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Vie des entreprises

Mieux vaut faire cost killer chez Alma que chez Lowendal

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.01.2007 | Anne Fairise

Pas de répit pour les coupeurs de coûts. Le doyen Alma et son challenger Lowendal multiplient les acquisitions, soignent les recrutements, la formation, les carrières… Mais le climat social est nettement plus serein chez Alma.

Gare aux chasseurs d'économies ! L'insolente santé des cabinets d'audit en optimisation de coûts détonne dans un monde du conseil éreinté par quatre ans de crise. « En période de croissance comme de crise, les entreprises veulent des économies à court terme, qui ne remettent pas en cause l'organisation ou les acquis salariaux, ni n'exigent d'investissement », note Jean-Luc Abeasis, directeur général d'Alma Consulting Group, numéro un et doyen de ce jeune secteur. Créé en 1986 par Marc Eisenberg, le groupe a connu en 2005 un bond spectaculaire de 66 % de son chiffre d'affaires, contre 20 % en moyenne depuis une décennie. « Les consultants généralistes payés 3 000 euros la journée pour fournir des préconisations non suivies d'effets, c'est une époque révolue. Les entreprises leur préfèrent les spécialistes opérationnels », renchérit Pierre Lasry, P-DG de Lowendal, le challenger abonné à un taux de croissance de 15 % par an depuis cinq ans, qui s'est développé dès 1992 à partir d'une niche : la récupération de la TVA sur les frais de représentation.

L'offre de ces cost killers, qui passent au crible les postes de charge, obtiennent des dégrèvements des autorités administratives et se rémunèrent sur les sommes remboursées, n'explique pas seule ces résultats. Boostés par des fonds d'investissement, Alma et Lowendal sont engagés dans une politique de développement tous azimuts. Depuis qu'Apax Partners a acquis, fin 2005, 40 % du capital d'Alma, le groupe des Hauts-de-Seine multiplie les acquisitions dans l'Hexagone, les ouvertures de bureaux à l'étranger et étoffe ses rangs (une centaine d'embauches annuelles jusqu'en 2007). Son ambition est claire : doubler le volume d'activité d'ici à 2009 et décrocher la place de leader européen.

Incessantes réorganisations. Son challenger, installé à deux pas des Champs-Élysées, n'est pas en reste. Ces trois dernières années, il a absorbé trois filiales, accueilli à son tour de table Axa Private Equity et augmenté de moitié son personnel. Sans compter la récente acquisition de Masaï, spécialiste des achats stratégiques, qui représente 40 % des effectifs actuels. Autant dire que le quotidien des auditeurs est synonyme d'incessantes réorganisations. Alma a regroupé en 2000 ses équipes et celles des multiples cabinets déjà rachetés en quatre pôles, correspondant chacun à un marché : charges sociales, fiscales, etc. Toute nouvelle intégration de société ne se conclut pas par une fusion juridique, mais par des déménagements à coup sûr, pour mixer les équipes. « On bouge beaucoup », plaisante Guénola Allard, seule représentante syndicale d'Alma, affiliée à la CFE-CGC.

Management, égalité hommes-femmes : Alma est au top 10 des sociétés où il fait bon vivre

Négociations musclées en vue. Pas question néanmoins d'imposer une culture de groupe. « Lorsque l'on prend le contrôle d'une entreprise, il faut respecter son histoire », souligne Jean-Luc Abeasis. Preuve du succès de ce mode d'intégration en douceur : la forte proportion d'anciens dirigeants des entités rachetées au comité exécutif, où ils occupent un quart des sièges, et au conseil d'administration, où ils disposent de 40 % des postes.

Quant aux salariés Alma, ils ont l'assurance de garder les avantages sociaux du groupe, même s'ils rejoignent les cabinets rachetés et filialisés : le détachement est négocié. « Cela facilite les recompositions », explique la CFE-CGC.

Même politique chez le challenger. « Les dirigeants fondateurs de toutes les sociétés rachetées sont dans nos murs », renchérit Pierre Lasry, le P-DG de Lowendal, organisé aussi par champs d'expertise, et qui va accueillir dans ses locaux le cabinet Masaï, filialisé. « Il y aura, à terme, une harmonisation des régimes sociaux. Nous “benchmarkons” les meilleures pratiques », note Claire Vieille, la DRH.

