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Vie des entreprises

McDo pas toujours très digeste pour ses salariés

Vie des entreprises | DECRYPTAGE | publié le : 01.01.2000 | Frédéric Rey, Martine Rossard

Figure connue des jeunes clients de McDo, le clown Ronald n'a pas l'image d'un bon patron. Adepte de la flexibilité et des temps partiels, la chaîne de restauration rapide s'efforce cependant de redorer son blason social, après des débuts très laborieux. Mais les franchisés suivent en ordre dispersé…

Des producteurs de roquefort qui s'attaquent aux fast-foods de l'américain McDo, harangués par un gaillard moustachu aux allures d'Astérix. Tous les ingrédients d'un soap opera bien de chez nous sont réunis. Sauf que ce n'est pas une fiction. Au cours de l'été et de l'automne 1999, les adversaires de la mondialisation ont trouvé en José Bové, leader de la Confédération paysanne, leur héros. Et, à travers McDonald's, leur victime expiatoire. Car non seulement le roi du hamburger passe pour l'incarnation de la « malbouffe », mais l'entreprise de restauration rapide n'est jamais parvenue véritablement à se franciser.

C'est particulièrement vrai sur le plan social. Depuis l'ouverture du premier restaurant de la chaîne, il y a vingt ans à Strasbourg, 770 établissements sont sortis de terre employant au total 30 000 salariés. À son arrivée en France, McDonald's n'a pas cherché à se fondre dans le moule de la législation sociale. Bien au contraire. « Chaque fois que l'on nommait un délégué syndical, se souvient Dejan Terglav, secrétaire fédéral de la FGTA-Force ouvrière, il était viré ou poussé au départ, parfois avec un chèque. » Élisa, employée dans un restaurant du XVe arrondissement, plus de dix ans d'expérience dans la restauration rapide, n'a pas oublié les brimades qui ont marqué son entrée dans le syndicalisme : « Les directeurs commençaient par vouloir nous dissuader en nous expliquant, très paternalistes, qu'on allait devoir payer une cotisation très chère aux syndicats. Si on ne cédait pas, la pression allait crescendo, afin de nous faire craquer. » Pour McDo, les démêlés ont sérieusement commencé en 1992, à Lyon, avec la mise en examen de franchisés locaux pour entrave au droit syndical. La question de la représentation du personnel est encore plus épineuse chez les franchisés que dans les établissements dépendant directement de la société McDonald's France Restaurants (MFR) et des ses filiales. Petites entreprises indépendantes, les franchisés ont utilisé la vieille technique du morcellement juridique de leurs établissements pour empêcher que les élections de représentants du personnel aient lieu. À Lyon, des salariés, soutenus par la CFDT, sont allés devant les tribunaux pour faire reconnaître l'unité économique et sociale des 12 établissements du groupement d'intérêt économique Poma. Mais les retombées très négatives de ce conflit sur l'enseigne ont marqué un tournant dans les relations sociales de l'entreprise. McDo a complètement changé son fusil d'épaule. Premier signe de changement, un directeur des ressources humaines français a été embauché en 1995 pour succéder à George Brown, un Irlandais aux méthodes anglo-saxonnes très contestées. Un an plus tard, MFR signe avec la CFDT un accord reconnaissant l'exercice du droit syndical. Des élections de délégués du personnel sont alors organisées dans chaque établissement. L'entreprise décide aussi de reverser 0,075 % de la masse salariale aux syndicats.

Une convention collective propre

De quoi redorer le blason de McDo. « Cet accord a permis une réelle implantation, malgré les séquelles du discours antisyndical dont avait été abreuvé le staff à l'époque du précédent DRH », reconnaît Prosper Kechala, délégué CFDT. Depuis, toutes les organisations syndicales sont représentées chez McDonald's France, qui dispose par ailleurs d'un accord de participation, d'un régime de prévoyance et d'une complémentaire santé. Depuis trois ans, McDo préside aussi le syndicat de branche, le Snarr, qui a bouclé une convention collective couvrant l'ensemble de la restauration rapide. Et notamment les franchisés, dont les salariés ne sont pas cantonnés à la portion congrue du Code du travail. La convention n'entérine pas les heures d'équivalence non payées et le fractionnement des jours de repos, souvent pratiqué dans la restauration traditionnelle.

