logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

L’objectif de 6 %, ce n’est pas gagné

Dossier | publié le : 01.02.2007 | E. G.

En renforçant les contraintes pour les entreprises, la loi de 2005 a fait de l’emploi des personnes handicapées un véritable enjeu. Mais le taux de 6 % exigé reste hypothétique. Faibles qualifications, dispositifs complexes, idées reçues… les obstacles sont légion.

Handicapés et compétents ! » Comme chaque année, le slogan a été porté dans toute la France, en novembre dernier, lors de la 9e Semaine pour l’emploi des personnes handicapées. Force est néanmoins de constater que le message, largement relayé par l’État, qui a fait de l’insertion des personnes handicapées l’un des grands chantiers du mandat présidentiel, mérite encore d’être rabâché. Un an après l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », cette population affiche toujours un taux de chômage d’environ 20 %, contre 9 % pour l’ensemble de la population active. Et le taux d’emploi moyen se situe autour de 4,4 % dans le secteur -privé. Rapporteur de ce texte fondateur, le sénateur Paul Blanc le reconnaissait à la tribune du Sénat en décembre : « Les premiers résultats de la réforme de l’obligation d’emploi demeurent décevants. Les demandeurs d’emploi handicapés semblent profiter beaucoup moins de l’embellie économique que les autres : leur taux de chômage n’a reculé que de 1,1 % en 2005, alors qu’il baissait de 5,1 % pour l’ensemble de la population. »

Pour sa part, Claudie Buisson, directrice générale de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), se montre beaucoup plus optimiste : « Certes, le taux de chômage des personnes handicapées reste trop élevé, mais la réalité des chiffres est trompeuse. Depuis quelques années, le nombre de travailleurs handicapés déclarés est en augmentation constante, alors que l’emploi évolue plus lentement. Ce qui fausse les données. Nous constatons que les débats autour de la loi ont -amené les entreprises à une véritable prise de conscience. Le regard porté sur le handicap a changé. Il y a un incontestable effet d’accélération en matière d’embauche. »

4 025 euros de pénalité par personne manquante. De fait, la loi a singulièrement renforcé les mesures incitatives et les sanctions à l’égard des employeurs de plus de 20 salariés. Si l’obligation d’emploi de 6 % des effectifs, en vigueur depuis 1987, demeure inchangée, le montant de la contribution compensatrice à verser à l’Agefiph a été augmenté : selon la taille de l’entreprise, il varie de 400 à 600 fois le smic horaire par bénéficiaire non employé. Ce qui correspond en moyenne à 4 025 euros par « unité » manquante. À l’horizon 2010, les employeurs les plus récalcitrants qui n’auront pris aucune initiative depuis plus de trois ans en faveur de l’insertion des personnes handicapées verront leur contribution multipliée par trois. Celle-ci atteindra l’équivalent d’un salaire annuel complet. En 2005, l’Agefiph a collecté 422 millions d’euros et en a réinvesti plus de 350 millions en aides directes aux personnes handicapées et aux entreprises.

Des sigles ésotériques. Le sénateur Blanc déplore néanmoins que « trop d’entreprises continuent à méconnaître l’esprit de l’obligation d’emploi en recourant systématiquement à la contribution à l’Agefiph ». Il faut dire que les obstacles demeurent nombreux. L’empilement des dispositifs d’aide et d’accompagnement mis en place par l’État au fil des années reste difficilement lisible. « De prime abord, on est dérouté par la multiplication des sigles ésotériques, des intervenants, des acteurs », confie Jacques Bravais, chargé de mission handicap chez Total. Par exemple, le réseau Cap emploi, qui joue peu ou prou le rôle d’ANPE pour les personnes handicapées, n’est toujours pas unifié depuis sa création, en 2000. D’un département à l’autre, ces structures se présentent sous des appellations différentes : Ohé Prométhée, EPSR, OIP… Pas facile de s’y retrouver. La mise en place d’un « guichet unique » départemental – la Maison départementale des personnes handicapées – destiné à orienter les personnes handicapées dans tous les domaines de la vie n’aura sans doute qu’un impact limité en matière d’emploi. D’autant plus que, dans certains départements, le recrutement d’un référent emploi reste hypothétique.

Autre obstacle, et non des moindres : les idées reçues vis-à-vis du handicap qui persistent dans les entreprises. Si toutes les études et enquêtes démontrent qu’à niveau de compétences égal les salariés handicapés font preuve d’un investissement dans leur travail souvent plus important que leurs collègues valides – selon un sondage LH2-Manpower-Agefiph, 93 % des entreprises qui emploient des personnes handicapées se déclarent satisfaites –, le « syndrome du fauteuil roulant » est encore tenace. Des expériences de testing ont montré la persistance de discriminations à l’embauche : en 2005, l’Observatoire des discriminations de l’université Paris I a répondu à 325 offres d’emploi de commerciaux de niveau bac + 2. À CV équivalents, le candidat handicapé a obtenu un taux de réussite de 50 % contre 91 % pour le candidat valide. « Il y a chez les recruteurs des préjugés inconscients liés à l’apparence, commente Jean-François Amadieu, son directeur. Si vous êtes jeune, dynamique, sportif, vous êtes forcément compétent et performant. Les personnes handicapées sont victimes de ce culte de la bonne santé. »

