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Enquête

Retraite La loi Fillon au cœur du débat

Enquête | publié le : 01.04.2007 | S. F.

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Moins d'actifs, plus d'inactifs

Crédit photo S. F.

Dans la ligne de la réforme de 2003, Sarkozy s'attaque aux régimes spéciaux et à l'inactivité des seniors. Royal, prudente, s'en remet aux partenaires sociaux. Bayrou préconise un système de retraite par points. Seul sujet de consensus : l'amélioration des petites retraites.

Autre dossier clé pour le futur président : celui du financement des retraites. La réforme Fillon de 2003, qui ne résorbera qu'un tiers du déficit à venir des régimes de retraite (avant la réforme, le besoin de financement en 2050 était estimé à 4,5 % du PIB ; depuis, il serait ramené à 3 %), a d'ailleurs fixé un rendez-vous au pouvoir issu des élections de 2007 en imposant la remise d'un rapport d'ensemble sur ce dossier avant le 1er janvier 2008.

De nouvelles mesures d'économies sont inéluctables. Depuis trois ans, la branche vieillesse est en effet entrée durablement dans le rouge : de 1,9 milliard d'euros en 2005, son déficit se serait creusé à 2,4 milliards l'an dernier, et il s'aggraverait encore à 3,5 milliards d'euros cette année, selon les dernières prévisions de la commission des comptes de la Sécu. Et l'arrivée à 60 ans des premières générations du baby-boom ne devrait rien arranger pour les années à venir. Le nombre de seniors va en effet considérablement gonfler dans les prochaines décennies : on comptera seulement 1,4 actif pour 1 inactif en 2050, contre 2,2 actifs aujourd'hui.

Les réformes intervenues depuis treize ans ont essentiellement joué sur quatre leviers :

1. Baisser le niveau des pensions versées : l'objectif a été obtenu en modifiant les modalités de calcul et de revalorisation des pensions. Portant sur le seul régime de retraite des salariés du privé, la réforme Balladur de 1993 a ainsi étendu des 10 aux 25 meilleures années de salaire la période de référence pour le calcul de la pension. Parallèlement, elle a substitué au principe de l'indexation des pensions sur l'évolution générale des salaires une indexation sur les prix. La réforme Fillon de 2003 a étendu ce mode de revalorisation aux pensions des fonctionnaires. En revanche, elle n'a pas remis en cause le mode de calcul de leurs pensions (sur les six derniers mois de traitement), qui reste nettement plus avantageux que celui applicable aux salariés du privé.

2. Faire travailler les salariés plus longtemps : la mesure, qui consiste à allonger la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une pension à taux plein, permet tout à la fois d'accroître la masse des cotisations et de rééquilibrer le ratio actifs/retraités. La durée de cotisation requise par les salariés du privé a ainsi été repoussée de 150 à 160 trimestres (soit de 37,5 à 40 ans) par la réforme Balladur. En 2003, cette même exigence a été étendue aux fonctionnaires par la réforme Fillon, qui a également prévu que les uns et les autres devront franchir un nouveau palier à 164 trimestres (41 annuités) entre 2009 et 2012.

3. Compléter la répartition par de la capitalisation individuelle, collective ou à l'échelle du pays. Le Fonds de réserve des retraites, créé en 1999 à l'initiative du gouvernement Jospin, dispose ainsi de 21 milliards d'euros de réserves, placées en obligations et en actions pour dégager des produits financiers. On est très loin de l'objectif qui lui était assigné de dégager 160 milliards d'euros en 2020. Pour deux raisons simples : d'abord, ses réserves ont été en partie siphonnées en 2001 pour payer les allégements de charges liés aux 35 heures ; ensuite, les recettes des privatisations, qui devaient lui être affectées, vont au désendettement de l'État. De son côté, la réforme Fillon a créé deux dispositifs d'épargne retraite – individuel et collectif – destinés à compléter la retraite par répartition, le Perp et le Perco.

Précision importante : jusqu'à maintenant, les régimes spéciaux de retraite – très généreux – des agents de la SNCF, de la RATP, d'EDF-GDF ou de la Banque de France ont été totalement épargnés par les différentes réformes.

D. B.

Ce que proposent leurs programmes

1/ La réforme Fillon

Sarkozy : Pas question de toucher à la réforme des retraites que l'ancien ministre des Affaires sociales a échafaudée en 2003. Bien au contraire. Le candidat de l'UMP entend la conforter, permettre à chacun de choisir l'âge de son départ en retraite et favoriser plus largement le cumul emploi-retraite.

Royal : Alors que le projet du Parti socialiste préconise l'abrogation de la loi Fillon, la candidate, elle, ne s'est jamais prononcée ouvertement dans ce sens. Elle souhaite ouvrir avec les partenaires sociaux une négociation afin d'assurer un niveau minimal de pension garanti proche du smic, prendre en compte la pénibilité du travail, remettre à niveau le Fonds de réserve des retraites, ouvrir davantage de possibilités de départs en retraite et améliorer les solutions de cumul emploi-retraite.

