam est également révélatrice de la situation délicate dans laquelle se trouvent nombre de mutuelles de la fonction publique, qui gèrent aussi le régime obligatoire de leurs adhérents. Confrontées à de moindres recrutements, sommées par l'assurance maladie de faire des gains de productivité, touchées par les évolutions technologiques liées à une gestion toujours plus médicalisée, elles restructurent à tout-va. « Il était impensable de licencier dans des structures mutualistes, explique Yves Marthos, président de MFP Services, qui gère le régime obligatoire de 28 mutuelles de fonctionnaires. Beaucoup découvrent que l'on a des impératifs économiques. C'est une sacrée claque. » Le plan de sauvegarde de l'emploi qui s'achève à MFP Services devrait aboutir à la suppression de 300 postes. De son côté, la puissante Mutuelle générale de l'Éducation nationale (Mgen) a décidé d'accélérer sa réorganisation, lancée en 2000. Elle espère finaliser, fin juin, les modalités du transfert de l'activité de gestion de ses 100 sections départementales vers 8 centres régionaux de traitement. Aide à la mobilité et préretraites sont au programme.

Malmenées sur la gestion du régime obligatoire, elles le sont aussi sur la complémentaire santé. L'aide de l'État à la couverture complémentaire de ses agents, épinglée par Bruxelles, doit faire l'objet d'un prochain décret. Fini le monopole des mutuelles. Il est prévu que chaque ministère puisse référencer un ou plusieurs opérateurs, lesquels devront respecter la mise en œuvre de la solidarité entre les bénéficiaires, actifs et retraités. Pour Maurice Duranton, président de la Mutualité Fonction publique (MFP), « le problème va être réglé sur la forme, mais pas sur le fond ».

Bénéficiant de subventions prenant en charge 3 % du montant du risque, les fonctionnaires sont largement moins bien lotis que les salariés du privé, dont l'entreprise couvre en moyenne 60 % du prix des garanties. « La protection sociale complémentaire des fonctionnaires est en déshérence », reprend Maurice Duranton, assurant que « les mutuelles ont fait leur boulot, en organisant depuis soixante ans la solidarité ». Et de regretter que le sujet ne soit pas intégré au dialogue social, comme c'est souvent le cas dans le privé. Le défi est vital pour les mutuelles de fonctionnaires : non seulement le nombre d'agents va stagner, voire baisser, mais sur la complémentaire santé « les adhérents sont de plus en plus volatils », résume Yves Marthos. Pour des assurés dorénavant moins corporatistes, la gestion du régime obligatoire n'est plus un argument suffisant pour souscrire une complémentaire.

L'érosion du taux d'adhésions. « Malgré des départs massifs en retraite et des recrutements plus faibles dans la fonction publique, il faudra embaucher davantage dans les dix ans à venir que dans les vingt ans passés, assure Maurice Duranton. Nos mutuelles ne doivent pas rater ça. » Au cœur d'un marché banalisé, l'infidélité des adhérents n'est évidemment pas le seul fait des mutuelles de fonctionnaires. Fin avril, l'Acam notait la forte concurrence avec les autres opérateurs, assureurs et institutions de prévoyance et, nouveauté, entre les mutuelles elles-mêmes. Certes, « les usines à fabriquer de la solidarité », pour reprendre l'expression de Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), bénéficient toujours d'un fort capital de sympathie – elles captent 59 % du marché. Mais « notre taux d'adhésions s'érode », s'inquiète Jean-Michel Laxalt, président de la Mgen. Selon Daniel Lenoir, le taux d'adhésions, toutes familles de mutuelles confondues, « est stable depuis quinze ans ». Même s'il reconnaît que leur chiffe d'affaires baisse.

Face à l'agressivité des assureurs – notamment envers les jeunes, proies très prisées alors que la population vieillit – et à l'offensive des « bancassureurs », comment garder un avantage concurrentiel sans perdre son âme ? « Avec la généralisation de la complémentaire et le cadre juridique désormais identique pour tous les opérateurs, le risque de banalisation est réel », reconnaît Daniel Lenoir. Pour certains, elle est sinon achevée, du moins bien en marche. « 75 à 80 % des garanties proposées par les mutuelles sont les mêmes », estime ainsi un mutualiste. Jacques Garot, de Groupe France Mutuelle, met tout le monde dans le même panier : « Chacun pratique son métier comme celui d'à côté. Les assureurs santé facultatifs, dont c'est pourtant le rôle, ne prennent généralement pas de risque. » Mais Daniel Lenoir assure que la Mutualité « fait face » et insiste sur les garanties offertes avec le parcours de santé mutualiste, en cours de création, « qui complète la couverture des frais de santé en permettant à l'adhérent de savoir où s'adresser pour accéder aux soins dans des conditions de transparence sur la qualité ».

Le directeur général de la FNMF évoque aussi les hôpitaux, maisons de retraite et autres centres d'optique – les réalisations sanitaires et sociales, dans le jargon mutualiste – pour se différencier de la concurrence. Il vante enfin la structure juridique des mutuelles, qui « restent des sociétés de personnes », où l'assuré n'est pas un client mais bien un adhérent, où les garanties ne sont pas figées dans un contrat mais évoluent dans le temps, au gré des décisions des assemblées générales. Cela dit, Daniel Lenoir estime, également, indispensable de « rendre plus visible la démocratie mutualiste ».

Les mutuelles d'entreprise s'organisent

Les mutuelles santé « maison » des entreprises ne veulent pas être les dindons de la farce. Elles doivent faire face, comme les autres mutuelles, à une concurrence acharnée, à des règles prudentielles contraignantes et sont condamnées, si elles ne s'adaptent pas, à disparaître ou à se faire absorber par un gros opérateur.

L'Union nationale des mutuelles en entreprise (UNME), qui représente une centaine de structures pour 1,5 million de personnes protégées, a donc décidé de créer Agrume, une union de groupes mutualistes destinée à conforter les mutuelles d'entreprise dans le paysage de la complémentaire santé. « Ensemble, nous pouvons être un groupe économiquement fort pour peser auprès des entreprises, de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam) et du mouvement mutualiste », estime Marie-Line Chapheau, directrice de l'UNME. Agrume est donc un projet « politique » qui s'appuie sur une expertise technique destinée à prévenir les problèmes conjoncturels des adhérents – « c'est un des piliers du contrôle interne de demain », explique la directrice de l'UNME – et sur un mécanisme d'entraide financière entre les mutuelles, si besoin est.

Agrume a été présenté le 26 avril aux adhérents de l'UNME. Avant d'être officiellement créée, cette union doit être testée par un groupe de mutuelles adhérentes de l'UNME, au second semestre 2007. « Il faudrait pouvoir réunir 300 000 personnes protégées », estime Marie-Line Chapheau. L'appel à candidatures est lancé.

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  • V.L.