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Politique sociale

Le marché des CE aiguise l'appétit des experts-comptables

Politique sociale | publié le : 01.03.2007 | Éric Béal

L'expertise auprès des comités d'entreprise se porte tellement bien qu'elle attire les cabinets qui conseillent les employeurs. Du coup, la concurrence fait rage.

Les experts des CE ont-ils mangé leur pain blanc ? À la veille de la présidentielle, les cercles patronaux font monter la pression pour limiter le recours à ces professionnels choisis par les élus du personnel mais payés par l'entreprise. « Certains pratiquent des tarifs extravagants », estime Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit à Montpellier et ancien membre de la commission de Virville. Dans un rapport remis fin 2003 à Matignon, ce groupe d'experts proposait d'encadrer par la loi « le montant des sommes consacrées par les entreprises au financement de l'expertise ».

Il est vrai que certains cabinets, et non des moindres, ont pris des libertés avec la déontologie. Le milieu raconte en boucle l'histoire de ce DRH d'un grand réseau bancaire qui a sollicité l'arbitrage de l'ordre des experts-comptables. Motif ? Un expert conseillait 70 CE du groupe. À chacun d'entre eux il avait remis un rapport identique, « avec les mêmes fautes d'orthographe », facturé sur la base d'une quinzaine de jours d'expertise à 1 700 euros la journée – les cabinets les plus modestes se contentant d'un tarif de 1 000 à 1 200 euros. Mis à part cet abus manifeste, les experts-comptables nommés par les CE ne sont pas toujours accueillis à bras ouverts. « Certaines directions contestent les tarifs et la durée de la mission pour le principe, histoire d'intimider le CE », indique Claudine Vergnolle, commissaire aux comptes à l'ordre des experts-comptables de Paris Ile-de-France. Mais il n'existe pas de tarifs officiels. Et pour cause, l'expertise comptable est une profession libérale qui s'autorégule. « Nous tenons des feuilles de temps et indiquons le nom de chaque personne ayant travaillé sur un dossier. Notre travail peut être vérifié par l'Ordre », précise Catherine Ferrière, dirigeante du cabinet Tandem Expertise. Parmi les critères : le temps passé, la qualité des intervenants et le type de mission. Des missions qui se sont diversifiées avec les changements d'organisation des entreprises et l'évolution du Code du travail.

Concurrence régionale. En tout cas, l'expertise se porte bien. Les marges réalisées attirent sans cesse de nouveaux intervenants. Au point de susciter une véritable guerre commerciale. Avec plus d'un tiers du marché revendiqué par le groupe Alpha et environ 15 % pour Syndex, en deuxième position, il ne reste aux cabinets plus modestes que la moitié d'un gâteau évalué à 300 millions d'euros. L'ordre des experts-comptables estime que 20 % des cabinets (sur un total de 20 000) réalisent des missions pour les CE. Preuve de l'âpreté de la bataille, la présence croissante d'experts-comptables dans les salons spécialisés. « Il y a vingt ans, seul l'Ordre retenait un stand sur le salon francilien des CE, indique Claudine Vergnolle. Aujourd'hui, une quinzaine de cabinets sont présents, sans compter ceux qui écument les salons régionaux. »

En dépit de leur taille, Alpha et Syndex rencontrent une vive concurrence de la part de cabinets de province qui jouent de leur proximité avec les représentants du personnel de comités d'entreprise locaux. Parfois, il s'agit d'anciens collaborateurs. « Récemment, des consultants de Secafi de l'est de la France sont partis créer un cabinet indépendant en emmenant une partie de la clientèle », relève un observateur. Une pratique pourtant réprouvée par la profession. « Certains petits cabinets ont été créés par des spécialistes issus d'un des deux leaders. Mais des experts-comptables qui ne travaillaient qu'avec les directions ont également été attirés par le niveau des honoraires sur les missions légales et par la croissance du marché », souligne Christian Pellet, DGA de Sextant, un cabinet parisien.

Exemple type, le cabinet CE Consultant, un cabinet de Seine-et-Marne qui a réalisé sa première mission pour un comité d'entreprise en 2002. Contrairement à la plupart de ses confrères spécialisés, il continue de travailler au service de responsables d'entreprise. « Mais je prends soin d'avertir tous mes clients de cette double démarche », explique son dirigeant, Yannick Lechevalier, jugeant son positionnement caractéristique des « futurs développements du marché de la relation sociale »…

Le changement de majorité au CE de Vivendi a été fatal au cabinet qui avait la mission depuis un an

Les élus des CE eux-mêmes sont également à l'origine de la concurrence accrue entre cabinets. « Inquiets pour l'emploi, ils veulent pouvoir disposer d'arguments pour débattre avec leur direction et n'hésitent pas à changer d'expert si la qualité du rapport ne leur semble pas satisfaisante », estime Jean-Louis Hudec, directeur associé du groupe Alpha. À l'instar du CE de Montre Service qui s'est séparé de Legrand Fiduciaire. « Nous avons invité deux petits cabinets à passer un grand oral sur ce qu'ils pensaient pouvoir nous apporter. Puis nous avons choisi Tandem Expertise, témoigne Michel Luci, délégué syndical FO et trésorier du CE. Ils nous aide à négocier et nous conseille sur la tactique à adopter. »

Pour autant, les changements de comportement de certains élus du personnel n'émoussent pas les vieux réflexes. Les grandes centrales cultivent la proximité avec certains cabinets. La CGT est traditionnellement proche du groupe Alpha, la CFDT de Syndex, FO de Legrand Fiduciaire. « Il ne faut pas oublier que je suis élu avec une étiquette syndicale », indique ainsi Yves-Marie Bossé, secrétaire adjoint du CE de Brittany Ferries et militant CFDT, en guise d'explication sur le choix de Syndex. « Le meilleur réseau d'information lorsque l'on recherche des compétences, c'est celui de son syndicat. » La CFDT est d'ailleurs la seule confédération à avoir formalisé ses liens avec ses experts dans une « charte de partenariat » qui précise les droits et devoirs réciproques des deux parties. « Un élu de CE ne sait pas toujours à qui s'adresser, explique Gaby Bonnand, secrétaire national CFDT. Nous lui présentons des partenaires dont nous connaissons les méthodes de travail. L'expert doit éclairer les élus sur l'état du secteur ou la situation régionale. Le partenariat avec différents experts est un axe stratégique majeur pour la CFDT. Mais la décision politique doit revenir aux élus et aux syndiqués. » Seuls deux cabinets comptables sont référencés par la CFDT : Syndex et Sextant. Les autres sont des cabinets d'avocat réunis au sein du réseau Avec et Arete, un spécialiste de l'informatique.

Gare aux changements de majorité

Mais ces accointances rendent le marché instable. Le résultat des élections professionnelles ou les alliances circonstancielles entre syndicalistes peuvent aboutir à des renouvellements d'expert. En 2006, le changement de majorité au sein du comité de groupe de Vivendi a été fatal à Tandem Expertise. Ce petit cabinet parisien qui avait obtenu la mission en 2005 s'est trouvé évincé une année plus tard, au profit de Sextant, à la suite d'une alliance entre élus CFDT et CFTC. « Le comité central de SFR utilise les services de Sextant depuis plusieurs mandatures. Ils connaissent bien les enjeux de nos métiers, ce n'était pas stupide de les désigner au niveau du groupe », explique Xavier Courtillat, DS CFDT de SFR et membre du comité de groupe de Vivendi. Mais les élus CGT auraient préféré Secafi… Reste que si le projet de « codécision » proné par le patronat voit le jour (direction et CE s'entendant pour désigner un expert), les cabinets d'expertise comptable devront redoubler de diplomatie.

Un partenaire envié

Depuis la loi du 16 mai 1946, les comités d'entreprise peuvent s'appuyer sur les compétences d'un expert-comptable pour exercer leurs prérogatives en matière d'informations économiques et financières. Cette mission est prévue par l'article L. 434-6 du Code du travail. S'il est désigné par le CE et lui destine son rapport, l'expert-comptable est rémunéré par l'entreprise.

Le CE peut demander l'intervention d'un expert en cas de licenciements économiques ou pour l'examen des documents prouvant que l'entreprise doit anticiper une passe difficile…

L'expert-comptable est l'expert de référence. Les élus de CE ont le réflexe de s'adresser à lui en cas d'urgence. Quitte à lui demander s'il ne connaît pas un avocat, un ergonome, un médecin du travail ou un architecte dont les compétences seraient utiles pour les éclairer. Une situation très enviée par les autres experts…

Auteur

  • Éric Béal