Dernier écueil préoccupant aux yeux des acteurs de l’insertion, mais aussi des entreprises : le faible niveau de qualification général de la population handicapée. Confrontées aux mêmes obstacles dans leur parcours de formation que dans leur recherche d’emploi, beaucoup de personnes ont été contraintes d’opter pour des formations courtes. Plus de la moitié des demandeurs d’emploi ont une qualification de niveau 5 (CAP-BEP) et plus d’un tiers d’un niveau inférieur. En revanche, les diplômés restent rares. « L’enjeu principal, aujourd’hui, est de former les personnes handicapées, souligne Claudie Buisson. Lorsqu’on me demande si le taux d’emploi de 6 % envisagé par la loi est réaliste, je réponds qu’il l’est d’un point de vue quantitatif. Sur le plan qualitatif, en revanche, les conditions ne sont pas encore réunies. Beaucoup reste à faire en matière de formation. Et il faudra probablement une dizaine d’années pour y parvenir. »

Sur près de 100 000 établissements assujettis à l’obligation d’emploi, la moitié seulement remplit ses obligations légales

Source : Agefiph, données 2005. La loi ayant renforcé les critères d’employabilité des personnes handicapées, le nombre d’entreprises assujetties a augmenté et celles qui avaient atteint un taux d’emploi de 6 % ont vu ce pourcentage reculer en raison de la prise en compte d’emplois auparavant exclus.

535 000 salariés handicapés en milieu ordinaire de travail, dont 375 000 dans le secteur privé et 160 000 dans le secteur public

“Je suis avant tout un chef d’entreprise”

Comment devient-on chef d’entreprise lorsqu’on est handicapé ?

Entreprendre correspond avant toute chose à un état d’esprit. L’entrepreneur handicapé est confronté aux mêmes obstacles que n’importe quel autre créateur d’activité. Le handicap n’est qu’une difficulté supplémentaire. Lorsque j’ai perdu la vue, il m’a fallu accepter la cécité, apprendre à vivre avec, mais cela ne m’a pas empêché d’entrer à Sciences po, puis à l’Essec, et de préparer un MBA aux États-Unis. C’est là que j’ai eu l’idée de ma première société, Visual Friendly, spécialisée dans l’accessibilité du Web. Pour moi, le handicap passe au second plan. Je suis avant tout un chef d’entreprise.

En quoi le handicap peut-il constituer une richesse ?

Dans mon parcours, il m’a permis de mieux me connaître et d’apprendre la persévérance. À l’échelle de la société, il peut aussi être créateur de valeurs et de richesses. Qui se souvient que la télécommande du téléviseur a été inventée pour les tétraplégiques ? Mon activité actuelle s’appuie précisément sur le principe que le handicap est une source d’innovations utiles à tous. Il faut réussir à agir avec le handicap. J’ai ainsi participé à la mise au point d’un système de guidage pour s’orienter dans les couloirs du métro via un téléphone mobile doté de la technologie Bluetooth. Je travaille aussi sur plusieurs projets en lien avec l’accessibilité du Web. Autant d’innovations qui profitent aux personnes aussi bien handicapées que valides.

Que pensez-vous de la loi handicap ?

J’en retiens deux principes qui me paraissent fondamentaux : d’une part, l’accent porté sur les questions d’accessibilité. On peut regretter que dans certains domaines, comme le Web, la France ait inventé ses propres règles, alors qu’il existait déjà des normes internationales. Mais c’est un point primordial. D’autre part, le principe de compensation, qui est très positif. Je pense que, sous la pression de la loi, les entreprises ont déjà beaucoup évolué. Elles font maintenant la différence entre handicap et incapacité.

Une pénurie de jeunes diplômés

Des jeunes diplômés handicapés ? Il en existe, bien sûr. Mais nous avons d’énormes difficultés à trouver des profils correspondants à nos métiers, regrette Juliette Arnould, chargée de mission handicap chez Bull. Nous avons pourtant en permanence 200 postes de niveau bac + 5 ou plus à pourvoir. »

Signataire d’un premier accord d’entreprise sur le handicap en 1993, le groupe fait figure de « bon élève » en matière d’insertion des personnes handicapées. Il affichait fin 2005 un taux d’emploi direct de 4,7 %.

Mais sa contribution 2006 à l’Agefiph s’élevait tout de même à 256 000 euros. « Toutes les entreprises à forte valeur ajoutée sont confrontées au même problème », souligne Juliette Arnould. Christian Margaria, président de la Conférence des grandes écoles (CGE), confirme : « La question de l’intégration des étudiants handicapés a longtemps été oubliée. Il y a une part d’autocensure venant des intéressés eux-mêmes, qui ne sont pas encouragés à poursuivre de longues études, mais aussi issue des équipes enseignantes, pour qui le handicap est souvent réduit aux cas les plus lourds. On pense à tort que l’accueil nécessiterait des aménagements trop importants. » Depuis 2005, la CGE s’est engagée dans un travail de réflexion et de sensibilisation avec des entreprises et, plus récemment, avec l’Agefiph. « C’est un travail de longue haleine », souligne Juliette Arnould. Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes : 8 000 étudiants handicapés poursuivraient actuellement leurs études dans des établissements d’enseignement supérieur relevant de l’Éducation nationale. On ne compterait parmi eux que 80 doctorants (sur un total de 40 000) et seulement 160 élèves en classes préparatoires.

Auteur

  • E. G.