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Politique sociale

Laurence Parisot, la funambule du Medef

Politique sociale | publié le : 01.05.2007 | Fanny Guinochet

Le style Parisot ? Ouverture, décrispation, délibération… Mais il ne convainc pas tout le monde au dehors, ni en interne. Où la partie est serrée avec le patron de l’UIMM, qui a gardé la haute main sur les grandes négociations sociales.

Laurence Parisot raffole des projecteurs. Ce mardi 20 mars, elle donne, devant la presse, une leçon d’économie aux candidats à l’Élysée. Au cœur de Paris, dans un loft tendance, l’Échangeur, elle professe « sa révolution copernicienne ». Quelques jours auparavant, elle écumait les plateaux de télévision, face à Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal… « La plupart des thématiques de son livre, Besoin d’air, sont reprises dans les programmes présidentiels », remarque d’ailleurs Jacques Creyssel, le directeur général du Medef. « Elle est très douée pour la communication, c’est une chance pour le Medef », assure Charles Beigbeder, patron de Poweo et chef de file de la commission recherche et innovation du Medef.

Un des objectifs de Laurence Parisot lors de son élection en juillet 2005 était de reconquérir le grand public, de réhabiliter l’image de l’entreprise dans le cœur des Français, de mettre en exergue sa proximité d’avec la société civile… Après les deux mandats tenus par Ernest-Antoine Seillière, patron d’une autre époque, le pari n’était pas si facile.

Des enseignants aux AG. En dépit de sa frêle apparence, la patronne des patrons est pourtant en passe de l’emporter. Preuve en est, Besoin d’air enregistre un des meilleurs scores du printemps avec 55 000 exemplaires vendus (dont 10 000 par le Medef lui-même). Autre signe de décrispation : lors des assemblées générales, à Arc-et-Senans en 2006 mais aussi à Paris Bercy en 2007, Laurence Parisot n’a pas hésité à inviter des enseignants à témoigner devant des parterres d’entrepreneurs. Une façon de « bouger les lignes », pour reprendre une expression qui lui est chère. La présidente du Medef s’est fait un point d’honneur à aller à la rencontre de publics que l’organisation patronale avait l’habitude d’ignorer. En témoigne son adhésion au club des parrains de SOS Racisme ou encore la signature d’une convention avec les universités (Marne-la-Vallée et la Sorbonne notamment), les associations étudiantes et de grandes entreprises comme Renault, HSBC ou Axa, qui vise, sous le nom de code d’opération Phénix, à favoriser l’embauche des étudiants en sciences humaines et en lettres. « Laurence Parisot a réussi à reconnecter l’entreprise avec les jeunes et les banlieues », applaudit Pierre-Louis Rougny, président du Medef des Hautes-Alpes. Si ce quadra à la tête d’une petite entreprise de propreté se reconnaît dans « l’attitude de cette présidente résolument ouverte sur la société » et « beaucoup plus centrée sur la PME », il n’en est pas de même pour tous les adhérents.

Car l’appareil patronal reste « une machine lourde et conservatrice, freinée par de vieux apparatchiks », confie un permanent. Beaucoup ne se sont pas remis de l’arrivée de cette jeune dirigeante de 47 ans, aux écharpes colorées et à la coupe à la garçonne. Sous l’ère Seillière, par exemple, les responsables de commission étaient tous des hommes. Trois femmes ont été nommées chefs de file : Véronique Morali, à la commission dialogue économique ; Marie-Christine Coisne-Roquette, à la commission fiscalité ; et Laurence Danon, à la commission nouvelles générations. Quant à la moyenne d’âge des hautes instances, elle frise la petite cinquantaine. Un rajeunissement d’image et de ton qui fait grincer des dents. Et pas seulement dans les cercles parisiens.

Du côté des fédérations qui l’ont soutenue, ils sont nombreux à souhaiter qu’elle quitte sa posture de commentatrice de l’actualité pour endosser le bleu de chauffe de syndicaliste patronale

À elle la synthèse. « Signer des accords sur la diversité en entreprise, se rapprocher des universités, personne n’est contre. Mais ce qui compte vraiment, c’est la taxe sur les véhicules de société, les délais de paiement… Des trucs pas très sexy qui n’intéressent pas Laurence Parisot », affirme le président d’un Medef de l’Est. Depuis son arrivée, pourtant, la nouvelle patronne n’a eu de cesse d’aller à la rencontre de ces petits patrons qui lui ont apporté leurs voix il y a deux ans. Tous les quinze jours, elle se déplace en province. Soucieuse d’associer ses troupes aux grands événements, comme l’université d’été ou l’assemblée générale, elle adore les consulter. Pour Besoin d’air, elle a ainsi adressé aux 145 structures territoriales un imposant questionnaire. L’objectif ? « Faire remonter idées, propositions et success stories issues des régions », assure-t-elle. Mais, finalement, le geste n’a pas toujours été pris comme tel : « Nous avons découvert le livre comme tout le monde en librairie. C’est elle et elle seule qui a fait la synthèse », regrette un adhérent de l’Hérault. Beaucoup n’y ont vu qu’une mise à contribution, voire une instrumentalisation des territoires. Le regroupement des pôles communication et animation du réseau territorial dans un mégaservice de 30 personnes au siège parisien ne leur donne-t-il pas raison ?

Même si la présence du Medef dans le débat présidentiel est souhaitée, le goût immodéré de Laurence Parisot pour les questions sociétales peine à convaincre. Du côté des fédérations qui l’ont soutenue, comme le bâtiment, les travaux publics, l’agroalimentaire ou encore les services, ils sont nombreux à souhaiter qu’elle quitte sa posture de commentatrice de l’actualité pour endosser le bleu de chauffe de syndicaliste patronale. « Sur le CPE, c’était utile de savoir décrypter la société. Elle a vu venir le truc et n’a pas soutenu la mesure. Mais, aujourd’hui, il serait bienvenu qu’elle monte un peu plus au créneau sur les dossiers essentiels comme les contrats de travail ou les 35 heures », reconnaît un président de commission.

Envie de passer la vitesse supérieure. Le monde syndical ne dit pas autre chose. « Avec elle, on ne négocie pas, on délibère. C’est nouveau », ironise Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT. Non sans rappeler la refondation sociale initiée par Denis Kessler, l’invitation à la délibération sociale lancée en décembre dernier a été perçue comme un geste d’ouverture. Toutes les centrales ont répondu présent. « De par sa personnalité, Laurence Parisot a beaucoup assoupli le dialogue social », note Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi. « Avec elle, les échanges se font directement, de portable à portable », précise François Chérèque, leader de la CFDT. Mais, aujourd’hui, l’envie de passer la vitesse supérieure est perceptible. « Est-elle capable d’engager une grande négociation sociale ? Elle n’en a pas encore fait la démonstration », estime la numéro deux de la CGT. Une analyse que partage Jean-Claude Mailly, de FO : « Laurence Parisot propose des espaces de dialogue, en marge de la négociation. C’est le cas pour les questions économiques : nous confrontons les points de vue. Cela a le mérite de décrisper l’ambiance. Mais quels sont les résultats concrets ? »

« À sa décharge, avance un responsable cégétiste, sur les sujets importants, elle n’a pas la main. » Et pour cause, le négociateur social reste Denis Gautier-Sauvagnac, « DGS », qui, l’an dernier, a pris du galon en accédant à la présidence de la puissante Union des industries métallurgiques et minières. À lui la remise à plat de l’assurance chômage, la pénibilité du travail… Ce sexagénaire, qui a soutenu la candidature d’Yvon Jacob à la présidence du Medef, reconnaît des différences d’approche au début du mandat de Laurence Parisot : « Il y a eu des ajustements, c’est normal entre deux personnes qui ne se connaissaient pas. » Aujourd’hui, il assure que son adhésion est totale. Ceux qui le connaissent jugent cet engouement trop forcé pour être sincère : « En mars dernier, en assemblée permanente, il est allé jusqu’à la faire applaudir pour le succès de Besoin d’air. Qui peut croire à une soudaine love story ? », souligne un permanent de l’UIMM.

À elle les paillettes, à lui l’expertise. « Il est probable que Laurence Parisot et Denis Gautier-Sauvagnac se soient mis d’accord. À elle la voix du Medef, la communication et les paillettes, à lui l’expertise », assure un membre du bureau exécutif. « Chacun y a vu son intérêt. Laurence Parisot ne peut se passer de la compétence technique de la métallurgie. Après la coûteuse réorganisation interne et le déménagement avenue Bosquet, le Medef n’a plus les moyens de se payer de grosses pointures. Quant à DGS, rester en opposition frontale lui aurait à terme porté préjudice. Pendant qu’elle occupe l’espace médiatique, il reste au cœur de l’appareil », analyse un permanent. Dans les couloirs, on date la tractation à l’été dernier, après deux bras de fer. Fin 2005, lors de la renégociation de la convention Unedic, Laurence Parisot s’est opposée à Denis Gautier-Sauvagnac, pour finalement consentir une hausse – certes minime et temporaire – des cotisations. Puis, au printemps 2006, c’est Denis Gautier-Sauvagnac qui, après avoir clairement affiché son soutien au CPE, a dû finalement se ranger à la position de Laurence Parisot.

Si tous deux ont appris à composer, cette entente cordiale résistera-t-elle ? Sur la représentativité syndicale, les vues sont loin d’être unanimes. Tout en réfutant l’avis du CES qui prône une représentativité assise uniquement sur l’audience des syndicats aux élections et une validation des seuls accords majoritaires, Laurence Parisot explore des pistes « iconoclastes ». En février, elle a mis en place, contre l’avis de DGS, un conseil composé de personnalités extérieures au Medef, qu’elle a pris soin de présider elle-même. Et s’est prononcé pour une représentativité soumise à un seuil d’audience aux élections professionnelles. Opposé à la création de ce cénacle qu’il juge inutile, le patron de la métallurgie conserve néanmoins sa casquette de chef de file sur ce dossier.

Mais Laurence Parisot a la réputation d’être tenace. « Peu de chose est capable de la déstabiliser. Elle trace sa route jusqu’à l’objectif fixé », assure une ancienne collaboratrice. « Elle est d’une volonté de fer. Elle aime maîtriser le contenu des dossiers », confirme Jean-René Buisson, ancien DRH de Danone, président de l’Association nationale des industries alimentaires, qui fut l’un des rares à faire campagne pour elle, contre le candidat officiel de l’industrie, Yvon Jacob. La première femme à diriger le Medef est bien décidée à se faire respecter. « J’ai été élue pour cinq ans. Je ne suis même pas à mi-mandat. Ce n’est que le début. » La partie promet d’être serrée.

Le Medef, c’est :

85 fédérations professionnelles, 45 structures territoriales dont beaucoup représentent également la CGPME, l’UPA. Au total, le Medef se targue d’être la première organisation d’entreprises et de représenter 750 000 entreprises de toutes tailles et de tous secteurs.

En juillet 2003, le Medef quitte l’avenue Pierre-Ier-de-Serbie pour s’installer au 55, avenue Bosquet. En juillet 2005, Laurence Parisot est élue pour cinq ans, dès le premier tour, à la majorité des voix.

BUDGET : 28 millions d’euros, ce qui est « riquiqui », selon Laurence Parisot. Environ 200 collaborateurs au siège parisien.

Laurence Parisot : “J’ai décontracté le Medef”

Quelle marque pensez-vous avoir imprimée au Medef depuis votre élection ?

Avant tout, il me semble avoir « décontracté » le Medef. À l’extérieur, beaucoup perçoivent désormais cette ouverture. Je le mesure lorsque je vais à la rencontre d’enseignants, d’étudiants, d’élus en région… Cette décontraction était le premier objectif que je m’étais assigné lors de mon élection. Autre initiative essentielle à mes yeux : aborder la question de la diversité dans l’entreprise. Je l’ai posée lors de mon tout premier conseil exécutif en août 2005, en proposant d’ouvrir une négociation sur le sujet. C’était trois mois avant les premières émeutes en banlieue. Ces échanges ont abouti à la signature d’un accord qui permet aujourd’hui de recenser les bonnes pratiques. Il convient désormais de les promouvoir. C’est pourquoi il ne se passe pas une semaine sans que je m’y emploie, avec notre association Nos quartiers ont du talent, avec la Halde, etc.

Avez-vous le sentiment que l’appareil patronal est prêt à vous suivre ?

Dans les instances statutaires, comme le bureau et le conseil exécutif, il y a un ton, un débat, une confrontation d’idées qui sont nouveaux. Nous travaillons selon une méthode positive et participative.

En marge, nous avons instauré un lieu d’échanges détendu sous la forme d’un petit déjeuner mensuel où les présidents des 13 commissions se retrouvent. C’est une façon de nourrir le débat et d’élaborer la doctrine, d’apporter de la transversalité entre les groupes de travail. La position du Medef, c’est le fruit d’une intelligence collective. Oui, je prends des décisions, je tranche, mais je ne suis pas autocrate. J’indique de grandes orientations, puis les équipes se les approprient et les mettent en œuvre.

Pendant votre campagne, vous vous étiez aussi fixé comme objectif de réconcilier les Français avec l’entreprise. Est-ce en bonne voie ?

Pendant ma campagne interne, j’ai effectivement promis d’œuvrer pour réconcilier les Français avec l’économie, pour en améliorer l’apprentissage et la compréhension. Je me réjouis de voir que cette volonté fait son chemin un peu partout.

Sans compter que nos idées sont reprises dans la campagne présidentielle ici et là.

En 2002, nous avions peu entendu parler des questions économiques et sociales. Il y avait un correctif à apporter, il fallait nous rattraper, et j’espère y avoir contribué. Cette année, les diagnostics sont là, partagés par l’Institut de l’entreprise, le Cercle des économistes… Lors de notre dernière assemblée générale à Bercy, en janvier dernier, mais aussi à travers le livre Besoin d’air, nous avons apporté notre contribution à la démocratie. Le Medef, par sa connaissance de l’entreprise, a une légitimité de porte-parole.

Était-il opportun de lancer le gros chantier de la « délibération sociale » avant une échéance présidentielle ?

J’ai hésité, le contexte de l’élection présidentielle complique forcément l’agenda et ralentit les efforts de construction. Mais j’ai estimé que tout ce que nous ferions, si peu soit-il, serait utile.

Je ne crois pas m’être trompée. Quand tout le monde accepte de travailler sur ces thématiques, cela signifie que tout le monde accepte de réfléchir aux prémices d’une réforme du marché du travail. C’est essentiel pour résoudre le problème de l’emploi.

C’est un pas considérable. Ce n’était pas rien pour les organisations syndicales de salariés d’accepter un groupe sur les contrats de travail, tout comme ce n’était pas rien pour les organisations patronales d’accepter un groupe de travail sur la sécurisation des parcours professionnels. De fait, on avance. Même si le groupe assurance chômage me semble avoir une approche un peu trop classique. Mais il sera bien temps d’y revenir au moment de la synthèse, en fonction du nouveau gouvernement.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Fanny Guinochet

Auteur

  • Fanny Guinochet