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Enquête

Chez les ouvriers, la nostalgie des heures sup

Enquête | publié le : 01.05.2007 | A. F.

La modulation du temps de travail sur l’année a mis fin aux rituelles heures sup. Sur fond de pénibilité, les cols bleus arbitrent entre cash et temps libre.

Inutile de demander aux ouvriers de Renault s’ils souhaitent travailler plus pour gagner davantage. C’est le flop assuré. Source du mécontentement : la modulation-annualisation du temps de travail qui autorise des semaines de 46 heures en période haute avec des récupérations en période basse. Terminées, les heures sup à l’ancienne. Elles sont noyées dans la modulation. Le constructeur automobile s’en est largement saisi pour limiter les coûts. « Pour se faire payer un samedi en heures sup, il faut déjà en avoir travaillé huit, obligatoires dans le cadre de la modulation ! Faut en avoir envie. On ne maîtrise rien », déplore Alain, opérateur à Sandouville (Seine-Maritime). D’autant que, pour éviter le chômage technique lorsque le carnet de commandes est vide, la firme puise dans le trop-plein d’heures réalisées puis avance aux ouvriers jusqu’à… quarante jours de travail. En avril, c’était la « dette » des opérateurs penchés sur les Laguna.

« La modulation-annualisation met du temps à entrer dans les mœurs. Les salariés doivent penser moyen terme, comme de bons pères de famille », note un cadre d’Arcelor Mittal. Ici, pour se faire rémunérer des heures supplémentaires en fin de mois, les salariés postés doivent avoir travaillé plus de 48 heures hebdomadaires. En deçà, les heures réalisées sont récupérables pendant trois ans, lors des baisses de production. Contrepartie, « les salariés ont moins de risques de se retrouver au chômage partiel, avec un salaire amputé. C’est pourquoi il n’y a pas de défilés dans nos usines pour réclamer des heures supplémentaires ou en refuser », explique Jacques Lauvergne, coordinateur RH France. Sauf quand les ouvriers s’estiment trop sollicités. Chez Arcelor Packaging, à Florange (Moselle), l’équipe de logistique a débrayé six heures l’été dernier. « Désormais, à partir du douzième dimanche travaillé, les salariés ont le choix entre la récupération ou le paiement intégral dans le mois », note la CFDT. « Quand je remplis mon Caddie, je dois payer tout de suite », renchérit Didier Bernard, délégué CGT à l’usine Continental de Clairoix (Oise). Comme la majorité des 1 200 salariés, il a rejeté, début 2007, le projet de la direction de passer de 35 à 40 heures et de placer les heures sup travaillées dans un compte épargne temps, avec paiement différé à cinq ans. Alain, rémunéré 1 982,56 euros brut pour un temps partiel de 121 heures le week-end, n’a pas été tenté. « La nouvelle organisation imposait de travailler les jours fériés. Sans un rond en plus en fin de mois. Quel intérêt ? Les conditions de travail sont déjà assez difficiles. » Et elles continuent de se dégrader. Selon la Dares, les ouvriers sont les seuls perdants de la pause constatée dans l’intensification du travail : ils sont toujours plus soumis aux contraintes de temps et à la pénibilité.

En retraite plus tôt. « L’arbitrage ne se fait pas massivement en faveur de l’argent, reprend Jacques Lauvergne. La majorité des salariés conservent les heures supplémentaires afin de les convertir en temps et de partir en retraite anticipée. » Même constat chez Cari. Lorsque les ouvriers de cette entreprise de BTP transforment leurs heures supplémentaires, « 50 % se les font payer, 50 % les récupèrent sous forme de congés pour partir plus longtemps au pays, précise la DRH, Nathalie Malan-Manigne. Nos salariés font 37 heures en moyenne. Travailler plus, ce serait augmenter le risque d’accidents ». La Fédération française du bâtiment (FFB) aimerait pourtant augmenter le contingent annuel d’heures sup à 220 heures. Comme l’ont fait la métallurgie et une soixantaine de branches depuis 2003. « Le contingent actuel ne répond pas aux besoins des TPE, qui ne peuvent pas mettre en place un dispositif d’annualisation-modulation », note Gabrielle Deloncle, présidente de la commission économique de la FFB. Pour Jocelyne Cadenel, le problème est ailleurs : « Lorsque le salaire est bon, les ouvriers n’exigent pas d’heures supplémentaires », estime la dirigeante de TSO Habitat, TPE de 17 ouvriers où « personne n’en demande ». Et pour cause, un plaquiste à 35 heures y gagne 2 800 euros net par mois, le double de ce que propose le secteur.

Sur le chantier, 38 heures chrono

Les 35 heures n’ont pas bouleversé la vie de Franck Augé. C’est simple, ce chef de chantier, à l’ouvrage ce jeudi dans une résidence estudiantine de Montpellier, n’y a jamais goûté. Non pas que Solares, son employeur, une PME spécialiste des façades, n’ait pas réduit le temps de travail de ses ouvriers. C’est chose faite depuis longtemps. « Le temps de travail légal a baissé, mais pas l’activité, heureusement. La patronne nous a proposé de faire trois heures supplémentaires par semaine, majorées à 25 %. On a tous accepté : on gagne plus ! » Sur sa fiche de paie, les semaines de 38 heures se traduisent par 200 euros de plus, et une dernière ligne à 1 800 euros brut.

Rien de trop pour ce père de famille qui ne crache pas sur quelques heures supplémentaires aux heures sup « ordinaires ». « Achat d’un meuble, départ en vacances, on a toujours besoin de craquant », souffle Franck Augé, qui propose, le cas échéant, à Solares de travailler le samedi. Il s’est rarement heurté à un refus, ni ne s’est retrouvé en manque de bras pour former une équipe. S’il n’a jamais fait le décompte, Franck Augé estime approcher des 180 heures supplémentaires par an, limite autorisée dans le bâtiment. Il n’en ferait pas plus. Pour ce presque quadra, c’est « toujours un effort » de remonter sur l’échafaudage le samedi.

« Après une semaine sur les façades, on est fatigué. » Car il n’est pas de ceux qui regardent d’en bas leur équipe. Dès l’arrivée à 8 heures sur le chantier, jusqu’à 16 h 45, il est de tous les travaux : le décapage, la maçonnerie ou la peinture. A. F.

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  • A. F.