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Van Roekeghem impose un remède de choc à l’assurance maladie

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.2007 | Valérie Devillechabrolle

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L’Ondam réalisé dépasse l’objectif voté (écart en points)

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Reprise en main du réseau, recherche de gains de productivité, chasse aux abus, signature d’accords gagnants-gagnants avec les médecins… Le pilote de l’assurance maladie ne ménage pas ses efforts pour contenir les dépenses.

Une épée de Damoclès pèse sur la tête de Frédéric Van Roekeghem, le patron de l’assurance maladie. Avec une croissance des dépenses de santé remboursables légèrement supérieure à 3 % l’an passé, le dérapage eu égard à l’objectif fixé par le Parlement (2,2 %) a dépassé le seuil de déclenchement (2,95 %) d’un plan de redressement décidé par le comité d’alerte. Une instance composée de trois personnalités qualifiées, placée auprès de la commission des comptes de la Sécu et chargée de s’assurer du respect de l’Ondam. Une telle décision ternirait le bilan du directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Et pourtant, grâce à la hausse inattendue des cotisations, le déficit du régime général se réduit à un rythme soutenu : de 11,3 milliards d’euros en 2004 à 5,9 milliards d’euros fin 2006. Depuis sa nomination fin 2004, l’ancien directeur de cabinet de Philippe Douste-Blazy ne ménage pas sa peine pour renflouer le paquebot de la Sécu. Son remède commence à opérer, si l’on en juge par les bons résultats de la lutte contre les fraudes et les abus ou encore par la décélération sensible des dépenses de remboursement de médicaments. « Notre action donne ses premiers résultats visibles. C’est bon signe », commente sobrement cet ancien ingénieur de 45 ans. Il est vrai qu’à la différence de ses prédécesseurs, et grâce à la réforme de 2004 dont il a été l’un des principaux artisans, le directeur général de la Cnamts est désormais « non seulement maître du jeu, mais il est aussi maître du temps », comme l’explique un expert.

Doté de pouvoirs renforcés et nommé pour cinq ans, Frédéric Van Roekeghem n’a pas chômé depuis trois ans : ratification, la première année, d’une nouvelle convention avec les médecins, approbation par tous les partenaires sociaux de sa feuille de route 2005-2009 ; signature, enfin, en août 2006, avec l’État, d’une convention d’objectifs et de gestion. En interne, cet ancien patron de l’audit d’Axa a totalement chamboulé l’organisation de la Caisse pour la mettre au service d’une « stratégie cohérente, globale et progressive en matière de maîtrise des dépenses », comme l’explique son entourage. Revue de détail de cette minirévolution.

1 Mettre au pas le réseau

Pour maîtriser les dépenses de santé, « l’objectif n’est pas tant d’avoir des idées originales que de parvenir à les mettre en œuvre », estime Jean-Marc Aubert, patron de la gestion du risque à la Cnam et fidèle lieutenant du directeur général. Jusqu’à la loi d’août 2004, qui a accordé au directeur général le pouvoir de nomination des directeurs locaux, la Caisse nationale ne disposait d’aucune tutelle directe sur les quelque 200 organismes locaux (CPAM, Cram, etc.) qui composent le réseau de l’assurance maladie. « Même si chacune des caisses primaires essayait de gérer le risque, elles n’intervenaient pas toujours de façon coordonnée, y compris sur des thématiques identiques, ce qui nuisait à l’efficacité collective », rappelle Éric Le Boulaire, directeur de la CPAM de Versailles.

« Tous les directeurs d’organisme se sont vu assigner des objectifs annuels, définis en lien avec les priorités nationales, notamment en matière de maîtrise médicalisée des dépenses », explique Frédéric Van Roekeghem. Et ces cadres sont d’autant plus motivés pour les atteindre que la moitié de leur part variable de rémunération (un mois et demi de salaire au total) en découle. Dans les Yvelines, Éric Le Boulaire était, en 2006, intéressé à l’atteinte d’un taux de substitution de médicaments génériques et au respect par les médecins des nouvelles règles de remboursement des affections de longue durée (ALD).

À charge pour Olivier de Cadeville, le directeur délégué aux opérations, d’en mesurer mensuellement l’état d’avancement à l’aide d’un système de reporting fin et permanent. Un contrôle serré qui tend à « transformer les directeurs en propagandistes de la réforme », regrette Claude Frémont, auteur d’Adieu Sécu (éditions du Cherche Midi, 2006). Un ouvrage où l’ancien patron de la CPAM de Loire-Atlantique dénonce l’avalanche de circulaires qui s’abat chaque matin. « Cette reprise en main énergique de l’échelon local risque de marginaliser l’échelon régional, le seul pertinent pour réorganiser l’offre de soins sur le territoire », redoute Gaby Bonnand, secrétaire national chargé de la protection sociale à la CFDT. Un doute qu’Olivier de Cadeville balaie en rappelant que, dans la moitié des régions, les directeurs des unions régionales de caisses d’assurance maladie cumulent leurs fonctions avec celles de directeur de CPAM.

