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Le casse-tête des salariés globe-trotteurs

Dossier | publié le : 01.06.2007 | V.D.

Les groupes doivent compter avec les diverses nationalités de leurs expatriés et harmoniser les protections. Des contraintes que certains tentent d'assouplir.

Des Égyptiens envoyés par un groupe français de BTP sur un gros chantier à Bagdad ; des Roumains dépêchés aux États-Unis pour participer à un projet informatique ; des ingénieurs français et irlandais en Israël pour la mise en route d'une machine de semi-conducteurs et des cadres angolais en formation de longue durée en France… Face aux nouvelles contraintes du business, la gestion de la protection sociale, et notamment la couverture santé de ces salariés globe-trotteurs, est devenue depuis quelques années de plus en plus complexe. « Les entreprises y portent une attention accrue », notent les auteurs du Livre blanc sur la mobilité internationale du cercle Magellan, publié en 2005. « Alors que jusque dans les années 90 nos expatriés étaient constitués à 90 % de Français, nous devons désormais composer avec 59 nationalités différentes réparties dans une centaine de pays », confirme Denis Guertault, directeur des rémunérations et avantages sociaux de Schneider Electric, chargé de la politique de mobilité internationale. Règle de base : « La couverture sociale des expatriés doit être au moins équivalente à celle dont ils auraient bénéficié dans leur pays d'origine. » Mais Schneider Electric doit désormais composer avec pas moins de quatre régimes différents suivant la nationalité de ses expatriés : affiliation à la Caisse française des étrangers (l'équivalent de la Sécu) complétée par une complémentaire privée pour les Français ; maintien de leur assurance privée locale pour les Américains ; affiliation à l'assurance maladie et à la mutuelle pour les étrangers issus d'un autre pays sous convention bilatérale avec la France ; adhésion à un contrat dit « au premier euro », c'est-à-dire remboursant la quasi-totalité des frais engagés pour tous les autres. « C'est un peu complexe à gérer, reconnaît Denis Guertault. Et cela nous oblige à faire attention aux garanties offertes à chaque mouvement. »

Le boom des contrats au premier euro. À rebours de cette conception, les multinationales privilégient davantage l'harmonisation des couvertures, notamment en cas d'expatriation de longue durée. « Les entreprises sont tentées de centraliser la gestion de la protection sociale de leurs salariés mobiles internationaux, quels que soient les mouvements de main-d'œuvre, afin que tous soient soumis aux mêmes règles », observe Éric Trottmann, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss). « L'harmonisation a plutôt tendance à s'opérer par le haut de façon que, en cas de décès, par exemple, la veuve d'un salarié roumain perçoive une prestation identique à celle d'un Français », relève Thierry Vautrin, directeur d'Apri Insurance, la filiale de cette institution de prévoyance spécialisée depuis 1993 dans la gestion des expatriés. Résultat, les contrats au premier euro ont le vent en poupe. Généralement souscrits auprès d'assureurs internationaux et gérés par les grands courtiers (voir encadré ci-dessous), ces contrats présentent l'avantage de rembourser la quasi-totalité des frais de santé des expatriés, à l'exception d'un reste à charge compris entre 5 et 10 %.

Autre avantage, « ils couvrent les familles de nos expatriés de façon uniforme, que celles-ci accompagnent le salarié ou non », se félicite Pascal Vrillon, directeur des rémunérations et de l'expatriation de Total. Les expatriés ont aussi af-faire à un interlocuteur unique en matière de remboursement. C'est le cas de GMC, l'un des grands courtiers spécialisés dans la mobilité internationale, qui garantit à ses 129 000 expatriés couverts un remboursement en quarante-huit heures à partir de l'une de ses cinq plates-formes de gestion disséminées à travers le monde. Surtout, les gestionnaires de ces contrats s'efforcent de « maîtriser les coûts grâce au référencement permanent d'un réseau de praticiens ou de prestataires médicaux à l'international », souligne Thierry Vautrin, d'Apri Insurance. Quitte à tenir compte des spécificités de l'offre locale de soins, comme l'ostéopathie en Asie ou l'implantologie dentaire aux États-Unis. « Ce référencement nous permet d'échapper aux tarifs touristiques en matière de santé et de ne payer que le prix convenu », renchérit Jacques Ledys, directeur du département international de GMC Services, en rappelant qu'à Hongkong un accouchement, par exemple, coûte 10 000 euros.

Pour Denis Guertault, de Schneider Electric, « ces couvertures au premier euro fonctionnent bien et à moindres frais… tant qu'il n'y a pas de problème ». Car, au premier gros pépin, le montage risque de virer au cauchemar pour l'entreprise en se soldant par une facture qui peut s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros. C'est notamment le cas lorsqu'il s'agit de rapatrier en urgence un salarié pour une maladie grave. « Du fait des délais de carence instaurés par la sécurité sociale, un ancien expatrié en arrêt de travail prolongé peut ainsi se voir couper les vivres au bout de six mois faute de durée d'affiliation suffisante », explique Alain Rivière, directeur général d'Apri Insurance. À charge alors pour l'entreprise de suppléer au désarroi des familles.

