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Vie des entreprises

Gestion à la papa contre management à l’américaine

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.02.2007 | Yves Aoulou

Face à la PME familiale Holder, qui fait doucement évoluer ses méthodes et son dialogue social, le groupe Le Duff offre une image de « gestionnaire ». Mais les salariés ne s’y retrouvent guère.

A ma droite, Francis Holder, 66 ans, P-DG du groupe éponyme qui comprend les enseignes Paul, Ladurée et Saint Preux. À ma gauche, Louis Le Duff, 60 ans, fondateur et propriétaire des marques Brioche dorée, Pizza Del Arte et Le Fournil de Pierre. Ces duettistes de la restauration rapide à la française se marquent à la culotte : tous deux connaissent un fort développement en France et à l’étranger, ouvrent à la pelle succursales et franchises. Non cotés en Bourse, ces deux rivaux sont aussi en commun une farouche volonté d’indépendance et un ancrage régional : dans le Nord pour l’un, en Bretagne pour l’autre. Mais là s’arrêtent les similitudes, car leurs positionnements et leurs cultures diffèrent.

Tous en blouse blanche.

Ancien prof de gestion reconverti dans les affaires, qui a construit, en trente ans, un empire de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires employant 8 000 personnes, Louis Le Duff emprunte beaucoup aux recettes américaines. Ses modèles ? Starbucks et Coca-Cola. Fils de boulanger devenu chef d’entreprise à 18 ans, Francis Holder, de son côté, porte haut la bannière de l’artisanat. Même si l’on ne pétrit plus la pâte dans les arrière-boutiques des boulangeries Paul et Saint Preux, desservies par les trois usines du groupe.

L’attachement à la tradition se retrouve jusque dans la politique de ressources humaines. Malgré ses 6 500 salariés, Holder a conservé une culture de PME. Ici, on manage à l’ancienne, on cultive la fidélité et on grimpe au mérite. À l’instar de la directrice financière, Régine Vercoutter, embauchée comme assistante administrative. Les top managers recrutés à l’extérieur, comme Arnaud Verquin, transfuge d’Auchan, et Jacques Renault, ancien patron des boulangeries McDonald’s, patron actuel des usines du groupe, se comptent sur les doigts d’une main.

Stratégie différente chez Le Duff. « Extérieur » à la profession, le patron a toujours misé sur des recrutements de qualité, préférant embaucher de grosses pointures à l’extérieur. Même s’il faut les payer cher, comme c’est le cas lorsqu’il va chasser dans les multinationales. Car Louis Le Duff n’hésite pas à piquer des techniciens de haut vol à McDo, Quick, dont il a réussi à débaucher le P-DG France, ou Lenôtre, chez qui a été déniché l’un de ses créateurs de produits nouveaux. Avec des rémunérations à l’avenant : 30 000 euros brut annuels pour un juriste débutant, jusqu’à 45 000 euros pour un commercial export sans expérience.

Des avantages de world company.

Holder n’est pas en reste, avec des salaires plus confortables que la moyenne. Exemple : 28 000 euros brut annuels pour un contrôleur de gestion et jusqu’à 35 000 euros pour un directeur de site (bac + 2). Mais Le Duff propose aussi des avantages dignes d’une world company : intéressement, bonus pour ceux qui dépassent leurs objectifs, plan d’épargne d’entreprise généreusement abondé, challenges ponctuels et prévoyance collective plutôt avantageuse.

Les cadres le lui rendent bien. Cinq membres du comité exécutif ont plus de quinze ans d’ancienneté. Quelques fortes têtes, supportant mal l’omnipotence du maître des lieux, ont préféré aller poursuivre leur carrière ailleurs. Mais certains sont revenus, comme Philippe Roux, qui a occupé un temps le poste de directeur général d’Holder avant de rentrer au bercail. « L’excellence des résultats vient de la motivation et de l’effort collectifs d’une équipe soudée », s’enflamme Louis Le Duff.

Voilà qui tranche avec le management à la Holder. « Travailler dans ce groupe, c’est comme entrer dans une famille. Il y a une gestion de proximité qui a ses avantages et ses inconvénients », témoigne un cadre. L’entreprise a grandi sous la coupe de son P-DG, sans syndicats ni DRH. Pendant quarante ans, Francis Holder a tout supervisé : finances, marketing, recrutement, gestion des carrières. Jusque dans les moindres détails. Ce maniaque de la propreté impose à tout collaborateur le port d’une blouse blanche, aussi bien dans les points de vente qu’au siège de La Madeleine (Nord), où les cadres doivent enfiler cet « uniforme » pardessus leur costard-cravate. L’été dernier, en pleine canicule, il a fallu une menace de grève pour que l’inflexible patron accepte de dispenser ses ouailles, pour vingt-quatre heures !

