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La précarité explose dans les nouveaux États de l'UE

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2007 | Anne-Cécile Geoffroy, Olivier Vogelsang

Flexibilité à tout crin, apparition du chômage, syndicalisation en chute… Pour cet économiste, expert au BIT, le boom économique lié à l'élargissement n'a pas que des effets positifs pour les salariés des nouveaux États.

Sur le plan social, les salariés des nouveaux États membres ont-ils gagné au change ?

Le niveau de vie s'est assurément amélioré. Mais les salariés s'attendaient à un rattrapage plus rapide. Car l'apport de capitaux étrangers a boosté la croissance de ces pays, notamment en Hongrie, en Pologne ou en Slovaquie. Mais les salaires restent à la traîne. De plus, le processus d'élargissement a été clairement déséquilibré en faveur des anciens pays de l'Union européenne. Ces derniers ont pu investir leurs capitaux librement et profiter de l'ouverture totale de ces nouveaux marchés, mais, dans le même temps, ils refusaient toute mobilité aux travailleurs des nouveaux États membres et limitaient leur accès aux fonds structurels. L'élan de solidarité tant espéré n'a pas eu lieu.

Quelles sont les conséquences sur leurs conditions de travail ?

Les effets ont été parfois positifs, à l'image de la réduction progressive des heures de travail ou de l'amélioration des conditions de santé et de sécurité, après l'harmonisation de leur législation avec l'acquis communautaire. D'un autre côté, de nombreux États ont mis en place un marché du travail radical. Dans les premières années de la transition, les formes de contrats de travail flexibles comme les CDD n'étaient pas connues. Les contrats permanents à faibles revenus étaient la norme. Depuis, la précarité explose. La Pologne arrive déjà en deuxième place après l'Espagne, championne des CDD : 25 % des salariés polonais ont un contrat de travail temporaire. Idem pour les contrats indépendants. Ceux-ci ne sont plus régis par le Code du travail mais par le Code civil. En clair, les travailleurs n'ont plus de protection sociale ni de droit de grève. Les entreprises se sont ruées sur ce type de contrats, demandant du jour au lendemain à leurs salariés de passer sous statut indépendant. En Hongrie, ces contrats se sont beaucoup développés dans le secteur bancaire. En République tchèque, plus de 30 % des salariés de la construction sont concernés.

Comment réagissent les salariés ?

Pour la population active, le plus important est de travailler à tout prix et d'assurer par là un revenu, quitte à accepter n'importe quelles conditions de travail. D'autant que le chômage apparu chez nos voisins dès le début de la transition perdure. Les salariés sont passés de la garantie de l'emploi au règne de la flexibilité et de la précarité. Les bas salaires ont aussi aggravé la situation. Les employeurs sont en position de force.

Comment se comportent les multinationales occidentales installées dans ces pays ?

Elles pratiquent des niveaux de salaire supérieurs à ceux du marché et jouent un rôle positif sur l'emploi et sur la croissance. Reste que ces entreprises ont renforcé la tendance à plus de flexibilité. Ce sont elles qui ont le plus recours au travail en continu et donc aux heures de travail dites « asociales », la nuit ou le week-end. Elles ne sont pas non plus les championnes du dialogue social. On a vu des groupes, comme Bosch et Siemens, refuser la présence de syndicats. Certains, à l'instar de la grande distribution française, ont soigneusement évité le dialogue social. Nos entreprises influencent aussi les conditions de travail dans ces pays en ayant recours à la sous-traitance locale à des conditions imbattables.

Que font les organisations syndicales face à cette situation ?

L'option très libérale adoptée par la plupart des gouvernements et des employeurs laisse très peu d'espace à l'interlocuteur syndical. Les taux de syndicalisation sont en chute. En Hongrie, par exemple, ce taux a baissé de 75 % en dix ans ; en République tchèque, de 50 %. Avec 12 % de salariés syndiqués, l'Estonie n'est pas loin de ravir la dernière place à la France. Si cette dégringolade était prévisible après la chute du communisme, elle ne l'était pas dans la seconde partie des années 90. Elle s'explique en partie par l'impuissance des syndicats à protéger leurs adhérents. La négociation collective n'existe que rarement au sein des PME privées nouvellement créées.

Quelle est l'influence des flux migratoires sur ces conditions de travail ?

Dans des métiers comme l'informatique ou la santé, les employeurs sont sous pression. Ils jouent sur la hausse des rémunérations pour fidéliser les salariés. On peut s'attendre que la Hongrie ou la Pologne, très touchées par le brain drain [« fuite des cerveaux »], vivent un rattrapage social réel. Mais cela prendra encore beaucoup de temps. Ce rattrapage limiterait aussi le phénomène du dumping social. Et la libre circulation des travailleurs pourrait réduire du même coup l'immigration illégale dans nos pays, dopée par le blocage actuel de la libre circulation.

DANIEL VAUGHAN-WHITEHEAD

Expert du BIT sur les conditions de travail et d'emploi.

ÂGE

43 ans.

PARCOURS

Cet économiste à la carrière internationale a tour à tour été collaborateur de Jacques Delors à la Commission européenne, conseiller à l'OIT pour les pays d'Europe centrale et orientale, responsable du dialogue social dans le processus d'élargissement. Il vient de publier, avec François Eyraud, The Evolving World of Work in the Enlarged EU : Progress and Vulnerability, BIT, 2007.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Olivier Vogelsang