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Politique sociale

Comment les avocats “travaillistes” résistent à l’offensive des anglo-saxons

Politique sociale | publié le : 01.02.2007 | Nathalie Grenet

Les puissants cabinets d’affaires américains et anglais prennent pied sur le marché hexagonal du droit social. Boostées par cette offensive, les structures françaises contre-attaquent. Quitte à s’inspirer, parfois, de leurs méthodes.

Cabinets d’avocat, prenez grand soin de vos collaborateurs : les anglo-saxons recrutent. Des mastodontes américains comme Jones Day et Paul Hastings, déjà présents en France sur le juteux marché du droit des affaires, investissent désormais le terrain du social. Des américains bien décidés à compter aux côtés des anglais, présents dans la place depuis l’année 2000. Ces cabinets pro-employeurs, à l’instar de Simmons & Simmons ou de Freshfields Bruckhaus Deringer, avaient alors misé sur le droit du travail, de plus en plus incontournable dans les fusions-acquisitions. D’une complexité accrue aussi, après l’adoption des lois Aubry sur la réduction du temps de travail ou de la loi de modernisation sociale, pour ne citer qu’elles. Afin de se construire une crédibilité sur le créneau à haute technicité du social, une méthode, implacable : le débauchage – à prix d’or – de pointures du droit du travail. Toujours en 2000, le cabinet Flichy voyait Pascale Lagesse s’envoler pour Freshfields, tandis que Yasmine Tarasewicz et une partie de son équipe quittaient Sales Vincent pour rejoindre Proskauer Rose. Deux champions de la rentabilité capables d’offrir des rémunérations et des moyens matériels inégalés par les structures françaises, plus artisanales. Et les « stars » ne sont pas seules à bénéficier de ponts d’or. Les salaires des avocats débutant dans les cabinets anglo-saxons sont attractifs. Selon le magazine Décideurs, il faut compter au minimum 57 900 euros annuels contre 37 800 pour un jeune avocat embauché dans un cabinet français. « Un écart qui a tendance à se résorber au bout de cinq ans en moyenne », estime Nicolas de Sevin, avocat associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre.

L’heure des cabinets français n’a pas sonné pour autant

Le droit du travail restant moins rémunérateur que le droit des affaires, peu d’anglo-saxons consacrent suffisamment de moyens humains au département social pour qu’il se développe de façon autonome. Si bien que le social reste un simple support au corporate, les avocats en droit social ne disposant pas de leur clientèle propre. Au-dessus du lot en termes d’effectifs, le cabinet Landwell & Associés compte 60 spécialistes du droit du travail, Freshfields en recense 21 après l’intégration du cabinet Bélier en 2004. Toujours bien peu face aux 300 avocats travaillistes de Fidal, dont le directeur du département social, Sylvain Niel, souligne que « les gros cabinets de droit du travail restent des cabinets français ». Et pour cause, ces derniers ont su s’adapter pour rester dans la course, quitte à emprunter à leurs nouveaux concurrents certaines de leurs méthodes. « Les anglo-saxons nous ont apporté une technique de facturation des temps plus transparente, reconnaît Sylvain Niel. Nous faisons avant l’opération une proposition écrite très détaillée au client, auquel nous transmettons ensuite les temps passés par les collaborateurs au fur et à mesure du développement de la mission. » Une vraie révolution en France où l’opacité sur les honoraires régnait jusqu’alors en maître.

Mais, pendant que perçaient les anglo-saxons, les cabinets français ont surtout pris conscience de l’évolution du marché. Désormais, impossible de continuer à jouer dans la cour des grands, ceux qui traitent avec les sociétés du CAC 40, sans se tourner vers l’international. Car les entreprises, mondialisation oblige, rencontrent de plus en plus de problématiques transfrontalières. D’où l’intégration en 2001 par le Bureau Francis Lefebvre du réseau CMS Alliance, qui regroupe plus de 200 avocats travaillistes à travers le monde. « Même si les différents cabinets restent autonomes, c’est plus qu’un réseau de renvoi d’affaires. Si, par exemple, une grande entreprise française souhaite créer une activité en Allemagne, nous travaillons directement avec les avocats allemands de l’alliance », explique Nicolas de Sevin.

Le cabinet Barthélémy a quant à lui créé, également en 2001, son propre réseau d’alliances : Ius Laboris. Non sans heurt, d’ailleurs, certains bureaux provinciaux percevant cet investissement plus comme une dérive anglo-saxonne que comme une adaptation nécessaire au marché. Des frictions qui ont en partie conduit à la scission, fin décembre, du cabinet entre les « Parisiens », emmenés par l’avocat Pascal Lagoutte – qui ont donné naissance au cabinet Capstan –, et les régionaux, soutenus par Michel Morand et Jacques Barthélémy. Ius Laboris, désormais sous pavillon Capstan, demeure un réseau d’alliances et non de bureaux intégrés.

Pour Pascale Lagesse, « ce type de partenariat ne permet pas de maîtriser la qualité du travail fourni au client, alors que nous garantissons l’égalité de prestation quel que soit le pays où est traité le dossier ». La présence dans les capitales européennes et dans d’autres pays du monde, tel est bien l’atout des anglo-saxons auprès des groupes transnationaux, quelle que soit leur nationalité. Un cabinet international sera mieux à même de mobiliser une équipe à cheval sur plusieurs pays pour le compte d’une entreprise française s’apprêtant à monter un plan de retraite dans ses différentes usines réparties à travers le monde. Ou pour le compte d’une société américaine souhaitant établir des chartes éthiques dans ses filiales européennes afin de satisfaire à la loi Sarbanes-Oxley. « Une grosse entreprise américaine avec plusieurs filiales en Europe dont un gros centre de décision à Paris préférera faire appel à un cabinet intégré avec un avocat par pays habitué à travailler avec ses confrères à l’international », souligne Gilles Bélier, avocat chez Freshfields, qui planche aussi sur les gros dossiers nationaux, à commencer par la fusion GDF-Suez. Une opération au demeurant largement transeuropéenne.

Au-delà même de leur organisation internationale, les nouveaux venus revendiquent un meilleur service aux entreprises. Leurs avocats sont généralement recrutés jeunes pour mieux les conformer à la culture anglo-saxonne, proche du consulting. « Chez nous, pas de place pour le prestige de la robe. Nous sommes traités par nos clients comme des fournisseurs de services lambda, explique Laure Joncour, associée chez Simmons & Simmons. Au-delà de la réponse juridique à une question, nous leur apportons une assistance à la décision. Nous présentons aux entreprises les avantages et les inconvénients de chaque solution et nous leur formulons des recommandations opérationnelles. Nous sommes plus pragmatiques que nos confrères français, qui disent le droit de façon académique. » Les anglo-saxons se disent aussi plus enclins à transiger, ce que confirment leurs interlocuteurs prosalariés. « L’idée de la solution négociée y est plus facilement admise que dans les cabinets français », note Paul Bouaziz, avocat au barreau de Paris, pour qui les différences de pratiques s’arrêtent cependant là. « Les anglo-saxons ont dû s’adapter aux méthodes françaises d’exercice de la profession, fortement imprégnées par le caractère conflictuel par nature du droit du travail français. Ce droit reste essentiellement national malgré le développement du droit européen. »

Disponibilité et pragmatisme

Du côté des cabinets « patronaux » français, on objecte que la disponibilité ou le pragmatisme ne sont pas, ou plus, spécifiquement anglo-saxons. « Nous nous sommes adaptés depuis longtemps à cette demande des clients », estime Nicolas de Sevin. Adaptés, mais pas seulement. Les cabinets français contre-attaquent aussi en soignant leurs spécificités. Certains ont leurs entrées au ministère de l’Emploi et misent sur le lobbying. D’autres, en particulier les cabinets de niche, jouent la carte de la qualité. Pour Pascal Lagoutte, chez Capstan, « investir dans la recherche en droit du travail est vital. Nous avons un conseil scientifique comprenant des universitaires tels que Bernard Boubli. Nous offrons la capitalisation de cette réflexion à nos clients. Les anglo-saxons, qui ont l’œil rivé sur la profitabilité, ne font pas cela ». Cette expertise est un plus pour les entreprises qui doivent appliquer un droit social toujours plus complexe. Dominique Laurent, DRH de Schneider Electric France, apprécie la technicité des avocats français, « parfaitement à même de répondre à nos problématiques, il est vrai essentiellement franco-françaises ». Schneider Electric France fait le choix de recourir à des structures de taille moyenne.

De fait, chacun semble avoir sa place dans le marché tendu mais toujours très porteur du droit du travail : les grands cabinets, anglo-saxons ou français à condition pour les seconds de développer l’international, mais aussi les structures moyennes ou petites, fortes d’un rapport intuitu personae plus marqué qui séduit jusqu’aux grandes entreprises.

Les directions d’entreprise imposent leur avocat

En moyenne, il faut débourser 450 euros l’heure pour s’offrir les services d’un associé d’un cabinet anglo-saxon, contre 350 euros si on opte pour une structure française. Pourtant, la tendance actuelle à la réduction des coûts dans les entreprises ne fait pas l’affaire des cabinets hexagonaux, moins bien représentés à l’étranger. Car, de plus en plus, les directions des groupes internationaux imposent à leurs filiales le cabinet qu’elles ont elles-mêmes choisi après appel d’offres. Le but : mettre fin à la pratique, coûteuse consistant à faire appel à différents avocats en fonction des dossiers : telle structure anglo-saxonne pour gérer une affaire transnationale, tel cabinet français pour traiter les dossiers sur la durée du travail…

Recourir à la même structure dans les différents États où le groupe est implanté permet de réduire le budget consultation, le volume des affaires permettant de bénéficier de prix plus intéressants. Cela permet aussi une meilleure maîtrise des décisions. D’où la résistance de certaines filiales françaises qui perçoivent le cabinet imposé comme l’œil de Londres ou de New York. « Souvent les filiales sont réfractaires au début, note Pascale Lagesse, associée chez Freshfields. Puis elles comprennent que notre rôle consiste aussi à faire preuve de pédagogie auprès de la direction sur les contraintes particulières du droit du travail français. Elles se servent alors de nous pour faire remonter leurs messages auprès du siège. Par exemple, nous pouvons aider le DRH d’une filiale française chargée d’élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi avec un certain budget à obtenir une enveloppe supplémentaire pour négocier avec les représentants du personnel. Un cabinet choisi par la direction joue plus facilement ce rôle d’intermédiaire. »

Auteur

  • Nathalie Grenet