Bayrou : La réforme de 2003 a laissé des problèmes majeurs en suspens, estime le candidat, qui propose une refonte universelle du système – soumise à référendum – ouvrant la voie à une retraite par points. Dans ce schéma à la carte où le montant augmente avec le temps de cotisation, les salariés conservent le droit de partir à la retraite à 55 ans mais leur retraite sera plus importante s'ils partent plus tard. Chacun peut ainsi redéfinir son temps de travail et son niveau de retraite. Le système doit être géré en pleine responsabilité par les partenaires sociaux.

2/ Les régimes spéciaux

Sarkozy : Alain Juppé s'y était cassé les dents en 1995, Nicolas Sarkozy revient à la charge : il s'attaquera aux régimes spéciaux dans un souci d'équité. Et il entend ouvrir des négociations dès son élection afin d'être prêt pour 2008, date à laquelle un rendez-vous d'étape a été prévu par la loi Fillon d'août 2003.

Royal : La candidate ne prend pas le risque de s'attaquer de front aux régimes spéciaux. Elle renvoie aux partenaires sociaux le soin de négocier sur leur mode de financement.

Bayrou : « La question des régimes spéciaux n'a pas été réglée en 2003, contrairement à ce que nous avions alors demandé. Il faut remettre à plat tout le système des retraites, en le fondant sur l'égalité et mener cette évolution de telle sorte qu'elle profite à tous », avance le candidat UDF, qui prône la dissolution des régimes spéciaux dans son projet de retraite à points.

3/ Les petites retraites

Sarkozy : Le candidat UMP compte améliorer le sort des petites retraites grâce à la remise à plat des régimes spéciaux. Il veut également revaloriser la situation de certains métiers (artisans, agriculteurs…) et des femmes ayant cessé leur activité pour élever leurs enfants, renouant ainsi avec la vieille idée de la droite de créer un salaire parental.

Royal : La priorité des priorités sera l'amélioration des petites retraites, soit « les retraites inférieures ou égales au smic, inférieures ou égales à 984 euros », estime la candidate. Celles-ci seront augmentées de 5 %. Le minimum vieillesse sera versé mensuellement et le paiement des retraites de la Sécurité sociale sera rétabli au premier jour de chaque mois.

Bayrou : « Aujourd'hui, un retraité seul ne peut pas s'en sortir, cela relève de la non-assistance à personne en danger ! », estime le candidat UDF, qui a pris l'engagement de porter le minimum viellesse en cinq ans à 90 % du smic.

4/ Les retraites chapeaux

Sarkozy : « La France qui travaille est démoralisée », assène le candidat, qui veut réserver ces surcomplémentaires aux dirigeants qui prennent des risques. L'échec ne doit pas payer. Pour moraliser retraites chapeaux et parachutes, le candidat préconise la transparence plutôt que le recours à la loi.

Royal : « Les Français sont choqués quand ils apprennent le montant des stock-options, des indemnités de départ et des retraites chapeaux de certains dirigeants. Ils découvrent qu'à une certaine altitude, l'échec paie », déplore la candidate. Pour autant, le flou demeure sur la manière dont ces retraites pourraient être réformées.

Bayrou : Alors que le candidat s'est clairement exprimé sur la suppression des régimes de retraite des salariés de GDF, d'EDF, de la SNCF… et qu'il s'était allié en 2005 au concert de protestations contre la retraite chapeau de Daniel Bernard, l'ex-patron de Carrefour, il n'a pas pris position, dans son programme présidentiel, sur ces régimes surcomplémentaires octroyés à certains cadres dirigeants.

5/ L'emploi des seniors

Sarkozy : Le candidat UMP veut se fixer des objectifs de hausse du taux d'emploi pour les jeunes, les femmes, les non-qualifiés, mais aussi les seniors. Pour ces derniers, il entend supprimer la dispense de recherche d'emploi et créer « les conditions juridiques, économiques et sociales pour [leur] permettre de conserver une activité professionnelle le plus longtemps possible ».

Royal : Si la candidate propose une « garantie d'activité jeunes », afin qu'aucun jeune ne reste au chômage plus de six mois, et la généralisation des emplois tremplins afin de les porter à 500 000, elle n'avance pas de mesure spécifique pour stimuler l'activité des seniors.

Bayrou : « Plus d'un Français sur deux qui part à la retraite a perdu son emploi. Et on continue de nourrir toutes les formes de préretraite. Il y a quelque chose qui ne va pas et ce n'est pas une petite affaire », déplore le candidat, qui estime qu'il faudra « des mois de réflexion civique avec les citoyens » pour doper l'emploi des seniors.

ANNIE JOLIVET, CHERCHEUSE À L'IRES
Rien sur les seniors

Les trois candidats affichent leur volonté de préserver le principe de la répartition. La proposition de François Bayrou de passer à un régime par points impliquerait cependant de basculer d'un système à prestations définies à un système à cotisations définies. Un tel système ne garantit plus aucun taux de remplacement du revenu d'activité au moment de la retraite. Or la réforme des retraites de 1993 affecte déjà très négativement les pensions des salariés du secteur privé.

La question des régimes spéciaux est abordée par les trois candidats. Dans son dernier rapport, le Conseil d'orientation des retraites (COR) préconise de poursuivre la réforme en 2008 en s'assurant de l'équilibre jusqu'en 2020 de l'ensemble des régimes, y compris des régimes spéciaux. Par ailleurs, la loi d'août 2003 a posé comme principe « le traitement équitable [des assurés] au regard de la retraite, quels que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes de retraite dont ils relèvent ». Cependant, il est souvent indifféremment question d'équité et d'égalité entre cotisants. Or les particularités des régimes spéciaux ne se réduisent pas à des taux de remplacement différents et à des âges de retraite précoces. Leur champ d'action est plus large que le régime général : ils couvrent l'invalidité et, dans certains cas, jouent le même rôle que les préretraites ou la dispense de recherche d'emploi. Par ailleurs, la retraite est aussi un élément du « compromis salarial » dans les secteurs couverts par les régimes spéciaux, qu'il est donc difficile de remettre en cause isolément. Enfin, l'échec cuisant d'Alain Juppé en 1995 montre à quel point il serait illusoire d'envisager de faire évoluer les régimes spéciaux sans concevoir une méthode et un processus de négociation prudente et mesurée avec les syndicats. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal y font référence, le premier visant une « réforme » et la seconde le « mode de financement » de ces régimes.

Alors que l'équilibre du système de retraite dépend en partie de l'emploi des seniors, il est frappant de constater que les trois candidats ne s'expriment pas ou fort peu sur ce sujet. Ségolène Royal mentionne uniquement une négociation sur ce thème avec les partenaires sociaux. Les mesures annoncées par les trois candidats semblent relever d'une analyse centrée sur les déterminants individuels du départ en retraite. Sont de fait passés sous silence les comportements des employeurs, les difficultés que rencontrent les salariés et les médecins du travail en cas d'atteintes à la santé, notamment en fin de carrière. Pas de réaction sur la création inattendue, lors du vote de la loi sur le financement de la Sécurité sociale en novembre, d'une possibilité de mise à la retraite avant 65 ans jusqu'en 2014, vivement critiquée par le COR. Rien non plus sur la façon d'améliorer la cohérence des mesures mises en œuvre dans le cadre du plan d'action pour l'emploi des seniors.

FLORENCE LEGROS, PROFESSEUR D'ÉCONOMIE À L'UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE
Pas d'allusion au long terme

Le quasi-silence de Nicolas Sarkozy sur les retraites est cohérent : le gouvernement auquel il appartient est l'auteur de la dernière réforme (2003) qu'il n'entend que compléter. Ce sera par une réforme des régimes spéciaux, laquelle permettrait de financer une augmentation des petites retraites. Un mode de financement curieux, compte tenu des perspectives financières des régimes spéciaux. Son programme se bornerait manifestement à combler un trou en en creusant un autre. Sur le dossier « revalorisation des petites retraites », il est rejoint par Ségolène Royal qui souhaite une convergence du minimum vieillesse et du smic en fin de quinquennat et se prononce pour une « mise à jour de la réforme de 2003 » jugée injuste pour les femmes et les personnes ayant eu des interruptions de carrière. Sur les régimes spéciaux, la candidate admet l'existence de privilèges alors que le PS se prononce contre « une abrogation unilatérale », malgré la reconnaissance d'une « nécessaire réforme » des retraites. En outre, elle souhaite la prise en compte de l'espérance de vie dans la détermination des durées de cotisation, ce qui pourrait être un plaidoyer pour une réforme du régime de la fonction publique, les fonctionnaires vivant plus vieux. Cela pose cependant problème puisque – si les écarts d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles sont bien connus – il existe également de fortes disparités non mesurées à l'intérieur des catégories. La question de qui devrait payer la prise en compte de la pénibilité, également souhaitée, est loin d'être évidente à régler. Enfin, le maintien du droit à la retraite à 60 ans relève purement de la démagogie.

Quant au financement, les candidats du PS et de l'UMP s'en embarrassent assez peu ; les récentes réformes sont insuffisantes mais personne ne fait allusion au long terme et les propositions sont maigres. Poussés à l'extrême, leurs « projets », relèvement des faibles pensions conjugué à la baisse programmée depuis 1993 des taux de remplacement pour les autres catégories, rapprocheraient à terme la France d'un modèle anglo-saxon peu contributif dans lequel les retraites sont quasi forfaitaires. En revanche, le programme de François Bayrou passe inaperçu alors qu'il présente une véritable rupture puisqu'il augmenterait la contributivité du régime en basculant vers un régime unique par points.

Auteur

  • S. F.