Cette volte-face de McDo a fait des émules parmi les plus importants des franchisés. À Marseille et à Paris, l'accord de droit syndical a été repris, et des listes aux couleurs des cinq confédérations apparaissent désormais aux élections des comités d'entreprise et des délégués du personnel. « Ils ont compris qu'ils ne pouvaient pas faire autrement », estime Dejan Terglav, de la FGTA-Force ouvrière. La banalisation du fait syndical étant admise, les restaurants McDo doivent faire appliquer l'accord au quotidien, ce qui n'est pas toujours simple. Les directeurs se font encore parfois rappeler à l'ordre pour divers motifs : l'obligation d'afficher les comptes rendus de réunions, l'installation de vestiaires ou la création de salles de pause.

Ce qui n'empêche pas les relations sociales d'être parfois virtuelles. Philippe Odile, ancien cadre du groupe McDonald's, aujourd'hui propriétaire de six restaurants parisiens, se targue d'avoir trois organisations syndicales : FO, CGT et CFDT. Mais les trois déléguées sont toutes des assistantes administratives, directement rattachées à la direction des ressources humaines. Fait troublant, elles ne sont pas connues des responsables des fédérations dont elles dépendent. La déléguée FO, par exemple, s'est fait désigner par l'Union départementale de Paris sans se faire connaître auprès de la FGTA-FO. Un accord sur les 35 heures a pu être conclu en octobre 1999 dans les restaurants de ce franchisé sans que la fédération en ait lu la moindre ligne. « On peut s'interroger sur la réalité du dialogue social, souligne Dejan Terglav. Des petits malins profitent de nos faiblesses pour se doter d'une représentation de façade. »

Flexibilité et smic à temps partiel

La conduite de certains franchisés a incité Force ouvrière à créer un bureau entièrement dédié à McDo afin de couvrir au maximum le territoire. « Depuis trois ans, nous avons fait du chemin, mais les changements ne vont pas aussi vite qu'on le souhaiterait, regrette Jean Gomez, le directeur des ressources humaines national de MFR. Il peut arriver que des comportements de franchisés ne soient pas encore complètement en phase avec notre volonté. Si le fait syndical est passé dans les mœurs, nous devons aujourd'hui consolider le fonctionnement de nos relations sociales. »

Pour Prosper Kechala, délégué CFDT, l'accord de 1996 a suscité beaucoup d'espoir parmi les équipiers : « Ils s'imaginaient que l'ensemble des problèmes liés aux conditions de travail et à la rémunération allaient disparaître. » McDonald's reste une entreprise caractéristique de ces nouveaux emplois de services qui sont un cocktail de flexibilité, de temps partiel et de rémunération sur la base du smic. « Au siège, la réalité du discours social est incontestable, poursuit le syndicaliste, il en va autrement dans les établissements. La pression du chiffre, les multiples contrôles sur la qualité, les fortes variations d'activité rendent la vie de l'encadrement et des salariés toujours aussi difficile. » Cette pression s'illustre par une très forte division du travail en tâches répétitives et minutées devant le toaster, la friteuse ou la caisse.

Manager de zone syndiquée à la CFDT, à Lyon, Chantal Geoffrey en témoigne : « Nous ne sommes pas assez nombreux pour fabriquer, servir, nettoyer, vérifier les stocks. Il faut être en permanence sur tous les fronts. Le tutoiement de rigueur peut faciliter le dérapage de la part d'un encadrement lui-même stressé par la gestion des plannings, des absences, les coups de feu, les journées à rallonge et les exigences de la direction. » En septembre 1999, une grève a été déclenchée dans un restaurant marseillais pour un problème de sous-effectif. Partout, le résultat est le même : un très fort taux de turnover. Le temps partiel n'arrange rien. 80 % des 30 000 salariés de McDo sont concernés. C'est le seul moyen pour McDonald's de s'adapter aux fortes fluctuations de clientèle. Dans le restaurant des Champs-Élysées, par exemple, 35 personnes s'affairent tous les jours de 12 à 14 heures dans la cuisine et aux caisses. L'après-midi, elles ne sont plus que sept. Entre deux plages de travail, les coupures sont fréquentes. Élisa a une amplitude horaire maximale de neuf heures, mais elle ne travaille en réalité que cinq heures et demie. Seule compensation : une majoration de 4 francs pour chaque coupure.

Au travail sans travailler

La flexibilité autorisée par le temps partiel n'exclut pas de petits arrangements avec les horaires. « Des jeunes décrochent un contrat de soixante heures par mois mais n'en font que quarante ou cinquante », affirme Elena Stanciu, responsable de la section Ile-de-France du syndicat CFDT tourisme, restauration. « S'il n'y a pas de clients, il arrive que des directeurs demandent aux équipiers de ne pas pointer, et ils ne sont pas payés », ajoute Prosper Kechala. D'autres salariés, à l'inverse, sont obligés de dépointer, mais restent quand même sur leur lieu de travail. « Ils acceptent car c'est un usage et qu'ils ne connaissent pas leurs droits », déplore Sébastien Borel, délégué syndical CFDT à Marseille. Les managers, généralement à plein temps, sous statut d'employé, comme les swing managers, ou d'agent de maîtrise, font des journées à rallonge. Ces salariés, susceptibles de remplacer au pied levé un équipier absent, effectuent souvent des tâches administratives après leurs heures de travail, gratuitement, dans l'espoir d'une promotion. En 1997, un contrôle de l'Inspection du travail dans trois restaurants parisiens a relevé de nombreuses infractions sur la durée maximale quotidienne de dix heures pour sept membres de l'encadrement.

Réussir le passage aux 35 heures

Chez les franchisés, même lorsqu'il existe des procédures de contrôle du temps de travail, il n'est pas rare que des managers travaillent dix heures par jour et indiquent sur le cahier d'émargement leur horaire théorique. Ancien leader du conflit lyonnais, Saïd Hammache, secrétaire du syndicat CFDT commerce et services du Rhône, est convaincu que les franchisés ne peuvent pas obtenir un retour sur investissement rapide s'ils respectent la législation à la lettre. Même situation pour les directeurs salariés soumis à des objectifs draconiens. « Les uns et les autres sont indirectement incités à violer le droit du travail et la convention collective, à ne pas payer les primes et les heures supplémentaires, à frauder sur la pointeuse. »

« Le métier de la restauration rapide est difficile, se défend Jean Gomez. Si des dépassements d'horaires peuvent encore se produire, notre volonté générale est de réussir le passage aux 35 heures. Nous mettrons aussi tout en œuvre pour éliminer les dérapages. » D'ici à six mois, les restaurants seront tous équipés d'une pointeuse. La solution passe aussi par l'embauche de nouveaux managers. « Les candidats se font rares, constate Prosper Kechala. Les jeunes ont actuellement moins de mal à trouver d'autres jobs et ne se bousculent pas pour venir chez McDo. »

Parmi les enseignes de restauration rapide, c'est pourtant celle qui a le plus changé. « McDo fournit désormais aux équipiers des chaussures de sécurité et a réalisé des travaux pour améliorer la sécurité », souligne Prosper Kechala. « L'entreprise ne signe plus d'avenants au contrat de travail pour modifier les horaires de travail, renchérit Dejan Terglav. Au moins, McDo avance par petits pas tandis que d'autres enseignes reculent. » Avec la CFDT et la CGT, FO organise ce mois-ci une journée d'information sur la discrimination antisyndicale dans des entreprises de services. Et, pour une fois, McDo ne sera pas visé !

Les limites d'un comité de groupe

McDo se lance dans le dialogue social à l'échelle de la chaîne. L'entreprise s'est dotée d'un comité de groupe qui se réunit deux fois par an. La dernière réunion a eu lieu au mois de décembre.

« Cette instance englobe les filiales McDo à 100 % et celles à 90 %, ce qui représente 5 000 salariés environ », précise Jean Gomez, directeur des ressources humaines national. Parmi les filiales à 100 %, appelées les Maccoco par le personnel, figurent les 40 établissements de McDonald's France Restaurants (1 800 salariés en région parisienne), les 13 établissements de McDonald's Lyon Restaurants (600 salariés) et McDonald's France Services (360 salariés), ainsi que des restaurants isolés ou regroupés en unité économique et sociale (UES) à Grenoble, Nice, Bordeaux, Antibes, dans l'est, l'ouest et le centre de la France.

En revanche, le comité de groupe ne couvre pas les quelque 25 000 salariés qui travaillent dans près de 600 autres établissements sous franchise, y compris les plus gros, déjà dotés d'un comité d'entreprise d'établissement. « La carte économique ne correspond pas à la carte sociale », conteste un inspecteur du travail, en soulignant que le cahier des charges de McDo s'impose à tous les restaurants, en gestion directe comme en franchise.

Jean Gomez estime constructif le dialogue au sein du comité de groupe sur la stratégie, les résultats et les perspectives. Les représentants du personnel ont pu bénéficier d'une formation économique. Ils envisagent aujourd'hui de mandater un expert pour l'analyse des comptes du groupe.

Auteur

  • Frédéric Rey, Martine Rossard