logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

L’accompagnement des chômeurs a des ratés

Dossier | publié le : 01.05.2007 | A.-C. G

L’Unedic poursuit ses expérimentations sur l’accompagnement renforcé des chômeurs par des prestataires privés. Mais la montée en charge reste poussive. D’autant que l’ANPE a lancé un dispositif quasi identique dans six régions.

Sous la dalle de Créteil, une nouvelle agence de placement a ouvert ses portes en fin d’année dernière. A4e, prestataire privé choisi par l’Unedic pour accompagner les chômeurs dans leur recherche d’emploi, y accueille dans un immense open space ses « adhérents ». Ici, on ne parle pas de demandeurs d’emploi ou de chômeurs. Ces derniers travaillent côte à côte avec leur conseiller pour faire le point sur les démarches qu’ils ont pu entreprendre afin de retrouver un emploi. Plus loin, dans le fond de la salle, un groupe de cinq personnes participe à un atelier pour apprendre à rédiger un CV et une lettre de motivation. Des ordinateurs et des téléphones sont en libre service. Comme les bonbons, les gâteaux et le café, d’ailleurs. La société, d’origine britannique, mise en effet sur la convivialité des lieux pour mettre en confiance les chômeurs qui leur sont envoyés par l’Unedic et l’ANPE. Aux murs, des étoiles bleues matérialisent le retour à l’emploi des premiers adhérents au programme. « Nous organisons toujours des petits événements festifs pour bien marquer cette étape importante. Pour les autres adhérents, c’est très motivant », assure David Bailey, responsable du développement d’A4e.

Accélérer le retour à l’emploi. Après avoir été accueillis lors d’une session de welcom, les demandeurs d’emploi volontaires sont suivis de façon hebdomadaire par leur conseiller. « Le cahier des charges est simple : chacun de nos conseillers dispose d’un portefeuille de 40 demandeurs d’emploi qu’il suit pendant six mois et que nous devons placer en emploi durable, précise David Bailey. A4e a remporté l’appel d’offres lancé par l’Unedic pour le Val-de-Marne. Il a ouvert deux agences de placement, à Créteil et Choisy-le-Roi, où il suivra pendant deux ans 5 600 demandeurs d’emploi.

Comme lui, 16 autres prestataires privés (BPI, Altedia, Ingeus, les chambres de commerce de Bordeaux et de Toulouse, C3 Consultants, Sodie, Adecco, VediorBis…) participent à la deuxième vague d’expérimentations annoncée par l’Unedic en juillet dernier et mise en œuvre depuis décembre 2006. Au total, 46 000 demandeurs d’emploi indemnisés par les Assedic et présentant des risques de chômage de longue durée vont être accompagnés par les différents opérateurs d’ici à la fin 2008. L’objectif de l’Unedic est simple : accélérer le retour à l’emploi durable (c’est-à-dire CDI ou CDD de plus de six mois) en proposant au chômeur un accompagnement renforcé sur six mois et alléger d’autant les comptes de l’assurance chômage plombés par un déficit de 13 milliards d’euros.

Reste que trois mois après leur début, les expérimentations avaient encore du mal à trouver leur vitesse de croisière. Boulevard Arago, où le cabinet BPI a installé l’une de ses deux agences de placement parisiennes, les flux de demandeurs d’emploi volontaires tardent à arriver. « On ne peut pas dire que l’expérimentation part sur les chapeaux de roue, confirme Pascale Toquec-Lemaire, directrice associée chez BPI, chargée du suivi du dispositif national. BPI a remporté plusieurs “lots” auprès de l’Unedic. » Au niveau national, le cabinet va suivre 12 800 personnes pendant deux ans, dont 5 000 dans l’Ouest parisien. Mais cette lenteur au démarrage pénalise surtout les petits cabinets. C3 Consultants en fait partie. La société travaille sur trois bassins d’emploi (Guyancourt, Mantes-la-Jolie et Le Pecq). Entre fin décembre et début mars, le cabinet de conseil a accompagné 300 personnes. « En février, les listes de demandeurs d’emploi ne nous arrivaient plus qu’au compte-gouttes, constatait à la mi-mars Patrick Droguet, associé du cabinet. Si cette lenteur persistait, cela nous causerait des difficultés », ajoute-t-il pudiquement. Dans la réalité, certains prestataires ont eu quelques sueurs froides. Car, pour honorer l’appel d’offres, tous les prestataires ont recruté en masse des conseillers « emploi ». A4e a recruté 29 personnes au sein de ses deux agences. « Nous avons prévu d’embaucher 70 collaborateurs pour assurer le volume de demandeurs d’emploi prévu par l’appel d’offres », explique David Bailey.

Paradoxalement, l’ouverture, par l’ANPE, d’un dispositif d’accompagnement renforcé concurrent a mis des bâtons dans les roues des prestataires de l’Unedic. Car cette offre de services est presque semblable à celle de l’assurance chômage. Baptisée Cap vers l’entreprise (CVE), elle concerne 45 000 demandeurs d’emploi sur un an dans six régions tests (Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Aquitaine et Alsace) et a débuté en décembre 2006. À l’époque, Christian Charpy, directeur général de l’ANPE, avait à cœur de prouver que ses équipes, dans des conditions identiques, étaient capables de faire aussi bien et pour un coût moindre que ses concurrents privés. Quand l’Unedic paie ses prestataires entre 3 000 et 3 900 euros par demandeur d’emploi placé durablement, l’ANPE estime le coût d’un accompagnement renforcé à 700 euros.

Pour donner toutes leurs chances à ses agents, l’ANPE a déployé des moyens importants sur CVE. En Ile-de-France, par exemple, 16 plates-formes ont ouvert leurs portes et devraient accueillir dans l’année pas moins de 16 000 demandeurs d’emploi. « Les conseillers sont disponibles à 100 % pour les demandeurs d’emploi, explique Tarik Thamri, animateur de l’équipe CVE de Nanterre. C’est la grande différence avec le travail effectué par les conseillers dans les agences locales où ils jouent toute la journée un jeu de chaises musicales, passant de l’accueil des clients à la prospection auprès des entreprises et aux tâches administratives. » Marie Bouscal, conseillère CVE à Toulouse, confirme : « Notre seul objectif est le placement durable. Une fois que la personne a signé la charte d’engagement, je lui propose un plan d’action pour organiser sa recherche d’emploi, participer à des ateliers. » Les conseillers CVE suivent 60 demandeurs d’emploi, alors qu’en agence le portefeuille d’un conseiller est en moyenne de 150 chômeurs. Comme les prestataires privés, les plates-formes CVE proposent des ordinateurs et des téléphones en libre accès et une palette d’ateliers.

« Pour nous, le sujet n’est pas de faire mieux ou de nous comparer au privé. On connaît déjà nos performances depuis “objectif entreprises”, une expérimentation que nous avions menée en 2003 lorsque l’Assedic de l’Ouest francilien avait fait appel à Maatwerk, assure Jean-Paul Montois, directeur régional de l’ANPE Ile-de-France. Le problème est surtout de savoir si en additionnant les deux types de prestations, publique et privée, on arrive à des résultats pertinents en termes de placement. » À l’ANPE, les syndicats sont sceptiques et dénoncent l’évaluation de ces expérimentations qui les mettent de fait en concurrence. « Cette évaluation est biaisée. Les opérateurs privés voient arriver dans leurs agences uniquement des demandeurs d’emploi indemnisés fraîchement inscrits aux Assedic. Cap vers l’entreprise reçoit en revanche les demandeurs d’emploi indemnisés ou non », pointe Catherine Madec, du SNU ANPE.

Faibles flux de candidats à l’accompagnement. À la direction générale de l’agence chargée de diriger les demandeurs d’emploi vers les différents dispositifs via un outil mis au point par le CNRS (OCC, voir encadré page 78), on récuse toute tentative d’obstruction. D’ailleurs, si les prestataires privés s’inquiètent des faibles flux de demandeurs d’emploi orientés vers leurs structures, le discours est presque identique dans les régions où l’ANPE teste Cap vers l’entreprise. « Nous avons du mal à trouver les demandeurs d’emploi, pointe Jacqueline Bonnet, directrice de la plate-forme toulousaine CVE. À la mi-mars, 370 personnes avaient adhéré au dispositif. Nous devons en accompagner 2 000 d’ici à novembre 2007. Je me demande si nous allons y arriver car, pour le moment, la probabilité pour qu’OCC nous envoie un candidat vers CVE est infime. »

Pour Christian Charpy, le directeur général de l’ANPE, CVE n’est pour rien dans le démarrage poussif des deux dispositifs. Il met plutôt en avant la récente baisse du chômage pour expliquer ces difficultés. « Nous avons plus de mal à trouver les demandeurs d’emploi éligibles aux deux dispositifs. Par ailleurs, les partenaires sociaux ont insisté pour diriger vers les prestataires uniquement les demandeurs d’emploi volontaires », soulignait-il en mars dernier, en promettant la fin de ces difficultés d’ici à la fin avril. Dans le Nord-Pas-de-Calais, Catherine d’Hervé, directrice régionale de l’ANPE, prévoit, pour sa part, « un retour à la normale d’ici à fin juin ». La direction de l’agence s’est néanmoins fendue d’une lettre pour demander à ses équipes de résoudre ces dysfonctionnements. Le nœud du problème tiendrait apparemment dans les médiocres performances des prestataires privés comme dans les réticences des agents de l’ANPE à convaincre les chômeurs d’adhérer à ce suivi renforcé.

40 % de déperdition sur Paris. Chez BPI, début mars, 453 personnes avaient adhéré à l’accompagnement proposé par le cabinet. « 1 549 personnes ont été convoquées à une réunion d’information, 1 077 sont effectivement venues et 453 ont adhéré, comptabilise Pascale Toquec-Lemaire. Nous avons un taux de déperdition de 40 % à Paris, ce qui est normal avec un tel dispositif », assure-t-elle. « Les taux d’adhésion ne sont pas aussi bons que ce que nous espérions, reconnaît de son côté Jean-Paul Montois, à l’ANPE Ile-de-France. On avait tablé sur 50 % d’adhésions ; trois mois après nous sommes à 30 %. » Pour Chantal, 54 ans, assistante de direction au chômage depuis décembre 2005, CVE a plutôt été une aubaine. « En deux mois j’ai retrouvé un emploi, annonce la quinquagénaire. Surtout, j’ai vraiment eu le sentiment que ma conseillère s’intéressait à mon cas. Ce qui n’existait pas dans les autres agences de l’ANPE. Même avec le suivi mensuel. »

Même satisfaction pour Marie-Christelle, 25 ans, titulaire d’un 3e cycle en marketing et ingénierie commerciale. « Avec CVE, je n’ai pas le sentiment d’être suivie par l’ANPE mais par un coach personnel. Je ne suis plus seule à chercher un emploi. » Plus que sur les performances quantitatives et qualitatives des uns et des autres pour remettre les chômeurs dans le circuit, l’évaluation des deux dispositifs devrait aussi porter sur la perception qu’ont les demandeurs d’emploi de ces nouvelles formes d’accompagnement. Un enseignement qui pourrait encourager l’ANPE à ajouter à son offre de services le nouveau « produit » CVE.

La méthode BPI

Choisissez un verbe d’action, associez-le à une mission que vous avez réalisée lors d’une expérience professionnelle précédente, propose Clémence, consultante chez BPI, à une dizaine de demandeurs d’emploi. Installés au sous-sol de l’agence de placement que le cabinet a ouverte dans le XIVe arrondissement, ces derniers suivent l’atelier « réalisations probantes ». « L’objectif est de les aider à parler de leurs compétences de façon valorisante, décrypte Clémence. Pour certains, ces ateliers sont très scolaires, mais l’effet miroir que propose cet exercice de groupe est très bénéfique pour d’autres », assure la jeune femme. BPI a développé une méthodologie très précise pour accompagner les demandeurs d’emploi que lui confie l’Unedic. « Cet accompagnement commence toujours par une première phase de mise à plat des freins au retour à l’emploi. C’est le travail de l’orienteur, qui est le premier à recevoir le demandeur d’emploi pendant près de deux heures. Ensuite, la personne est prise en charge par un consultant et un pisteur, chargé d’aller à la pêche aux offres d’emploi et de relancer le candidat dans ses recherches. Tout au long de son parcours, nous lui proposons de participer à différents ateliers thématiques pour optimiser son retour à l’emploi », résume Marc Mino-Matot, chef de projet pour le dispositif parisien de BPI. Assise face à l’un des ordinateurs de la salle ressources, Daphné, 29 ans, écoute avec attention les conseils de Marie, une documentaliste qui anime le career center. Ce matin, elle est venue se familiariser avec la base de données que BPI met à disposition des demandeurs d’emploi pour les aider dans leur recherche. « C’est la troisième fois que je viens en un mois, explique la jeune femme. Un orienteur m’a posé toutes sortes de questions pour voir si j’étais réaliste dans ma recherche d’emploi. Ensuite j’ai rencontré le consultant qui va me suivre dans mes démarches. Il m’a d’emblée inscrite à deux ateliers, le career center et l’atelier réalisations probantes. Je ne sais pas trop si cela va être utile mais je prends cette offre de service comme un plus. Autant mettre tous les atouts de mon côté. »

OCC… Quèsaco ?

Pas question que la deuxième vague d’expérimentations auprès de 46 000 chômeurs souffre de la moindre controverse sur les performances respectives des frères ennemis. Pour cela, l’Unedic, l’ANPE et la Dares ont demandé au CNRS et à l’Insee de les évaluer de façon impartiale.

Pour sa part, le CNRS a « fabriqué » un outil de constitution de cohorte (OCC, dans le jargon maison) qui dirige de façon aléatoire les demandeurs d’emploi vers l’un ou l’autre des dispositifs – les opérateurs privés de l’Unedic, Cap vers l’entreprise de l’ANPE et les sous-traitants habituels de l’ANPE (associations ou cabinets-conseils agréés par l’Agence) –, et qui servira de cohorte témoin.

Pour suivre cette évaluation, un comité à été mis en place, présidé par Claude Seibel, à l’Insee. « C’est un chantier qui durera un an, souligne-t-il. L’objectif est d’évaluer la rapidité de la réinsertion des demandeurs d’emploi, la qualité de l’emploi trouvé et la perception de cet accompagnement par les demandeurs d’emploi. »

Auteur

  • A.-C. G