2 Traquer abus et fraudes

Avec plus de 18 500 fraudes ou abus détectés en 2006, soit six fois plus qu’en 2005, pour un montant total de 119,6 millions d’euros (multiplié par quinze en un an), la lutte contre la fraude a constitué la première priorité de la reprise en main managériale de la Cnam. Alors que, jusqu’en 2005, les contrôles étaient, selon Pierre Fender, le patron de la nouvelle division du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude, « très limités dans leurs thèmes et différents d’un service à l’autre », Frédéric Van Roekeghem leur a désormais assigné un cadre strict : « Pour que ces contrôles soient efficaces, il faut que leurs modalités soient connues de tous à l’avance, qu’ils soient équitablement répartis entre les trois acteurs du système (patients, professionnels de santé et entreprises) et que les sanctions prévues soient effectivement mises en œuvre le cas échéant. »

La Cnam fait dorénavant la distinction entre « la fraude avec volonté de nuire, la faute qui relève de la négligence et les abus par incompétence ou négligence », détaille Pierre Fender. Si la première est réprimée d’office, les fautes et les abus détectés par des vérifications automatisées déclenchent d’abord l’information des professionnels de santé et des patients concernés. « Le principal enjeu de ces contrôles réside plus dans leurs effets dissuasifs que dans les économies directes qu’ils génèrent », reprend Pierre Fender, qui met à l’actif de cette stratégie la baisse de 41 %, en 2006, du nombre des patients « mégaconsommateurs ».

Parallèlement, les premières sanctions sont tombées. Une cinquantaine de médecins ont été mis en 2006 sous accord préalable pour prescription excessive d’arrêts de travail ayant induit un montant total de 23 millions d’euros, et 150 autres sont dans les tuyaux pour 2007. De même, 150 médecins généralistes du Vaucluse viennent d’être mis en garde pour le non-respect des règles relatives aux patients en ALD. Une vingtaine d’entre eux se sont vu réclamer le remboursement de sommes allant de 6 000 à 20 000 euros. Pour Gaby Bonnand, de la CFDT, « ces coups médiatiques épargnent encore largement les médecins qui, de par leur comportement individuel, pénalisent les patients en pratiquant des dépassements d’honoraires injustifiés ou des refus de soins ou de garde ». Patron de la gestion du risque, Jean-Marc Aubert estime que « l’efficience du système ne proviendra pas des seuls contrôles, qui ne portent que sur 1 % des problèmes. Pour les 99 % restants, cela passe par d’autres outils ». En attendant, forte de ces premiers résultats, la Cnam compte en 2007 amplifier ses contrôles sur les hôpitaux, qui représentent la moitié de ses remboursements.

3 Amadouer les professionnels de santé

Ancien conseiller technique du gouvernement Juppé, Frédéric Van Roekeghem a retenu la leçon de la douloureuse réforme de 1995. « Avant d’engager un bras de fer, il faut être sûr de le gagner, confirme un de ses proches. Il n’est donc pas question de perdre de nouveau dix ans à cause d’un bras de fer perdu avec les professionnels de santé. » Après dix années de brouille, le directeur général de la Cnam a donc repris langue, dès sa nomination, avec les différentes composantes du corps médical. Avec succès, puisque la Caisse a conclu à partir de janvier 2005 une série d’accords conventionnels. Le principe en est à chaque fois identique : échanger des revalorisations de rémunération contre des engagements chiffrés et surtout opposables en matière de maîtrise médicalisée des dépenses et de prévention. Et si d’aucuns persistent à ne voir dans ces négociations « que la poursuite d’un immense Meccano corporatiste, de court terme et sans vision d’ensemble », d’autres ont senti le changement, à l’instar de Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français, signataire de la convention de 2005 : « Frédéric Van Roekeghem ne prend personne bille en tête, mais c’est un partenaire fiable, capable de nous mettre en situation de responsabilité. On n’était pas habitué à cela », estime son principal interlocuteur.

