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Politique sociale

Les accords de méthode apaisent le dialogue sur les restructurations

Politique sociale | publié le : 01.05.2007 | Nadia Salem

Instaurés par la loi Fillon de 2003, les accords de méthode ont remis en selle les syndicats dans la négociation des plans sociaux. Couplés avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ils permettent d’anticiper à froid les restructurations.

A Poix-du-Nord, les ouvrières d’ECCE, fabricant français de costumes haut de gamme, ne décolèrent pas. Après deux plans sociaux, le site devrait fermer en juillet prochain et la production être délocalisée vers les pays de l’Est. Cent quarante emplois sont menacés, ceux de femmes, dans leur grande majorité, payées au smic et âgées de plus de 40 ans. « La faute au coût de la main-d’œuvre, peste Marie-Hélène Bourlard, déléguée CGT : 0,19 centime d’euro la minute à l’Est, contre 0,56 en France. » Les syndicats négocient pied à pied les termes de l’accord de méthode, le second en cinq ans. Le but ? Fixer un calendrier et envisager les modalités d’accompagnement du PSE.

« Comprendre n’est pas accepter. » Régine Pailhes-Roset, DRH de Temex, ex-filiale de Thomson spécialisée dans les puces électroniques, le répète à l’envi. L’un des sites français de Temex, basé dans l’Aube, connaît lui aussi de graves difficultés. Début 2005, la dégradation des résultats aboutit à un constat sans appel : les compétences des 170 salariés, dont la moitié d’ouvriers, ne permettent pas de répondre aux besoins de l’entreprise et de ses clients. Il est nécessaire d’opérer une véritable « mutation » pour passer de l’artisanat aux exigences de l’ère industrielle. Fin 2005 s’engagent alors des négociations sur le plan de redressement envisagé par la direction. À la clé, la signature d’un accord de méthode finalement obtenue à l’issue de trois réunions avec les partenaires sociaux. Pour la direction, un tel accord ne se borne pas à organiser les procédures légales ou à lister quelques principes sur les engagements minimaux en matière de PSE, il reprend également l’ensemble de l’opération afin d’en rappeler la cohérence globale. Renforcement des compétences clés en R & D et sur la supply chain, actions d’aide au reclassement, programmes individualisés de formation, actions de relocalisation sur les sites basés en Chine, au Maroc et en Pologne… « On a conduit le plan social avec une dimension de développement, assure la DRH groupe, et en codécision avec les partenaires syndicaux. » La CGT et FO ont donné un avis favorable sur la partie économique et sur l’accompagnement social du PSE. La DRH reconnaît néanmoins avoir « fragilisé » les deux déléguées syndicales signataires qui ont eu le sentiment d’être parfois en porte-à-faux à l’égard des salariés.

Un bilan positif. Instaurés en 2003 par la loi Fillon à titre expérimental pour répondre à la complexité croissante des procédures de licenciement collectif, les accords de méthode se sont multipliés. Fin septembre 2004, on en comptait 173. Pérennisés depuis la loi de cohésion sociale de janvier 2005, ils sont entrés dans le droit commun et s’exposent au droit d’opposition des syndicats majoritaires. À la Fnac, le syndicat majoritaire SUD s’en est servi. Une exception. Lors d’un premier bilan, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) rendait un avis positif sur ces accords, qui, selon elle, témoignent du « développement d’une négociation constructive sur les restructurations au niveau des entreprises, répondant au souci des acteurs de sécuriser les procédures et de faciliter le reclassement des salariés concernés ».

Pour autant, les entreprises sont loin de se ruer sur le dispositif. « La loi Fillon de 2003 n’a fait que populariser l’usage des accords de méthode, déjà en vigueur dans des grands groupes soucieux de dialogue social », précise Dominique Paucard, de Syndex. Nombre d’entre eux considèrent que la procédure définie actuellement par la loi offre une garantie suffisante de maîtrise des délais et ne sont donc pas enclins à s’engager dans la négociation d’un accord de méthode en cas de projet de licenciement collectif. Actuellement, ces accords ne sont conclus que pour une minorité de procédures, moins de 20 % hors situation de redressement ou liquidation judiciaire. Parallèlement, les représentants du personnel, qui découvrent souvent au fil de l’eau les détails du projet de restructuration, voient parfois en eux un chèque en blanc accordé à la direction. Néanmoins, dans plus de la moitié des cas, la demande d’accord de méthode émane de ces mêmes organisations syndicales, note une étude de l’Ires. L’assurance pour elles d’un engagement réciproque et la possibilité d’obtenir des contreparties. « Le grand intérêt de ces accords est d’avoir réintroduit les syndicats dans la négociation sur les plans de sauvegarde », constate Dominique Paucard. Car, depuis 1974, les textes avaient inscrit le plan social dans le cadre de la procédure de concertation avec les représentants du personnel, excluant les organisations syndicales.

Clause de confidentialité. Chez Rhodia, les parties prenantes ont diversement apprécié l’accord de méthode signé par toutes les organisations syndicales en février 2004. À l’époque, celui-ci avait pour ambition d’encadrer et d’accompagner les cessions et restructurations de sites qui entraînaient la suppression de 631 postes. « Dans la situation financière très difficile du groupe, fin 2003, il a permis de gagner un temps précieux en dépassant les combats de procédure et d’instaurer un dialogue de qualité sur les questions de fond », analyse Max Matta, DRH France de Rhodia. Pièce maîtresse, l’instance de dialogue stratégique mise en place par la direction, dont la vocation était de discuter, très en amont, de la situation économique et de la stratégie du groupe en contrepartie d’une clause de confidentialité. Mais, avec le recul, certaines organisations syndicales y ont vu le renoncement à l’action revendicative au profit du seul accompagnement social des restructurations. « Même si l’application de l’accord de méthode a finalement permis d’empêcher la quasi-totalité des licenciements », concède Bernard Ughetto, délégué CGT. Pour Pierre Gosselin (FO), qui dit s’être engagé « sans connaître l’ampleur des licenciements et avec une obligation de confidentialité », la pilule est amère. « L’accord nous a ligotés ». Du coup, le syndicat n’a pas signé, le 14 mars dernier, l’accord-cadre sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) qui détermine les outils pour traiter au plus tôt les remplacements des départs en retraite, répondre à l’émergence de nouveaux métiers et définir l’accompagnement des personnels dont l’emploi est supprimé à terme. Le tout pour éviter les licenciements.

Une démarche concertée d’anticipation butte sur la capacité à créer une relation de confiance entre DRH et délégués syndicaux

Rhodia n’est pas un cas isolé. « Les restructurations se sont accélérées ces dernières années et présentent un caractère permanent, diffus, multiforme, analyse Marie Raveyre, de l’Ires ; les fermetures d’entreprises n’étant que la face émergée de l’iceberg. » Autant d’évolutions qui expliquent que les accords de méthode soient de plus en plus couplés à des accords de GPEC. « Après une phase de méfiance puis d’appropriation, les accords de méthode entrent dans une troisième période », explique Damien Doré, directeur d’études à Entreprise & Personnel. D’autant que la loi de janvier 2005 a fait de la GPEC une obligation pour l’employeur. Toutes les entreprises de plus de 300 salariés doivent désormais négocier des accords de GPEC pour anticiper à froid leurs restructurations. Plusieurs décisions de justice ont rappelé aux entreprises leur devoir. L’ancienne filiale d’Alcatel, NextiraOne, tout comme Capgemini ont ainsi vu leurs plans sociaux suspendus. Motif ? Ces sociétés n’avaient pas ouvert de négociation triennale (obligation de la GPEC) sur le sujet, alors qu’un accord de méthode prévoyait des suppressions d’emplois.

Parmi les pionniers, Carrefour a signé en avril 2006 un accord de GPEC « indissociable » de l’accord de méthode, pour mieux affronter les réorganisations qui ponctuent la vie de ce groupe de 140 000 salariés. Dans l’esprit de la direction, les deux accords signés par FO, la CFDT et la CFTC sont complémentaires. « Avec la GPEC, on est dans le soft, l’anticipation sur l’emploi, qui permet de négocier à froid, explique Jean-Luc Delenne, directeur des relations sociales. L’accord de méthode permet, lui, de réguler les effectifs sur le court terme. » Il favorise la mobilité des salariés dont le métier est identifié comme « sensible » (logistique, entrepôts) entre les 45 filiales et s’appuie sur la formation pour accompagner les changements de poste des volontaires, 300 à ce jour. L’accord de GPEC, de son côté, institue un processus d’échanges réguliers avec les institutions représentatives du personnel au sein d’un comité « emploi et GPEC ».

La plupart des accords de GPEC entrouvrent la porte des accords de méthode, observe Damien Doré. La question est de savoir s’il est opportun de rapprocher les deux. » Pour l’avocat Henri-José Legrand, ce rapprochement aboutit à brouiller la distinction entre ce qui relève de la gestion de l’emploi et ce qui concerne la gestion des restructurations. « L’essentiel, lors d’une restructuration, c’est la qualité du plan de reclassement », estime l’avocat de la CFDT, qui milite plutôt pour une simplification des procédures de consultation.

Des pôles régionaux de mobilité. La qualité du reclassement de ses salariés, le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics s’en préoccupe depuis toujours. Le groupe de semi-conducteurs est passé par toutes les étapes de la restructuration : accord de méthode, PSE, GPEC… Sur un marché qui évolue tous les six mois, la mise en place d’un observatoire des métiers est presque une « figure imposée », assure Thierry Denjean, DRH chargé du développement. Afin de conduire les réorganisations permanentes de l’entreprise, il veut mettre en place des pôles régionaux de mobilité pour accompagner les salariés dans leurs projets, notamment de création d’entreprise. L’un des premiers devrait voir le jour prochainement à Grenoble, sous forme associative. « L’idée est d’en faire, à terme, une structure régionale mutualisée avec d’autres entreprises », poursuit Thierry Denjean, qui revendique une gestion prévisionnelle « paritaire ».

Reste qu’une démarche concertée d’anticipation butte sur la capacité à créer une relation de confiance entre DRH et délégués syndicaux. « Concrètement, cela suppose des échanges d’information continus, l’existence d’un espace de délibération et une certaine routine de la controverse, qui constituent le terreau des processus négociés », précise Dominique Paucard. En France, la négociation « à froid » reste balbutiante. Et l’apanage des grands groupes.

(Distribution) Carrefour

Dejan Terglav, délégué central FO

“Je crois beaucoup à l’anticipation. Mieux vaut savoir en amont comment évolueront les métiers et donc l’emploi que de le découvrir à ses dépens quand il est trop tard. Les accords de méthode/GPEC servent à cela. Ensuite, c’est une question de confiance entre la direction et les représentants syndicaux. Plus elle est réelle, plus l’accès aux informations est facilité.”

Jean-Luc Delenne, directeur des relations sociales du groupe

L’avantage des accords de méthode, c’est qu’ils fixent des règles acceptées par tous puisque négociées en commun. En conséquence, ils sécurisent la procédure d’information-consultation du CE et permettent de régler les problèmes par le dialogue social lors d’un projet de restructuration. En ce sens, ils correspondent mieux au processus habituel de négociation tout en impliquant les partenaires sociaux dans l’accompagnement de leur mise en œuvre.

(Habillement) ECCE

Marie-Hélène Bourlard, délégué CGT

“Ce qu’on veut par un accord de méthode, c’est négocier l’accompagnement des salariées licenciées jusqu’à ce qu’elles retrouvent un emploi. Le bilan du premier accord ? Sur 160 personnes licenciées, une vingtaine ont été reclassées mais de façon précaire pour certaines. Les autres sont pour la plupart en fin de droits. À ce jour, la direction assure pouvoir maintenir 30 personnes sur les 147 restantes, dans un atelier proche de l’usine de Poix-du-Nord. Que vont devenir les autres ? Si rien n’est fait, on est mort.”

Jean-Damien Waquet, directeur général

“Dans la négociation d’un accord de méthode, c’est la bonne foi des partenaires sociaux qui est essentielle. Il n’y a de maturation du dialogue social que lorsque les partenaires savent parler en toute confiance. Le plus souvent, l’accord ne se contente pas de « caler » la procédure et le calendrier des réunions de concertation, il porte sur le fond et déborde sur le contenu du plan social. Les réunions du comité central d’entreprise permettent d’anticiper de façon intelligente les évolutions et de soutenir toutes les personnes qui auraient un projet en dehors de l’entreprise.”

(Chimie) Rhodia

Max Matta, DRH France

“La philosophie des accords de méthode/GPEC, c’est qu’il faut parler des problèmes le plus tôt possible. L’accompagnement anticipé de l’évolution prévisible de l’emploi repose, chez Rhodia, sur l’engagement de gérer tôt et de manière individuelle les « problématiques d’emploi » plutôt que de manière collective et dans l’urgence.”

Bernard Ughetto, délégué central CGT

“La responsabilité de la négociation de ce type d’accords doit rester aux organisations syndicales, mais le grand défaut des accords de méthode, c’est qu’ils ouvrent le Livre IV sur les restructurations à l’échelle du groupe, et il n’y a pas suffisamment de possibilités de discussion au niveau des unités économiques avec les IRP locales.”

Auteur

  • Nadia Salem