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Débat

Comment faut-il rénover le paritarisme ?

Débat | publié le : 01.01.2000 |

Pour contrecarrer un interventionnisme jugé grandissant des pouvoirs publics sur les questions sociales, le Medef a récemment proposé à ses partenaires syndicaux de redéfinir en commun leurs responsabilités dans les domaines des relations du travail et de la protection sociale, ainsi que leurs rapports avec l'État. Qu'en pensent les interlocuteurs du patronat ? Les réponses des trois principales organisations syndicales.

« La crise actuelle peut déboucher sur un équilibre plus efficace entre la loi et le contrat. »

JEAN-MARIE TOULISSE

Secrétaire national de la CFDT.

Notre pays a toujours rencontré des difficultés pour trouver les voies d'un vrai dialogue social. L'histoire sociale retient surtout les grandes dates d'affrontement.

Il serait tout aussi intéressant de se souvenir également des dates des grandes constructions paritaires : les retraites complémentaires, l'Unedic, la formation professionnelle, pour citer celles qui nous paraissent être les plus décisives.

Le système social que nous avons construit a permis d'amortir les conséquences des crises économiques. Malgré toutes les critiques à son encontre, notre système de chômage a résisté au basculement de 25 000 chômeurs indemnisés en 1958 à plus de 2 millions. Les retraites complémentaires ont permis aux salariés du privé de passer d'une pension de survie à une vraie retraite. Les entreprises peuvent se développer dans un environnement social favorable. Les différents acteurs sociaux qui s'engagent dans la gestion paritaire ne sont donc pas de simples gestionnaires. Ils « construisent » de la cohésion sociale.

Il faut clarifier les différents domaines du paritarisme. Il y a ce que l'on peut appeler le paritarisme « pur ». C'est celui des régimes complémentaires de retraite, de prévoyance ou de l'Unedic. Les partenaires sociaux sont responsables des décisions qu'ils prennent lors des négociations et de l'équilibre de ces régimes. En revanche, la gestion des différentes branches de la Sécurité sociale relève, selon nous, d'un domaine partagé entre les partenaires sociaux et l'État. Notre conception est claire. L'État, au-delà de ses missions régaliennes, la police, la justice et l'enseignement en particulier, a la mission de définir les priorités d'action dans de nombreux domaines. Une fois fixées les orientations, il doit apprendre à déléguer, à faire avec la société civile et non pas à sa place. La nécessité d'une coopération entre tous les acteurs est indispensable pour qu'une politique réussisse. Cela permet une meilleure prise en compte des besoins de la population dont les acteurs sociaux constituent l'expression. Mais un domaine partagé avec l'État crée forcément des zones d'incertitude quant aux bons niveaux de décision. L'enjeu actuel est de parvenir à une clarification des missions des uns et des autres. Il est temps de constater qu'une opposition stérile entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux a toujours conduit à l'immobilisme. Reconnaissons que nous sommes tous garants, à des titres divers, de l'intérêt général.

Un départ des administrateurs patronaux sonnerait le glas du paritarisme, dont la légitimité est fondée sur la présence des deux acteurs patronaux et syndicaux. Il induirait que le patronat a choisi d'abandonner le rôle d'acteur social pour se cantonner seulement à une fonction d'influence, de pression sur les gouvernements, et limiter la négociation au seul niveau des entreprises. Nous pensons que l'histoire démocratique de notre pays mérite mieux qu'une issue en forme d'échec. Au contraire, la crise actuelle peut déboucher sur une nouvelle articulation entre démocratie politique et démocratie sociale et préfigurer ce que pourrait être un équilibre plus efficace entre la loi et le contrat. C'est le pari que nous souhaitons engager

« Il faut réinventer les droits et responsabilités dans l'entreprise et les structures sociales. »

JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU

Responsable du secteur économique de la CGT.

Incontestablement, le « paritarisme » a du plomb dans l'aile. La CGT avait depuis longtemps souligné les limites de ce mode de gestion qui, réinstauré en 1967 dans la Sécurité sociale, avait entériné la mise à l'écart de la gestion des différents organismes de la principale organisation syndicale française. En fait, c'est ce mode de gestion du social voulu par le patronat qui est maintenant à bout de course. En menaçant de quitter les principales institutions, le Medef ne fait aujourd'hui que tirer les leçons de cet échec.

De cette crise du paritarisme, peut-il sortir un mieux ? Encore faudrait-il cerner les causes des difficultés actuelles. C'est la condition pour déterminer de nouvelles réponses. À ce propos, trois remarques méritent d'être formulées. Tout d'abord la « relation paritaire » ne peut fonctionner que si elle se construit dans un certain équilibre des partenaires. La division syndicale a toujours permis au patronat de régner en maître. Son rejet de l'intervention de la puissance publique procède-t-il aujourd'hui de la même volonté hégémonique ? Pour qu'il y ait négociation, il faut qu'il y ait acceptation de l'autre, à égalité de situation. C'est le rôle des pouvoirs publics et de la justice de garantir cet équilibre lorsqu'il est mis en cause, ce qui est le cas aujourd'hui du fait du chômage de masse.

Il faut ensuite qu'il y ait quelque chose à partager, ce qui signifie que le patronat accepte le débat sur l'évolution de la répartition des richesses produites. Peut-on négocier sur les retraites alors que le postulat du Medef est « qu'il ne mettra pas un franc de plus dans le pot commun » ?

Peut-on, de même, négocier la convention Unedic sur la base du principe selon lequel les chômeurs de longue durée ne relèvent aucunement de la responsabilité de l'entreprise ? En un mot, face à l'évolution démographique et aux difficultés de l'emploi, le patronat ne peut pas répudier sa dette envers les travailleurs qu'il a employés.

Enfin, il faut admettre que les salariés ont leur mot à dire. Le débat semble engagé pour savoir ce qui relève de l'État et ce qui relève de la négociation sociale. C'est sans doute un problème, mais la vraie question n'est-elle pas, plus fondamentalement, celle de la démocratie à la fois dans l'État et dans les négociations ?

Il est impossible désormais de tenir les salariés en marge des choix qui les concernent. Il est impossible de justifier qu'ils ne soient pas partie prenante de la définition du nouveau statut du travail ! Il faut donc inventer un nouveau système développant les droits et les responsabilités de chacun dans l'entreprise et à tous les niveaux des structures sociales.

L'avenir de la négociation se joue donc bien au-delà de la seule définition des prérogatives des uns ou des autres. Il dépend de la capacité à débattre d'un projet collectif de développement économique et social. Cela suppose qu'aucune fraction de la société ne se sente laissée pour compte.

« Il faut clarifier les comptes et responsabilités entre l'État et les partenaires sociaux. »

JEAN-CLAUDE MALLET

Secrétaire confédéral de Force ouvrière.

Si le Medef met à exécution sa menace de quitter les conseils d'administration des organismes de Sécurité sociale, il va provoquer une situation de crise. Même si, en théorie, les conseils d'administration pourront toujours valablement délibérer, cette décision contribuerait à la fragilisation des fondements de la Sécurité sociale déjà sérieusement ébranlés par le plan Juppé. En particulier, ces dernières années, deux dérives majeures sont à relever.

Premièrement, la construction du système de Sécurité sociale français, à l'origine, voulait que son financement repose sur la logique du « salaire différé ». C'est sur cette base que se justifiait la gestion paritaire. Or la part des cotisations sociales dans le financement de la Sécurité sociale a été progressivement transformée en impôt. Notamment, depuis 1999, la CSG s'est presque complètement substituée aux cotisations salariales maladie. C'est cette situation, pourtant acceptée par le Medef, qui permet aujourd'hui à l'État d'utiliser comme il le souhaite le budget de la Sécurité sociale, étant donné qu'il est seul responsable de l'affectation du produit de l'impôt.

Deuxièmement, la fixation par le Parlement du budget de la Sécurité sociale est contraire à l'exercice d'une gestion autonome par les partenaires sociaux. Cette réforme a relégué les interlocuteurs sociaux dans une logique de gestion subsidiaire. À l'époque, contre toute logique, le patronat avait soutenu ce principe, qu'il conteste aujourd'hui. La menace du Medef de quitter les organismes de Sécurité sociale apparaît donc en contradiction avec les positions qu'il défendait encore récemment.

Le problème de fond qui se pose en matière de Sécurité sociale n'est pas le départ éventuel du Medef qu'il faudrait interpréter comme une conséquence de l'étatisation et/ou une volonté de provoquer la privatisation de la couverture sociale. La question essentielle est celle de la place, du rôle et des conditions du paritarisme comme mode de gestion de la Sécurité sociale, question à relier aux objets mêmes de la Sécurité sociale, à savoir la solidarité et l'égalité. C'est en ce sens qu'une rénovation du paritarisme est indispensable.

La gestion par les partenaires sociaux est liée à l'implication historique de ces derniers dans la création de la Sécurité sociale. Elle repose essentiellement sur le financement par les cotisations sociales : les partenaires sociaux sont seuls responsables de la gestion du salaire différé. Par ailleurs, ce mode de gestion original est la garantie de l'autonomie de la Sécurité sociale par rapport au pouvoir politique ainsi que la garantie de sa pérennité. En revanche, le paritarisme ne peut pas s'exercer dans le cadre d'une délégation de l'État, comme c'est le cas depuis le plan Juppé. Les partenaires sociaux doivent disposer d'une responsabilité pleine et entière dans un cadre clairement défini. Cela fait longtemps que Force ouvrière explique qu'une remise à plat des ordonnances Juppé est nécessaire.

En particulier, pour préserver le paritarisme, il est impératif de clarifier les comptes et responsabilités entre l'État et les partenaires sociaux. À défaut, la Sécurité sociale sera définitivement étatisée, puis contraintes économiques obligent, transformée en régime a minima. L'aboutissement de ce processus sera sa privatisation.