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Vie des entreprises

Prise d’acte par le salarié (acte III)

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.02.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Plus question pour le salarié de s’auto-licencier à sa guise. Soit la faute de l’employeur est suffisamment grave, et la prise d’acte a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Soit ce n’est pas le cas, et le salarié est considéré comme démissionnaire. Mais, dans cette partie de poker menteur, le salarié garde quelques cartes à jouer.

Il ne s’agit évidemment pas d’évoquer la grosse bourde que constitue la prise d’acte patronale de la rupture (ex. : à la suite d’une très longue absence), automatiquement requalifiée en licenciement par les juges qui, cherchant en vain une lettre dûment motivée, ajoutent aux indemnités de rupture celle due en cas de défaut de cause réelle et sérieuse. Comme le remarque Antoine Mazeaud (Droit du travail, 5e édition, Montchrestien 2006), il s’agit alors d’un licenciement sanction… mais pour l’employeur.

Côté salarié, la prise d’acte a connu en 2005-2006 une grande vogue devant la Cour de cassation : justice immanente sanctionnant sa jurisprudence d’avant juin 2003, ayant laissé croire aux salariés qu’ils pouvaient ainsi s’autolicencier quand bon leur semblait avec, à la clé, une douzaine de mois de salaire en indemnités diverses. Malgré le légitime revirement opéré par les arrêts du 25 juin 2003 toujours confirmés depuis (Cass. soc., 21 décembre 2006 : « Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission »), l’effet d’aubaine et les tensions hiérarchiques sont telles que nombreux sont les pourvois et fréquents les revirements.

DÉMISSION OU PRISE D’ACTE ?

La messe est dite s’agissant des CDD, avec lesquels il ne peut être question de démissionner : ainsi dans l’affaire du 29 novembre 2006 où le salarié en CDD avait donné sa démission et où l’employeur bien mal conseillé avait accusé réception. Contentieux immédiat en rupture fautive : s’agissant d’un contrat de qualification, l’enjeu était les vingt mois de salaire restants à courir… Pour la cour de Montpellier, le salarié se plaignant d’« un certain nombre de faits imputables à l’employeur qui, selon lui, l’avaient poussé à la démission », il n’existait pas de volonté sérieuse et sans équivoque de démissionner… Légitime cassation : « Sauf accord des parties, le CDD ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave de l’une ou l’autre des parties, ou de force majeure. » En l’absence de faute grave commise par l’employeur, le salarié a donc joué à l’arroseur arrosé. Dont acte.

S’agissant de CDI, une lettre parfaitement explicite titrée « Démission » peut-elle être ultérieurement requalifiée en prise d’acte ? « La démission d’un salarié en raison de faits qu’il reproche à son employeur s’analyse en une prise d’acte qui produit les effets soit d’un licenciement si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission », précise la chambre sociale le 13 décembre 2006. Verre à moitié plein côté entreprise : malgré la volonté pour le moins équivoque de véritablement démissionner de la part du collaborateur, il ne s’agit pas automatiquement d’un licenciement, inévitablement sans cause réelle et sérieuse. Verre à moitié vide : d’une part, tout démissionnaire a désormais intérêt à invoquer d’éventuelles, voire d’hypothétiques fautes patronales, au cas où. D’autre part, la même chambre rappelle régulièrement que, contrairement à la lettre de licenciement, celle de prise d’acte ne fixe pas les limites du litige : « L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par ce salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit. » (Cass. soc., 5 juillet 2006.) Or comme ces arrêts ont de facto un effet rétroactif et qu’il faut ajouter à l’enjeu des indemnités de rupture celui de l’indemnisation Assedic…

FAUTE PATRONALE PERMETTANT LA PRISE D’ACTE PAR LE SALARIÉ

Si tout le monde est d’accord pour estimer qu’une faute vénielle ne permet pas au salarié de prendre acte (« la prise d’acte produit les effets d’un licenciement si les faits invoqués la justifiaient »), quel degré de gravité exiger ? Oublions l’arrêt du 13 décembre 2006 se contentant de noter que « les griefs invoqués par la salariée étaient établis » dans une affaire passablement compliquée de calcul d’heures supplémentaires. Il ne semble pas que la chambre sociale ait ainsi voulu revenir sur sa jurisprudence constante depuis 2003 selon laquelle les griefs devaient être, certes, réels, mais aussi suffisamment sérieux pour justifier cet acte grave que constitue la rupture d’un contrat de travail.

« Grave » ? Sans aller jusqu’au « manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations » l’obligeant à indemniser les grévistes de leur perte de salaire (Cass. soc., 7 juin 2006), la faute grave « résultant d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » est commune au CDI et au CDD. Rendant impossible la poursuite des relations contractuelles, la faute grave autorise la rupture immédiate du CDD par l’un ou l’autre des contractants et, pour le CDI, interdit l’exécution, même pour quelques jours, du préavis. Dans les deux cas la situation est intenable, qu’il s’agisse d’obligations légales (santé et sécurité : Cass. soc., 29 juin 2005) ou contractuelles. N’est-ce pas ce seuil que devrait retenir la Cour de cassation, lui permettant d’exercer son contrôle ? S’agissant de l’exemple banal d’une prise d’acte liée à la modification du contrat de travail, l’arrêt du 20 décembre 2006 constitue un véritable mode d’emploi. Le chef comptable d’une clinique prend acte en invoquant une modification de ses fonctions : hypothèse toujours délicate en termes de frontières avec le simple changement des conditions de travail devant être accepté. Raisonnement en deux temps de la Cour :

1° « Les suppressions d’attributions imposées au salarié l’avaient réduit à des fonctions ne correspondant pas à sa qualification, ce qui constituait une modification du contrat de travail. »

2° « Ce grief justifiait la rupture » : effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

ACTIONS EN JUSTICE SUIVIE D’UNE PRISE D’ACTE

Action en exécution : le salarié qui saisit la justice d’une demande visant l’exécution de son contrat de travail (ex. : non-paiement d’heures supplémentaires) peut-il ensuite prendre acte de la rupture en raison des mêmes faits ? Non, avait répondu la Cour de cassation le 8 juillet 2003. Oui, bien sûr, indique-t-elle le 21 décembre 2006. Un chef de produit n’ayant pas reçu l’intégralité d’une prime saisit la justice le 20 octobre, puis prend acte le 14 novembre : « Un salarié qui agit en justice contre son employeur en exécution d’une obligation née du contrat de travail peut toujours prendre acte de la rupture, que ce soit en raison des faits dont il a saisi le conseil de prud’hommes ou pour d’autres faits. » En l’espèce, effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Action en résolution et prise d’acte ultérieure : revirement – hélas prévisible – avec les trois arrêts du 31 octobre 2006 infirmant celui du 3 mai 2006. « La prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant. S’il appartient alors au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande en résiliation judiciaire, devenue sans objet, qu’à l’appui de la prise d’acte. » Comme le note le communiqué officiel de la Cour : « La prise d’acte de la rupture par le salarié rompant immédiatement le contrat, cette initiative rend sans objet sa demande initiale en résiliation, de sorte que le juge doit seulement se prononcer sur le bien-fondé de cette prise d’acte. Mais – et ce point est important – en prenant en considération aussi bien les faits invoqués à l’appui de la demande initiale en résiliation que ceux qui seraient invoqués au soutien de la prise d’acte. Dans l’hypothèse où la prise d’acte aurait été suivie d’un licenciement, le juge n’aura à se prononcer sur ce dernier que s’il estime que les faits dénoncés par le salarié n’étaient pas fondés. » La rupture rompant le contrat, on imagine mal une autre solution.

RUPTURE SUR RUPTURE NE VAUT

« Le contrat étant rompu par la prise d’acte du salarié, l’initiative prise ensuite par l’employeur de le licencier pour faute grave est non avenue. La cour d’appel, appréciant souverainement la réalité et la gravité des manquements que le salarié imputait à l’employeur, a estimé qu’ils n’étaient pas fondés ; il en résulte que la rupture par le salarié a produit les effets d’une démission. » L’arrêt du 8 juin 2005 avait d’abord interdit à l’employeur de tenter un rattrapage in extremis : la prise d’acte ayant consommé la rupture, le licenciement ultérieur est « non avenu ».

Encore faut-il que le contrat soit déjà rompu. Convoqué à un entretien préalable au licenciement, le salarié prend acte le jour même ; bien qu’un peu surpris de cette réaction aussi rapide que tactique, l’employeur poursuit néanmoins la procédure déjà engagée et licencie ce collaborateur pourtant si réactif. Comme il n’existe pas encore de rupture au carré, il fallait choisir et c’est la chronologie qui prime : « Saisi par un salarié d’une demande tendant à l’attribution de dommages-intérêts en raison de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, le juge doit déterminer si les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier étaient fondés ou non, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement. » (Cass. soc., 28 juin 2006.)

S’agissant d’une procédure de licenciement pour faute grave, donc privative des indemnités de rupture, cette partie de poker menteur donne donc au salarié une longueur d’avance. Mais il met alors sur le tapis ses allocations chômage.

FLASH
Et les RP ?

Un représentant du personnel prend acte de la rupture, invoquant de graves griefs relatifs à l’exécution de son contrat de travail ou à l’exercice de son mandat (ex. : non-paiement d’heures de délégation). Cette prise d’acte produit certes les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais, s’agissant d’un délégué, ce « licenciement » sans autorisation administrative peut-il être nul ? « Lorsqu’un salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d’une démission. » (Cass. soc., 5 juillet 2006.) Avec le récent passage du mandat de deux à quatre ans, la note patronale d’une prise d’acte justifiée de la part d’un représentant du personnel élu en début de mandat tournera donc autour de 48 mois + 6 mois minimum au titre du statut ; préavis + indemnités de licenciement + 6 mois de dommages-intérêts au titre du contrat : l’équivalent de 70 mois de salaire. À supposer que le délégué ne demande pas sa réintégration : mais la chambre sociale ne semble pas vouloir dépasser les bornes à ce point. Reste à espérer que la chambre criminelle saisie au titre du délit d’entrave s’aperçoive qu’il était matériellement et juridiquement impossible à l’employeur de demander une autorisation administrative.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray