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Vie des entreprises

Les centres d'appels chahutés par les délocalisations

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2007 | Anne-Cécile Geoffroy

Après une restructuration violente en France, les centres d'appels sont contraints de s'exiler dans les pays à faible coût de main-d'œuvre, sous la pression de leurs donneurs d'ordres. Mais certains réinvestissent tout de même dans l'Hexagone…

C'est la grogne dans les centres d'appels de La Redoute ! L'enseigne va fermer quatre plateaux en région parisienne pour n'en conserver qu'un seul à Orly. « La direction assure qu'elle reprendra les 110 salariés concernés s'ils suivent le déménagement. Dans le cas contraire, les postes ne seront pas remplacés, affirme Grégory Caron, délégué syndical central SUD VPC. Résultat, les effectifs des centres d'appels de La Redoute vont continuer à fondre au profit d'“outsourceurs” installés en France. » Le syndicat a calculé que l'entreprise avait perdu 25 % de ses effectifs ces deux dernières années. « Sur la même période, nos sous-traitants ont vu leur activité croître de 20 %, et une partie est désormais délocalisée en Tunisie et au Maroc », explique le syndicaliste. Une inquiétude ravivée avec l'arrivée en septembre 2006 d'un nouveau sous-traitant, Webhelp, implanté au Maroc et en Roumanie.

Pas d'eldorado.

Avec 260 000 salariés au total, dont 40 000 chez les outsourceurs prestataires des grandes entreprises, le secteur des centres d'appels n'est pas encore l'eldorado qu'espérait Jean-Louis Borloo, lorsque, en décembre 2004, il a lancé, avec l'Association française de la relation client (AFRC), un label social destiné à redorer l'image des entreprises et à les armer contre les premières délocalisations vers le Maghreb. À titre de comparaison, le Royaume-Uni a créé pas moins de 1 million d'emplois dans ses centres d'appels. Une récente étude du cabinet Arkos pour le compte de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGFP) note que le secteur prévoit la création nette de 100 000 emplois environ dans les cinq ans, mais elle explique que si « les perspectives de développement sont fortes, le volume d'emploi potentiel est difficile à évaluer de manière fiable ».

Dans ce domaine, les pronostics sont d'autant plus difficiles que, depuis trois ans, l'offshore, autrement dit les plates-formes installées dans les pays à faible coût de main-d'œuvre, monte en puissance. « Entre 2001 et 2005, notre secteur a subi une forte restructuration. Sur les 25 premières entreprises installées en 2000, 15 ont aujourd'hui disparu. Maintenant, il doit s'adapter à la concurrence étrangère », souligne Laurent Uberti, président du Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) et dirigeant de la société Acticall. Environ 10 000 emplois auraient été supprimés au profit de l'offshore, selon la DGEFP et au Maghreb pour l'essentiel. L'Empire chérifien compte déjà 18 000 salariés dans 140 centres d'appels, alors qu'il n'a réellement décollé qu'en 2004. À la même époque, Teleperformance a réduit l'activité de certains de ses sites installés à Paris et en région parisienne pour alimenter ses plateaux tunisiens et supprimer, au passage, des emplois en France.

30 à 40 % de l'activité à l'étranger prévu. « L'offshore représente 15 % du chiffre d'affaires des outsourceurs français, indique Laurent Uberti. Et nous estimons qu'à terme 30 à 40 % de leur activité se fera à l'étranger. » Car si la qualité des prestations offertes était auparavant sujette à caution, la donne a bien changé. « Je croule sous les demandes de centres d'appels marocains pour que nous les aidions à mettre en place des formations de haut niveau, indique Jean-Louis Mutte, directeur de Sup de co Amiens et de l'institut SupMédiaCom, spécialisé dans la formation aux métiers de la relation client. Si, en France les entreprises recrutent des jeunes de niveau bac à bac + 2, au Maroc, les téléopérateurs ont plus souvent un bac + 4. »

Dans l'Hexagone, difficile, pourtant, de parler de destructions d'emplois pour un secteur qui connaît encore une croissance de son chiffre d'affaires de l'ordre de 15 %. « Les centres d'appels ne sont pas touchés par une réduction d'effectifs ; en revanche, ils ne créent plus d'emplois », pointe Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la F3C CFDT.

« Ces trois dernières années, nous avons assisté à un tassement des créations d'emplois dû à l'offshore », note Laurent Uberti, au SP2C. À Amiens, Éric Dadian, P-DG de l'outsourceur Intra Call et président de l'AFRC, a récemment perdu un contrat avec Noos qui lui a préféré un outsourceur présent à l'étranger. « 150 salariés travaillaient pour ce client. J'ai affecté d'autres tâches à ces téléopérateurs et n'ai licencié personne. Mais c'est autant d'emplois que je n'ai pas créés », râle Éric Dadian.

Baisse des prix de 30 %. Obligés de maîtriser leurs coûts, certains donneurs d'ordres n'hésitent pas à demander à leurs prestataires de délocaliser. Si certaines entreprises, comme SFR, ne font appel à l'offshore qu'à la marge (une dizaine d'outsourceurs traitent 50 % des relations clients de l'opérateur téléphonique dont 4 % sur des plateaux à l'étranger), d'autres, comme les fournisseurs d'accès à Internet ou les services de renseignements téléphoniques, n'hésitent pas à délocaliser 100 % de leur activité. C'est le cas du 118 218, dont la totalité de l'activité se fait au Maroc. Une recherche d'économie qui est réalisée presque exclusivement sur les salaires. « Les prix ont baissé de plus de 30 % ces dernières années, explique Laurent Uberti. Dans ces conditions, il est difficile de rester compétitifs et de rivaliser avec les coûts salariaux de nos concurrents étrangers. » Quand le smic horaire français s'élève à 8,27 euros, le smic horaire marocain est fixé à 0,88 euro.

Surtout, les outsourceurs ont vu certains grands donneurs d'ordres se mettre à pratiquer sans vergogne les enchères inversées pour tirer encore un peu plus les prix vers le bas. « Cela revient à nous demander de mettre aux enchères les salaires de nos collaborateurs. Les plus fragiles d'entre nous ne résisteront pas longtemps », pointe Éric Dadian, à l'AFRC.

Pour moraliser ces pratiques, le SP2C a lancé une charte proscrivant le recours aux enchères inversées et demandé aux donneurs d'ordres de prévenir leur prestataire au moins six mois à l'avance de l'arrêt d'un contrat.

De son côté, l'AFRC a édicté un label social qui vise notamment à lutter contre l'extension de l'offshore en imposant aux candidats qu'au moins 60 % des emplois soient localisés en France. Sur les 1 000 centres d'appels en France, une vingtaine seulement ont obtenu le label. « Nous espérons que ces décisions tirent vers le haut les pratiques sociales », explique Franca Salis-Madinier, à la CFDT.

De toute façon, notre présence au Maroc nous permet de conserver des emplois en France à plus forte valeur ajoutée, argumente Laurent Cartier, directeur commercial de Sitel France. Et de répondre à la demande de certains clients, comme PagesJaunes, qui ne veulent pas entendre parler d'offshore pour des raisons éthiques. » D'où le retour en France de certains centres d'appels ces derniers mois, conscients de l'intérêt d'être également présents dans l'Hexagone. Webhelp, qui s'est développé au Maroc et en Roumanie, vient d'ouvrir un site à Caen avec 300 emplois à la clé. Call Marketing a commencé par créer des emplois au Maroc en 2004 avant de s'installer à Toulouse. « Les profits réalisés au Maroc nous permettent de réinvestir en France et d'y créer des emplois », affirme Nicolas Moynet, directeur associé de Call Marketing. En attendant, l'offshore a de beaux jours devant lui. L'Algérie s'apprête à se lancer sur le marché, avec un nouveau gisement de main-d'œuvre qualifiée à bas prix.

Lexique

HOMESHORE

L'activité est « délocalisée » au domicile des salariés.

ONSHORE

L'activité initialement implantée en Ile-de-France est déplacée en province.

NEARSHORE

La relation client s'envole, à deux heures d'avion, vers la Roumanie, la Pologne et, surtout, le Maghreb.

OFFSHORE

Ce terme générique désigne aussi le départ de l'activité pour des pays plus lointains : le Sénégal, l'Inde…

Les régions font la cour aux centres d'appels

Pour le moment, nous ne sommes plus sur le marché, lance Roger Mézin, premier adjoint au maire d'Amiens, à l'origine de l'implantation des centres d'appels en Picardie au début des années 90. Mais nous venons d'acquérir 10 000 mètres carrés de terrain pour relancer les implantations. » Car, malgré les menaces de l'offshore, le secteur pense encore créer 100 000 emplois dans les prochaines années.

Des perspectives qui attisent la convoitise de communes soucieuses de développer l'emploi sur leur territoire. Au point qu'une concurrence féroce se joue aujourd'hui entre les villes. Après Amiens, d'autres villes ont exploité le filon. Huit régions concentrent 70 % du marché des call centers. L'Ile-de-France arrive en tête, suivie du Nord-Pas-de-Calais, des Pays de la Loire, de Rhône-Alpes. « C'est moins l'offshore que les autres villes françaises qui nous font concurrence, souligne William Ballue, chef de projet au BRA, l'agence de développement économique de Bordeaux-Gironde. Nous traitons une dizaine de projets par an. Seuls deux ou trois arrivent à se concrétiser. » En Gironde, le secteur a créé 7 000 emplois directs dans une centaine de centres.

Le Havre arrive tout juste sur le créneau. En janvier, un centre Arvato s'est installé dans la ville portuaire et y créera 300 emplois. « Le marché est mature et les risques de destruction d'emplois sont moindres », explique Wilfried Gallais, chef de projet pour l'agence de développement économique du Havre. Même souci en Indre-et-Loire. « Nous avons deux “outsourceurs” sur le territoire et nous n'en aurons pas d'autres, assure Sophie Dussiau, chargée de mission à l'agence de développement de la Touraine. On préfère se positionner sur l'accueil de centres d'appels intégrés, comme celui de Fidelia Assistance, arrivé en début d'année, qui assurent une pérennisation de l'emploi. » Car les villes ont bien conscience de la fragilité de certains opérateurs face à la concurrence étrangère. Dès 2002, elles ont fortement poussé à la création du label social de l'AFRC et certaines jouent sur les aides accordées par la Datar ou les régions pour convaincre les entreprises de venir s'installer. « Les centres d'appels marocains commencent à subir la concurrence des villes françaises qui subventionnent les entreprises, ironise Mohamed el Ouahdoudi, responsable du Salon international de centres de contacts et d'appels au Maroc (Siccam). Un centre récemment installé à Casablanca a fermé ses portes pour s'implanter à Marseille, attiré par les subventions que proposait la ville. »

Combien coûte un téléopérateur ? (en salaire mensuel brut chargé)

2 500 euros en France

800 euros en Roumanie

400 euros au Maroc

150 euros au Sénégal

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy