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Les recettes de nos voisins

Dossier | publié le : 01.05.2007 | Fanny Guinochet

Avec leurs job centres, les Britanniques ont largement réformé leur dispositif de suivi des chômeurs. Sur leurs pas, les Allemands se tournent vers l’intérim pour doper le placement.

Grande Bretagne

Meubles aux couleurs acidulées, bornes vidéo dernier cri en libre service, accueil personnalisé… Dans ce job centre (centre de recherche d’emploi) du quartier de Westminster, au cœur de Londres, il y a de quoi faire rêver un demandeur d’emploi français. « Nous veillons à ce que la personne bénéficie du meilleur service, explique Eamonn Davern, le responsable. Le demandeur d’emploi n’est pas un allocataire passif mais un véritable client. » Un changement de vocabulaire à la hauteur des méthodes lancées en 1997 par les travaillistes au pouvoir. La modernisation du service public de l’emploi britannique réunit dans une même entité le job centre, les fonctions d’assistance dans la recherche d’emploi et de sécurité sociale. Devenus en 2002, Jobcentre Plus, ces guichets uniques regroupent aujourd’hui les agences de placement et les services de paiement des indemnités. Au nombre de 870 (contre 1 100 agences auparavant), ils émaillent l’ensemble du territoire britannique. Les « clients » y sont accueillis moins de quatre jours après avoir perdu leur emploi. Toutes les deux semaines, ils sont reçus par leur conseiller attitré pour faire le point. « Le succès de ce dispositif tient aussi à la segmentation des demandeurs d’emploi », assure Arnaud Vaissié, cofondateur du Cercle d’outre-Manche, un think tank installé à Londres qui a publié en 2006 un rapport sur le modèle britannique. Ainsi, les 18-24 ans sont pris en charge dans le cadre d’un programme spécial, le « new deal », qui mêle conseils intensifs, stages en entreprise et/ou formation.

Un bonus pour chaque placement. D’autres programmes new deal concernent les chômeurs de longue durée, les seniors, les parents isolés, les personnes handicapées… Les personnes les plus éloignées de l’emploi sont alors aiguillées vers des sociétés privées où elles bénéficient d’une prestation qui s’apparente parfois à celle d’un travailleur social : « Les non-qualifiés suivent des cours d’alphabétisation, les dépendants de l’alcool ont une aide spécifique… », explique David Bailey, responsable du développement d’A4e, premier prestataire en Grande-Bretagne. La société se targue d’avoir remis sur le chemin de l’emploi 52 des candidats handicapés et plus de 60 % des jeunes… « Si les résultats sont aussi probants, c’est parce que les agents perçoivent des bonus pour chaque placement réussi », reconnaît le responsable.

Reste que la réforme du service de l’emploi britannique ne s’est pas faite d’un coup de baguette magique. « Les Britanniques ont quatre à cinq ans d’avance sur nous », estime, par exemple, Gérard Larcher, le ministre délégué à l’Emploi, venu lui-même constater les résultats sur place en février dernier. Environ 3 milliards d’euros ont été investis depuis 1997. La modernisation s’est par ailleurs accompagnée d’importantes réductions d’effectifs : près de 30 000 personnes de moins en dix ans. « Essentiellement des départs volontaires ou des redéploiements dans d’autres organismes publics. Nous prévoyons de stabiliser le chiffre à 66 000 agents en 2008, assure Anton Eckersley, responsable des relations internationales de Jobcentre Plus. Les pouvoirs publics ont dû faire face à des grèves. Aujourd’hui, rares sont ceux qui remettent en cause ce système. Les résultats sont là. » La Grande-Bretagne enregistre un taux de chômage autour de 5,5 % de la population active, contre 9,3 % au début de la réforme.

364 euros d’allocations par mois… Dans les Jobcentre Plus, le gouvernement assure que 60 % des inscrits retrouvent un emploi durable en moins de trois mois. Avec des allocations chômage plafonnées à 364 euros par mois (quel que soit le niveau du salaire antérieur) pour un adulte célibataire et 570 euros pour un couple, la pression est forte. Outre-Manche, moins d’un chômeur sur deux est indemnisé, et les allocations durent quelques semaines à peine. Dans ce système, le demandeur d’emploi indemnisé a des obligations. Outre se présenter régulièrement au Jobcentre Plus, il ne peut refuser plus de deux offres d’emploi. « Des contreparties balisées et justes, selon Anton Eckersley. Le demandeur d’emploi et le conseiller prennent le soin de bien définir en amont le job recherché. Ils se mettent d’accord sur la nature du poste, le salaire, la distance géographique… Sur la base de ces critères, ils signent un contrat. Le demandeur d’emploi n’est pas pris au dépourvu, il sait ce qu’il peut ou non refuser. » En mars, le gouvernement de Tony Blair a renforcé les règles dans un nouveau plan. À titre d’exemple, les parents isolés devront rechercher du travail dès que leur enfant aura 12 ans et non 16, comme c’est le cas actuellement.

Allemagne

Le beau Danube bleu ou les gorges de la Moselle ? Après trois ans de chômage, Tobias (21 ans) ne connaît pas encore sa destination estivale. En revanche, il sait qu’il sera confiné le plus clair de son temps dans les cuisines du MS River Art, un bateau armé pour les croisières fluviales. Tobias fait partie d’un groupe de 25 jeunes chômeurs originaires de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et retenus pour le projet Crewing, un partenariat entre Mikro Partner, une entreprise d’intérim de Hambourg, et l’agence pour l’emploi de la ville de Hamm, qui paie la formation aux métiers de cuisinier, serveur et hôtesse de bord. Les postes proposés par Mikro Partner : un contrat saisonnier de six à huit mois, douze heures de travail par jour et un salaire net évoluant entre 800 et 1 600 euros. Ce n’est pas le Pérou, mais, au moins, c’est un emploi.

Un bon de placement trop coûteux. Ce partenariat inédit illustre la coopération naissante entre acteurs privés et publics du placement. Depuis le lancement des grandes réformes du marché de l’emploi en 2003 (Hartz I, II, III et IV), l’Allemagne n’a pas encore trouvé la formule magique. Mais elle expérimente avec la garantie que lui offre désormais une croissance économique retrouvée. En 2003, la loi Hartz I, s’inspirant du modèle britannique, a d’abord obligé les agences locales à créer une Personal-Service-Agentur (PSA), une agence de travail temporaire publique exclusivement pour les chômeurs, gérée en direct ou par une société privée. Parallèlement, un bon de placement a été instauré permettant aux chômeurs de recourir au privé. Sans grand résultat : « C’était beaucoup trop coûteux. Certains de ces acteurs privés ont connu des faillites retentissantes. Ces outils étaient trop éloignés des réalités du marché », estime Thomas Läpple, porte-parole de l’Union fédérale des entreprises d’intérim (BZA).

En fusionnant l’aide sociale, gérée par les communes, et l’allocation chômage de longue durée, gérée par la Bundesagentur, regroupant l’équivalent de l’ANPE et de l’Unedic, la loi Hartz IV, entrée en vigueur au 1er janvier 2005, a changé la donne. Les agences pour l’emploi continuent de prendre en charge les personnes au chômage depuis douze mois au plus. En revanche, chômeurs de longue durée et bénéficiaires de l’aide sociale sont placés sur un pied d’égalité, sous la double tutelle des communes et de l’agence : « Ils ont accès à un job centre qui est administré soit par une association agence-commune, les Arge, soit par les communes seules, soit, plus rarement, séparément, l’agence pour l’emploi gérant la formation et le placement, et la commune les aides au logement et autres », explique-t-on à la Bundesagentur.

L’intérim à la rescousse des chômeurs. Depuis l’année dernière, le développement de collaborations avec le secteur privé du placement est encouragé. Par comparaison avec les exemples français ou hollandais, l’Allemagne en est encore à ses débuts. Pour 2006, on ne comptait que 450 000 intérimaires environ en moyenne annuelle. Mais des discussions sont en cours et des projets du type de celui mis en place par Mikro Partner vont bientôt être lancés à plus grande échelle. Randstadt ou Manpower ont ainsi décidé de s’occuper aussi des chômeurs : « Nous évaluons le volume d’activité à plusieurs millions d’euros », détaille Marcel Peltzer, responsable des nouveaux projets chez Manpower. Quant à Randstadt, il a créé un département welfare to work qui veut réintégrer les chômeurs de longue durée par le biais de formations adaptées ou de phases de travail de plus en plus longues. Pour Herbert Buscher, spécialiste du marché de l’emploi à l’Institut d’études économiques de Halle, l’intérim n’a pas la cote auprès des syndicats, qui y voient l’extension de la précarisation de l’emploi. Mais l’expérience vaut la peine d’être tentée : « Environ un tiers des travailleurs intérimaires qui étaient auparavant chômeurs conservent durablement leur emploi. C’est un taux de placement qui n’est pas plus mauvais que celui des agences pour l’emploi. »

Thomas Schnee, à Berlin

Auteur

  • Fanny Guinochet