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Idées

Faut-il fusionner l’ANPE et l’Unedic ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2007 |

Pour lutter plus efficacement contre le chômage, le président de la République a proposé, lors de ses vœux, de marier l’Agence nationale pour l’emploi, qui dépend de l’État, et l’Unedic, qui est gérée par les partenaires sociaux. La France doit-elle se doter, à l’instar de ses voisins, d’un service public de l’emploi unifié ? Les réponses, partagées, d’un ancien directeur général de l’ANPE, de la présidente de l’Unedic et d’un expert de l’OCDE.

Jean Marimbert Président du Centre d’études de l’emploi et ancien directeur général de l’ANPE.

“On peut se demander si le rythme actuel du rapprochement est à la mesure des enjeux”

La France détient en Europe un record peu enviable, celui de la complexité dans l’organisation des services de l’emploi, du fait non seulement de la dualité ANPE/Unedic, mais aussi de la multiplicité des autres organismes et des collectivités publiques concernés. Ce foisonnement entretient une complexité nuisible pour les demandeurs d’emploi, pour l’action quotidienne des agents et pour l’efficacité dans l’usage des ressources publiques ou collectives. De nombreux pays étrangers ont réorganisé les services de l’emploi : en regroupant souvent dans des lieux uniques les compétences nécessaires pour évaluer la situation des chômeurs, régler l’indemnisation, définir des parcours individualisés de retour à l’emploi ; en reconfigurant la gouvernance du système pour assurer un véritable pilotage. Depuis quelques années, la coopération opérationnelle entre l’Unedic et l’ANPE a fait des progrès, sur la base d’une notion de service public de l’emploi. Sans nier ce rapprochement, on peut se demander si son rythme est à la mesure des enjeux et des attentes. Forcer l’allure par une approche plus radicale de fusion implique toutefois d’écarter une illusion et de prendre la mesure d’un enjeu.

L’illusion consisterait à s’imaginer pouvoir ainsi faire l’économie d’une réflexion opérationnelle pour renforcer l’efficience du dispositif et améliorer concrètement la prestation. Fusionner les institutions sans réduire la dispersion géographique des services, sans intensifier le suivi ni renforcer la personnalisation laisserait probablement sur leur faim les chômeurs.

L’enjeu est celui du rôle respectif des collectivités publiques et des partenaires sociaux dans la gouvernance d’un dispositif resserré. Regrouper les fonctions et sortir de la quasi-exception française d’une gestion paritaire de l’assurance chômage suppose de surmonter un cercle vicieux : la puissance publique, garante de la situation de l’emploi devant l’opinion, n’imagine pas de ne pas être le pilote, tandis que la majorité des partenaires sociaux rejette toute unification sous pilotage tripartite selon une formule majoritaire en Europe. Comment, dès lors, fusionner sans laisser à l’écart les partenaires sociaux dont l’Unedic est un des rares espaces de responsabilité partagée ? Faute de sortir le débat de cette ornière, le progrès attendu d’un regroupement pourrait se payer d’un appauvrissement de la démocratie sociale.

Annie Thomas Secrétaire nationale de la CFDT, présidente de l’Unedic.

“Il ne faut pas laisser croire que, par une réforme de structure, on va faire baisser le chômage”

Ce n’est pas la bonne réponse aux problèmes des demandeurs d’emploi et à l’importance du chômage en France. La déclaration du président de la République, reprise par le Premier ministre, revêt un caractère démagogique. Il ne faut pas laisser croire que, par une réforme de structure, on va faire baisser le chômage. La situation de l’emploi, de la précarité et de la pauvreté exige un travail de fond et des mesures sur le long terme. Il faut créer ou sauvegarder des emplois par une politique de croissance, de formation, d’accompagnement et de mobilité choisie dans un cadre européen. De plus, cette déclaration semble jeter l’opprobre sur l’assurance chômage qui, depuis sa création en 1958, a su remplir les missions que lui avaient confiées ses fondateurs malgré la montée du chômage. Le régime a su préserver l’indemnisation des demandeurs d’emploi en toutes circonstances. Le paritarisme, c’est l’assurance que les cotisations des salariés et des employeurs financent exclusivement l’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Cette proposition de fusion a été exclue à l’unanimité par les partenaires sociaux, gestionnaires de l’Unedic. Faut-il rester immobile ? Non, bien sûr, et le mouvement de rapprochement des deux institutions a démarré en 1996 avec le transfert aux Assedic de l’inscription des demandeurs d’emploi. Depuis la loi de cohésion sociale et la convention État-ANPE-Unedic de mai 2006, ce rapprochement opérationnel a placé les deux institutions dans une logique partenariale. Sans changer le statut de l’Unedic et de l’ANPE, nous sommes en train de construire un accueil unique et simplifié des demandeurs d’emploi. 190 guichets uniques ont été créés, 80 maisons de l’emploi ont ouvert leurs portes. Ce mouvement est appelé à se poursuivre. Un rapprochement de nos services informatiques est en cours. Nous mettons en place les différents parcours d’accompagnement depuis janvier 2006, en parfaite collaboration.

Mais il reste bien des points à régler. Comment indemniser tous les salariés privés d’emploi, comment mieux mettre en relation le demandeur d’emploi et l’offreur d’emploi, comment faire que le droit à la formation soit une réalité pour les chômeurs, comment mieux accompagner les personnes vers l’emploi qu’elles souhaitent ? Tous ces points sont sur la table de négociations des partenaires sociaux. Reste à l’État à déterminer quelle part il veut prendre à cette refonte nécessaire.

David Grubb Administrateur principal à l’OCDE, spécialiste des politiques de l’emploi.

“Il faut aller vers une fusion sans oublier les autres acteurs du service public de l’emploi”

Le service public de l’emploi (SPE) englobe les administrations et acteurs qui exercent trois fonctions : placement des demandeurs d’emploi, octroi d’une garantie de revenu aux chômeurs et orientation vers des programmes tels que la formation professionnelle. Les résultats obtenus dans l’un de ces trois domaines dépendent intimement de ce qui se fait dans les autres. Les réformes créditées d’avoir fait diminuer le chômage dans de nombreux pays ont concerné les trois domaines. Ainsi, le modèle danois de « flexicurité » n’a réussi – en termes de placement – que depuis 1994, quand le pays a conditionné les prestations pour les chômeurs de longue durée à la participation à un programme actif.

L’articulation entre les trois fonctions du SPE peut varier selon les pays mais, pour qu’il soit efficace, il est essentiel que ses activités, telles que la vérification des conditions monétaires de l’indemnisation, la gestion des centres de formation, le suivi personnalisé des demandeurs d’emploi, etc., soient gérées à partir d’une vision stratégique d’ensemble. Sur le plan opérationnel, les informations provenant d’une activité doivent être accessibles à l’autre. La Belgique et le Canada, où les services de placement sont du ressort des autorités régionales et, donc, structurellement séparés du service d’indemnisation, sont des exemples de SPE non intégrés qui peinent à s’accorder sur une stratégie d’activation des chômeurs. En revanche, aux Pays-Bas, le service d’indemnisation a même le rôle de commanditaire de services de placement – une des articulations possibles pour aligner les objectifs stratégiques de deux structures séparées.

Le SPE français est l’un des moins intégrés des pays de l’OCDE. Il suffit de dresser une liste de ses acteurs : ANPE, Unedic, Apec, Afpa, missions locales, maisons pour l’emploi… Il est difficile de s’y retrouver pour les chômeurs. La complexité du système ralentit les processus administratifs, rend difficile la gestion de la performance, occupe le temps des administrateurs en tractations et dévoie l’optique de gestion vers des questions de positionnement institutionnel. L’ANPE et l’Unedic sont déjà engagées dans des mesures de rapprochement et de coordination de leur travail. Cela va dans le bon sens. Mais il faudra aller plus loin, sans doute vers une fusion de ces deux institutions. Sans oublier que le rapprochement devra également concerner les autres acteurs du SPE.