Et pour cause. Le directeur général de la Cnam s’est donné les moyens de s’assurer que les accords conclus ne resteraient pas des vœux pieux. Sa botte secrète ? Les délégués d’assurance maladie (DAM), ces centaines de fantassins désormais chargés de porter la bonne parole dans les cabinets, sur le modèle des visiteurs médicaux : « Au départ, il s’agissait surtout de faciliter la diffusion de la nouvelle carte Sesam-Vitale, de présenter les nouvelles règles conventionnelles ou encore le profil de prescription tout en glissant des conseils comme la non-prescription d’arrêts de travail le vendredi, par exemple », raconte Didier, qui a fait partie des 600 premiers recrutés par promotion interne.

Une initiative plutôt bien perçue par les médecins : « Pour la première fois, la Sécu n’était plus vue comme la grande maison administrative fermée sur elle-même », poursuit ce délégué d’assurance maladie. Et la mayonnaise semble prendre, comme en témoigne Bernard Lemoine, vice-président délégué du syndicat professionnel de l’industrie pharmaceutique, le Leem : « L’action des DAM n’est pas neutre car ils influencent le transfert de certaines prescriptions, au risque d’interférer, en termes de santé publique, dans la relation praticien-patient », explique-t-il en reconnaissant que « jamais l’industrie du médicament n’avait été soumise à une telle pression croisée, tant sur les prix que sur les volumes ».

Frédéric Van Roekeghem veut désormais pousser l’avantage en transformant ces VRP de l’assurance maladie en colporteurs de bonnes pratiques, moyennant une formation scientifique et technique, sanctionnée par un certificat de qualification professionnelle. Une évolution pas toujours bien perçue par les intéressés qui, de l’avis de Daniel Edelin, de la Fédération CGT des organismes sociaux, redoutent « une augmentation du stress, la pression des chiffres, l’accroissement des amplitudes horaires et le manque de reconnaissance du métier ». « C’est une période charnière pour le suivi des DAM », reconnaît Olivier de Cadeville, le directeur délégué aux opérations, qui doit recruter 400 délégués supplémentaires d’ici à 2009.

4 Gagner en productivité

À force de l’anticiper, le papy-boom a bel et bien commencé à la Cnam. Sur la période 2006-2009, les 11 300 départs programmés ne seront remplacés qu’à hauteur de 60 %, ce qui se traduira au passage par la suppression nette de 4 500 emplois. Si ce taux, gravé dans le marbre de la convention d’objectifs et de gestion signée avec l’État en 2006, est global, il varie fortement d’une caisse locale à une autre : « De 15 % en région parisienne à 70 % en province, en fonction du coût de gestion par assuré pondéré par les résultats du contrat pluriannuel de gestion », détaille Olivier de Cadeville.

Sauf que, pour tenir ces objectifs sans froisser les partenaires sociaux locaux, Frédéric Van Roekeghem mise moins sur des fermetures brutales de caisses que sur des mutualisations d’activités. Exemple dans les Yvelines, où Éric Le Boulaire fait réaliser les audits dont il a besoin par les experts de la CPAM voisine de l’Essonne moyennant une rétribution de leurs services. De son côté, la CPAM de Vannes, dans le Morbihan, a hérité de la gestion, sur le plan national, de la liquidation de l’ensemble des soins effectués à l’étranger. Quant à la notification des indus liés à une mauvaise tarification d’activité dans les cliniques, elle est désormais centralisée auprès d’une cellule régionale. « Notre but est de modifier progressivement les méthodes de travail pour chasser les redondances en favorisant la mutualisation de compétences entre les entités des réseaux », souligne le directeur délégué aux opérations de la Cnam.

Dans ce domaine, Frédéric Van Roekeghem entend passer la vitesse supérieure après avoir demandé à l’ensemble de ses directeurs locaux de lui faire des propositions de mutualisation par fonction. Le ramassage des copies a eu lieu en décembre dernier. Les premiers projets devaient voir le jour en avril pour un premier bilan en 2008. Un calendrier qui ne sera probablement pas chamboulé par le futur gouvernement. Car Frédéric Van Roekeghem ne peut être désavoué que par une motion adoptée par au moins trois quarts des membres de son conseil d’orientation. Une autre facette de la réforme de 2004…

Repères

La nouvelle gouvernance de l’assurance maladie place le directeur de la Cnamts au cœur du système. Également directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), qui rassemble les trois régimes obligatoires (Cnamts, MSA et RSI), il peut négocier à sa guise avec les professionnels de santé, tandis que les partenaires sociaux sont cantonnés dans le rôle d’« observateurs informés ».

1945 Pierre Laroque crée la Sécurité sociale, dont la gestion est confiée aux partenaires sociaux.

1967 La Sécu est divisée en trois branches : l’assurance maladie, la retraite et la famille.

1996 Le Parlement fixe chaque année un objectif national des dépenses d’assurance maladie.

2004 Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé, réforme la gouvernance de l’assurance maladie.

L’Ondam réalisé dépasse l’objectif voté (écart en points)
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC VAN ROEKEGHEM, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CNAMTS
“Notre système de soins n’a pas à rougir de ses résultats ni de son coût”

La loi de 2004 vous permet-elle de mieux piloter l’assurance maladie ?

Le directeur de l’assurance maladie dispose de compétences renforcées. Il négocie les accords avec les professionnels de santé. Il nomme les directeurs d’organisme, ce qui a contribué à changer la donne du point de vue managérial. La séparation claire du pouvoir d’orientation du conseil et du pouvoir exécutif du directeur général rend enfin celui-ci légitime pour piloter le réseau. La dernière évolution culturelle à accomplir est de transformer le régime obligatoire en assureur solidaire en santé, c’est-à-dire en une entreprise de service public centrée sur la gestion du risque.

Pourquoi multipliez-vous les contrôles à l’hôpital ?

La nouvelle tarification des actes hospitaliers a fait passer l’assurance maladie du statut de payeur aveugle à celui d’assureur collectif remboursant des soins facturés. Pendant la montée en charge de cette réforme, l’augmentation des contrôles doit stabiliser les pratiques et éviter les dérives. Leur impact financier est moins important que celui sur l’évolution des pratiques. Alors que la moitié des dépenses est imputable aux hôpitaux, l’efficience du système suppose d’abolir la frontière entre médecine de ville et hôpital. Il faut donc convaincre les établissements de notre légitimité à favoriser l’optimisation des dépenses hospitalières.

Remédierez-vous aux déséquilibres démographiques ?

Nos relations avec les professionnels de santé relèvent du contrat. Nous ne pouvons pas leur imposer des formes d’organisation qu’ils rejetteraient. Mais il est de leur intérêt de négocier pour éviter d’en arriver à des mesures législatives. Nous avons ainsi conclu un accord avec les généralistes pour les inciter à s’installer dans les zones sous-médicalisées, en accordant une majoration d’honoraires de 20 % réservée à ceux qui s’installent en cabinet de groupe.

Comment lutter contre l’inflation des honoraires ?

Il est important de veiller à ce que les professionnels de santé aient des revenus cohérents avec leurs responsabilités. Le système actuel a engendré des déséquilibres en termes de rémunération entre spécialités, notamment pour les actes techniques répétitifs. Afin de le rééquilibrer, l’assurance maladie est favorable à la revalorisation de la médecine générale. Le rythme de ces ajustements ne doit néanmoins pas remettre en cause le redressement financier du régime, être compatible avec l’Ondam et être enfin jugé acceptable par les assurés.

Que faire contre les dépassements d’honoraires ?

Améliorer l’information des patients en organisant une meilleure visibilité des tarifs. Nous avons aussi lancé des contrôles sur des praticiens qui dépassaient la mesure dans la fixation de leurs honoraires, en tenant compte de leur notoriété ou de leurs compétences.

La santé a-t-elle occupé la place qui lui revient dans la campagne présidentielle ?

Si la santé est une préoccupation importante des Français, elle ne constitue pas un problème majeur comme le chômage. Notre système de soins n’a pas à rougir de ses résultats ni de son coût, comparé aux autres pays européens. Il pourrait cependant être plus efficient, notamment en matière de consommation de médicaments, et le rôle de l’assurance maladie est justement de modifier le comportement des prescripteurs hospitaliers et libéraux et des consommateurs.

Faut-il instaurer une franchise sur les soins ?

Ce sujet relève du Parlement. Je reste pour ma part convaincu de la nécessité de garantir la mutualisation forte que permet le régime obligatoire afin de maintenir un haut niveau d’accès aux soins, du fait de la concentration des dépenses sur les patients dont les cas sont les plus lourds.

Les restructurations hospitalières sont-elles trop lentes ?

La plupart des experts considèrent que l’hospitalisation privée a déjà largement entamé sa restructuration, notamment du fait de la pression concurrentielle. Accélérer la refonte de la carte hospitalière publique suppose un accompagnement et une pédagogie. Il nous faut davantage démontrer la nécessité de nous moderniser pour ne pas être à la traîne des autres pays européens. Le plus difficile, c’est d’impulser le mouvement.

Propos recueillis par Denis Boissard et Valérie Devillechabrolle

FRÉDÉRIC VAN ROEKEGHEM

45 ans

1983

Diplômé de l’X.

1995

Conseiller technique auprès de Jean Arthuis, ministre de l’Économie.

2001

Directeur à l’audit central d’Axa.

2003

Directeur de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale.

2004

Directeur de cabinet de Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle