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Enquête

“Revenir aux 39 heures pour tous serait une erreur majeure”

Enquête | publié le : 01.05.2007 | Stéphane Béchaux, Anne Fairise

Pas de mesure globale, plus de souplesse : les économistes Christian Saint-Étienne et Gilbert Cette plaident pour une refonte en douceur des 35 heures. Arguments.

Le slogan « travailler plus pour gagner plus », cher à Nicolas Sarkozy, signe-t-il l’échec des 35 heures ?

Gilbert Cette : Certainement pas. Parmi leurs nombreux succès, les lois Aubry ont permis une dynamisation sans précédent de la négociation collective et l’invention de nouveaux modes d’organisation. Comme le forfait jours. Aujourd’hui, près de 10 % des salariés du secteur privé ne comptent plus leur temps en heures mais en jours. C’est une disposition parfaitement adaptée au travail des cadres. Quel chef d’entreprise voudrait revenir dessus ? Ou sur la modulation des horaires ?

Christian Saint-Étienne : Les 35 heures ont certes dynamisé la négociation collective, mais ce n’était pas l’objectif recherché. Le gouvernement Jospin espérait créer 2 millions d’emplois. Mais sa mesure, conçue pour l’industrie, a complètement déstabilisé notre économie de services. À moyen terme, l’effet sur l’emploi est probablement proche de zéro.

G. C. : Dans le secteur privé, les lois Aubry ont créé environ 350 000 emplois, sans parler de ceux créés par les allégements de charges. Mais, sur le très long terme, cette réduction du temps de travail, comme les précédentes, n’aura pas d’impact sur le taux de chômage.

Faut-il, dès lors, réaugmenter globalement la durée du travail ?

C. S.-E. : S’il y a une leçon à tirer des 35 heures, c’est qu’il faut éviter les mesures collectives globales. Revenir aux 39 heures pour tous serait une erreur majeure. Industrie et services n’ont pas les mêmes besoins, pas plus que les salariés n’ont les mêmes attentes. C’est justement pour cette raison qu’il est souhaitable d’offrir des marges de manœuvre supplémentaires aux entreprises et aux salariés qui veulent travailler plus.

G. C. : Aucun gouvernement ni candidat sérieux à la présidentielle n’envisage d’abroger les lois Aubry, qui ont déjà été largement assouplies. Je rappelle que les 35 heures correspondent à la durée hebdomadaire légale du travail, pas à la durée maximale obligatoire, qui peut être largement supérieure. Les lois Aubry ne brident absolument pas l’activité économique. Le nombre d’entreprises au taquet, qui seraient dans l’incapacité de faire travailler leurs salariés une heure de plus, demeure « epsilonesque ». Les chefs d’entreprise n’utilisent pas toutes les marges de manœuvre à leur disposition.

Donc, on reste aux 35 heures…

C. S.-E. : Non, il faut permettre aux salariés de faire varier la durée de leur travail, et donc leur rémunération, tout au long de leur vie. Les besoins sont différents selon que vous devez ou non acheter une voiture, un logement, payer les études de vos enfants. Travailler plus pour gagner plus doit s’apprécier sur le cycle d’une vie.

G. C. : Il faut évidemment ouvrir davantage ce choix. Mais on ne peut laisser le salarié, qui est le plus souvent en position de faiblesse, négocier individuellement la durée de son travail avec son patron. Il faut trouver le moyen de faire se rencontrer l’attente des salariés et les besoins des employeurs sans passer par une négociation de gré à gré.

C. S.-E. : Il faut, au minimum, en passer par des accords d’entreprise, renégociés chaque année pour éviter les discussions bilatérales entre salariés et employeurs. La branche me semble aussi un lieu pertinent pour évaluer les besoins des entreprises d’un secteur en fonction des cycles économiques.

Faut-il attendre de ces assouplissements un effet sur l’emploi ?

C. S.-E. : Pour reprendre une excellente formule d’Alfred Sauvy, « c’est le travail des uns qui fait le travail des autres ». Quand un salarié hautement qualifié travaille beaucoup, tout le monde en profite. Il crée des richesses supplémentaires, qu’on peut redistribuer, et il fait faire à d’autres ce qu’il n’a pas le temps de faire lui-même. C’était une erreur conceptuelle de limiter le temps de travail de tous, au prétexte que certains n’en ont pas. Le travail n’est pas un gâteau qu’on partage.

G. C. : Accroître l’offre de travail profite à tout le monde. Car cela stimule l’activité et la croissance. C’est bien pour cette raison que les travailleurs immigrés ne prennent pas le travail des Français. Mais le slogan « travailler plus pour gagner plus » est surtout pertinent pour certaines populations : les jeunes et les plus de 55 ans, dont les taux d’emploi sont dramatiquement bas en France.

Exonérer les heures supplémentaires de charges sociales, est-ce la bonne méthode pour inciter à travailler plus ?

G. C. : Il y a un risque de destruction d’emplois. Si les heures supplémentaires deviennent trop bon marché, on peut craindre une substitution entre les heures et les hommes. En clair, les employeurs seront incités à multiplier les heures supplémentaires plutôt qu’à embaucher. La plupart des pays développés ont ainsi fait le choix de majorer fortement les heures supplémentaires. Par ailleurs, si on réduit les charges sur ces heures, qui paie le manque à gagner pour la protection sociale ? Les salariés à temps partiel subi ? Les cadres au forfait jours ?

C. S.-E. : Si on allège les charges sur les heures supplémentaires, il ne faut le faire qu’à titre transitoire. Cela n’a de sens que s’il s’agit de la première étape d’une politique plus large visant à basculer une partie des cotisations vers d’autres sources de financement, comme la TVA ou la CSG. Aujourd’hui, plus rien ne justifie d’asseoir le financement des politiques familiales et de santé sur les revenus du travail.

Faut-il augmenter le temps de travail pour accroître le pouvoir d’achat ?

C. S.-E. : Ce ne peut-être qu’un élément d’une stratégie plus globale. Le pouvoir d’achat augmente avec la croissance. Et celle-ci dépend, certes, du nombre global d’heures travaillées, mais aussi de la productivité et de l’innovation. D’ailleurs, tous les pays développés sont engagés sur la pente de la réduction du temps de travail.

G. C. : Il faut raisonner de façon dynamique. Si les femmes à temps partiel subi, les étudiants ou les seniors travaillent davantage, le pouvoir d’achat des ménages augmente. Encore faut-il que les politiques publiques soient cohérentes. On dépense 3 milliards d’euros par an afin d’encourager les mères, souvent peu qualifiées, à quitter le marché du travail pour s’occuper de leurs jeunes enfants. Et, simultanément, on dépense, avec la prime pour l’emploi, 5 milliards d’euros pour inciter les peu qualifiés à travailler. On est dans l’aberration la plus totale.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Anne Fairise