Chez Holder, on ne badine pas avec le professionnalisme. Maxime, l’un des fils Holder, diplômé de Sciences po, a été au fourneau, comme arpète pendant six mois chez Ladurée. Son frère David a aussi fait ses preruves au Fournil de Pierre, chez Lenôtre et chez Fauchon avant de prendre du galon. Ces exigences ne sont pas appréciées de tous. En particulier des jeunes venus d’enseignes plus « tolérantes ». Certains, y compris des cadres, ne font qu’un petit tour dans l’auguste maison nordiste, pour se faire une carte de visite, et puis s’en vont. Résultat : un turnover de plus de 40 %. Excessif, même dans un secteur où le mal est endémique. À tel point que le groupe envisage « un plan de délocalisation de ses productions pour faire face à son développement croissant et répondre efficacement à la pénurie de main-d’œuvre ».

Autre différence entre les deux concurrents : l’un, Holder, prépare la relève en famille, l’autre mise sur la diversité de son top management. En 2002, Francis Holder a placé son fils Maxime à la barre du navire amiral, Paul. En 2005, la cadette Élisabeth, qui s’est fait les dents chez Celio et Hermès, s’est installée aux commandes de Saint Preux, l’autre enseigne de boulangerie du groupe. Tandis que David s’est vu confier la chaîne de pâtisserie de luxe Ladurée, rachetée en 1992.

Des DRH ont jeté l’éponge.

La nouvelle génération conserve le cap, mais change de méthodes. Désormais, le groupe communique, multiplie les partenariats, comme celui récemment signé avec l’ANPE pour recruter des vendeurs, et se lance dans le mécénat humanitaire. Une direction des ressources humaines digne de ce nom s’est structurée. Non sans mal : les trois premiers DRH embauchés ont jeté l’éponge. L’un d’eux n’a même pas fini sa période d’essai. Le lifting du management se poursuit néanmoins. Le groupe, qui a investi 40 millions d’euros dans un nouveau siège à Marcq-en-Barœul, près de Lille, a ouvert en 2006 un institut de formation et s’apprête à dépoussiérer la classification des emplois. Les organisations syndicales apparues en 1998 ont désormais l’oreille de la direction. « Le dialogue fonctionne, confirme un représentant syndical, mais la DRH a encore du chemin à faire. Par exemple, elle ne parvient toujours pas à imposer ses vues à la direction de l’exploitation en matière de formation. » Chaque année, révèle un élu du personnel, le bilan social se fait au forceps. Peu rompue à cet exercice, la direction peine à collecter les données.

Chez Le Duff, les pratiques RH sont plus sophistiquées. Le groupe rennais mise sur la formation pour renforcer la fidélité de ses collaborateurs. Il vient de lancer une licence professionnelle de concert avec d’autres industriels bretons de l’agroalimentaire. Autre point fort, Le Duff s’efforce d’insuffler un esprit d’entrepreneuriat interne. La DRH fait ainsi le lien entre gestion des carrières et développement du réseau de franchises.

Depuis cinq ans, l’ex-prof de gestion, auteur d’un ouvrage récent sur l’art d’entreprendre en franchise paru chez Albin Michel et dont la thèse de doctorat portait sur « les leviers de la franchise », propose aux hauts potentiels de s’installer à leur propre compte. Quitte à leur faire la courte échelle par le biais de prêts ou d’une formule de location-gérance. « Ainsi, explique Philippe Roux, ils n’ont pas d’investissement lourd à faire au départ, hormis le loyer. Tout le monde y gagne : le salarié, qui connaît bien l’entreprise, ses produits, et le groupe, qui peut compter sur un partenaire de qualité longuement testé comme salarié. »

Salariés méritants et entreprenants.

Une pratique empruntée à la grande distribution (Carrefour, Casino, Leclerc) et à des restaurateurs comme Buffalo Grill. Et ça marche. Plus d’une soixantaine de salariés méritants et entreprenants ont déjà profité de ce système introduit en 2002 pour se lancer sous les enseignes Brioche dorée et Pizza Del Arte. Chaque année, cinq ou six nouveaux élus vont grossir leurs rangs.

Parmi ces heureux bénéficiaires, Norbert Millin, ex-responsable d’un point de vente Brioche dorée, devenu son propre patron sous la même enseigne à Rennes. Ou encore Laurent Sauvage, transfuge de McDo, embauché en 1997 comme directeur salarié d’un restaurant Pizza Del Arte. Ce jeune talent aujourd’hui âgé de 37 ans a repris à son compte, l’un après l’autre, deux établissements dans l’Essonne. « Tout ce que j’ai eu à faire, dit-il, a été de créer une SARL de moins de 10 000 euros et de verser deux mois de loyer pour toute caution. » Une paille, car une franchise Del Arte nécessite d’ordinaire un apport de 700 000 à 900 000 euros. Il n’exclut pas de se lancer dans un troisième projet.

Devant le succès rencontré par la formule, la concurrence ne reste pas indifférente. Depuis peu, le Groupe Holder la reprend en créant avec des salariés triés sur le volet des joint-ventures au sein desquels le groupe sera majoritaire, à 60 %. « Cela permet de développer plus rapidement le réseau tout en gardant le contrôle de l’entreprise, Depuis le début de cette année, cinq candidats issus de l’interne ont repris des magasins Paul en région parisienne », confie la direction de Holder.

Le Duff serait-il le grand gagnant de ce comparatif ? Pas si sûr. Car s’il est aux petits soins pour les cadres, les hauts potentiels et le personnel des usines, le Groupe Le Duff reste cependant parcimonieux envers les salariés du réseau. Il y a comme deux poids, deux mesures. D’un côté, les « privilégiés » des fonctions supports qui bénéficient de rémunérations confortables ; de l’autre, les employés des restaurants, soumis au régime sec. Seule possibilité pour ces derniers d’améliorer sensiblement leur condition : bénéficier d’une promotion en devenant responsables ou responsables adjoints de restaurant. Pas facile, car, pour ce poste, le groupe place la barre très haut. En ce qui concerne les recrutements extérieurs, il exige un niveau bac + 2 ou + 3 et cinq à dix ans d’expérience en restauration ou grande distribution pour gérer un simple point de vente Brioche dorée !

Il y a quelques semaines, les gagne-petit de cinq succursales Pizza Del Arte d’Ile-de-France, excédés par le gel des salaires pour 2007 alors que le groupe affiche une insolente rentabilité de 17,5 %, se sont bruyamment manifestés par des débrayages. « La carte de nos restaurants a augmenté de 4 % cette année, preuve que le coût de la vie augmente. Pour nous, ce sera 0 %, alors que 90 % d’entre nous ne gagnent que le smic », se plaint l’intersyndicale. Cette bronca a laissé Louis Le Duff de marbre : le professeur connaît trop bien ses fondamentaux pour s’écarter des canons de la rentabilité maximale. Il se contente de mettre en avant l’environnement de travail dans ses entreprises : stress minimal et… 35 heures ! Un peu court…

Groupe Holder

Chiffre d’affaires : 230 millions d’euros

Effectif : 6 500 salariés

Principale enseigne : Paul (71 % des effectifs)

Groupe Le Duff

Chiffre d’affaires : 600 millions d’euros

Effectif : 8 000 salariés

Principale enseigne : Brioche dorée (37,5 % des effectifs)

Prix bas, RH low cost

Avec 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le secteur de la restauration rapide vaut son pesant de cacahouètes. De quoi attirer beaucoup de candidats. Entre les boulangers et traiteurs de quartiers, la grande distribution, les sandwicheries à la française, les pizzerias et les débits de hamburgers (les McDo, Quick et autres KFC), c’est la guerre pour capter les consommateurs désireux de se restaurer vite, bien et à moindre coût.

Mais, du côté des RH, c’est aussi le régime maigre et la tendance low cost : salaires proches du smic pour la plus grande partie du personnel, conditions de travail difficiles dictées par des consommateurs toujours aussi pressés et plus exigeants que jamais. Tout cela débouche sur un turnover galopant et des mouvements sociaux à répétition. Pas étonnant que le secteur manque cruellement de main-d’œuvre et peine à recruter des jeunes autres que les étudiants en quête de petits boulots plus ou moins temporaires. Du coup, les leaders comme Holder et Le Duff cherchent plutôt des relais de croissance à l’international et dans la diversification (restauration sur place, salons de thé, pâtisserie de luxe). Où les marges sont meilleures.

Auteur

  • Yves Aoulou