Autre inconvénient de ces contrats : leur coût. « En particulier lorsqu'il faut maintenir l'affiliation à un régime obligatoire local », précise la directrice des rémunérations d'un grand groupe alimentaire. Exemple chez Applied Materials, un fabricant californien de machines de semi-conducteurs. « Notre siège social de San Francisco nous oblige à affilier nos salariés européens à la couverture santé mondiale américaine dès lors qu'ils sont en déplacement pour plus de trois mois, explique Lucile Combaluzier, responsable rémunérations et avantages sociaux d'Applied Materials Europe. Pourtant, ces ingénieurs européens restent affiliés à la sécurité sociale et à la mutuelle de leur pays d'origine. Il nous en coûte une surcotisation de l'ordre de 200 dollars par mois. » De leur côté, les conventions internationales en matière de sécurité sociale tendent à poser comme principe que, « sauf à bénéficier d'un détachement en bonne et due forme leur permettant de demeurer à la sécurité sociale de leur pays d'origine, les expatriés sont censés être affiliés au régime obligatoire de leur pays d'accueil », rappelle Jacques Ledys, de GMC.

L'effet de la mondialisation. Certains groupes tentent de s'affranchir de ces contraintes. À l'instar de Total qui a rattaché l'ensemble de ses 3 500 expatriés à une plate-forme de gestion basée en Suisse, pays dont la législation est moins contraignante. Un montage toutefois contesté par le ministère français des Affaires sociales. Motif ? « Cela revient à accepter que les expatriés détachés en France en vertu de ce système ne participent pas à la solidarité nationale en matière de Sécurité sociale », souligne Éric Trottmann, le directeur du Cleiss, qui, tout en soulignant « les difficultés croissantes à maîtriser cet effet de la mondialisation », se montre de plus en plus restrictif sur les demandes de renouvellement de détachement.

Contestant ce que d'aucuns apparentent à un « patriotisme induit par la pression des déficits sociaux », Pascal Vrillon, le directeur des rémunérations de Total, soutenu par le cercle Magellan, compte bien faire valoir les spécificités de la mobilité intragroupe et les difficultés d'articulation pour obtenir du nouveau gouvernement un assouplissement des règles. Non sans arguments. « En étant affiliés au régime du pays d'accueil, les expatriés ne sont pas remboursés des frais de santé engagés dans leur pays d'origine alors que ceux-ci peuvent représenter jusqu'à 50 % de leur consommation de soins. Il en est de même pour les frais de leurs ayants droit demeurés dans leur pays d'origine », plaide Jacques Ledys. « Allez expliquer à un Canadien impatrié en France les arcanes du médecin traitant et du parcours de soins ! » ironise la directrice des rémunérations d'un groupe alimentaire. Dans ce contexte, le bras de fer engagé avec l'État français – qui, pour l'heure, se solde dans le cas de Total, par un moratoire accordé jusqu'à la fin de l'année – ne fait que commencer. Il ne va pas manquer de rebondir lorsque les rapporteurs de l'Igas mandatés en début d'année sur ce sujet vont bientôt rendre publiques leurs recommandations.

Une institution de prévoyance défie courtiers et assureurs

Pour couvrir leurs expatriés, les responsables chargés de la mobilité internationale n'ont pas l'embarras du choix. « Peu d'opérateurs maîtrisent cette problématique », reconnaît la directrice d'un groupe alimentaire. De fait, le marché est dominé par des assureurs tels que Prudential aux États-Unis, ou encore Axa et les AGF en France, le plus souvent adossés pour la gestion aux grands courtiers internationaux, tels que GMC, filiale du groupe Henner, ASH Preventer, filiale du Groupe LCF Rothschild, ou encore Aon. Certaines institutions de prévoyance, soucieuses d'élargir leur offre, n'en ont pas moins pris pied sur ce marché. À l'instar du groupe Apri, qui, au travers de sa filiale Apri Insurance, y est implanté depuis 1993.

Forte de son expérience et d'un chiffre d'affaires de 8 millions d'euros en 2006, ce « Petit Poucet » du marché veut toutefois franchir une étape en devenant, selon Alain Rivière, son directeur général, « le pilier, dédié à l'international, d'un pôle de regroupement à destination de l'ensemble des acteurs non lucratifs », en vue de proposer un « package individuel/collectif en prévoyance santé et retraite destiné aux expatriés des PME et TPE ».

Première concrétisation de cette offre « alternative », le rapprochement avec le Groupe Taitbout, institution de prévoyance qui a elle aussi pris pied sur le marché de la mobilité internationale à travers ses caisses de retraite complémentaire. En vertu du montage pressenti (dont le dossier vient d'être déposé auprès de l'Acam), Apri prendrait 30 % du Groupe Taitbout tout en conservant 51 % de sa filiale Apri Insurance.

Auteur

  • V.D.