De quoi augurer de négociations musclées. Les représentants du personnel gardent un mauvais souvenir de la révision de l'accord sur les 35 heures, à la suite de la constitution en groupe : elle a mis un terme à la possibilité, pour les auditeurs sous le régime du forfait jours, de cumuler les RTT. « Un proche de la direction, qui avait pris un mandat CFDT pour l'occasion, a signé l'accord contre l'avis du CE », rappelle un salarié. L'épisode n'est pas passé inaperçu – la fédération CFDT a retiré son mandat au syndicaliste – et a suscité la création de trois sections syndicales en trois ans. « Une nécessité pour faire valoir la voix des salariés », affirme un délégué syndical.

Chez Lowendal, les relations sociales paraissent tout sauf apaisées. À la différence d'Alma, où la CFE-CGC les qualifie de « constructives » : « Il n'y a pas de langue de bois. À toute question posée la direction apporte une réponse, quitte à l'assortir d'une clause de confidentialité », reprend Guénola Allard, seize ans de maison. Rien de tel chez le jeune challenger (âge moyen : 30 ans). Nouveau directeur général, renforcement de la hiérarchie, constitution des pôles avec mise en place, sur la base du volontariat, de la polyvalence pour les auditeurs et les commerciaux… l'importance des changements, et l'urgence dans laquelle ils ont été conduits, a multiplié les sources de tensions. Tout comme certains revirements. « La polyvalence a suscité de l'engouement. Aucun cabinet de conseil ne propose la double compétence, technique et commerciale, à ses salariés. Ceux-ci ont fait beaucoup d'efforts pour s'adapter », rappelle un auditeur, déçu du retour en 2005 à une séparation des métiers. Synonyme de redéfinition des postes, de changements de bureaux, de rémunération : « Rien ne se stabilise longtemps. »

Pas le droit à l'erreur. Pour accompagner leur croissance, Alma et Lowendal soignent leurs recrutements. Double entretien d'embauche, accompagnement par un tuteur, journée d'intégration… les méthodes sont identiques, et nécessaires vu la diversité des profils engagés. Depuis l'inspecteur Urssaf, le fiscaliste, le médecin, le géomètre jusqu'au spécialiste des nanotechnologies. « Nous intégrons tellement de salariés que nous n'avons pas le droit à l'erreur », commente Tiphaine Verneret-Lefebure, DRH d'Alma, qui privilégie « la capacité du candidat à se spécialiser, à se remettre en question, et la curiosité. Car les domaines réglementaires, sur lesquels nous intervenons, évoluent sans cesse. »

Une pratique cohérente avec la volonté de cultiver « l'impertinence pertinente », véritable antienne du groupe, où la direction pratique la politique de la porte ouverte. « Il n'y a qu'une hiérarchie qui vaille, c'est la hiérarchie des compétences suivie d'efficacité », décrypte Jean-Luc Abeasis. Signe d'un certain bien-être, le faible turnover (inférieur à 10 %) du groupe, entré depuis 2006 au top 10 des sociétés où il fait bon vivre. Pour ses bons chiffres en matière de présence des femmes dans le management (34 %) ou de traitement équitable des salariés (même accord RTT pour les cadres et les non-cadres)

Autre ambiance chez Lowendal, qui revendique une « culture de la performance totale ». Le turnover est à l'avenant : « 12 % hors ruptures de période d'essai et licenciements », selon la DRH, qui consacre 40 % de son temps aux recrutements. Les PV du comité d'entreprise traduisent cependant un turnover global deux fois plus élevé, conforme à celui du secteur du conseil. Les horaires (9 heures-19 heures) ne sont pas à incriminer. « Les auditeurs sont moins pressurisés que dans le conseil classique », note la DRH. Mais la forte proportion de salaire variable (jusqu'à 40 % du brut chez Lowendal comme chez Alma) pourrit les relations. « Les attributions d'entreprise sont très regardées. Elles déterminent en partie le montant du variable. Et il y a une inégalité de traitement dans le partage des dossiers », déplore un auditeur. Les primes trimestrielles varient de 400 à 7 000 euros. Un ex-cadre supérieur poursuit l'entreprise aux prud'hommes pour écart de rémunération important avec un collègue. Mais la principale source de récriminations est le management. « La constitution en pôles a assis des baronnies », note un manager. Les représentants du personnel se plaignent de « pratiques de harcèlement ». Des licenciements express pour insuffisance de résultats ont marqué les esprits, le salarié étant sommé de partir illico.

Chez Lowendal, les licenciements expéditifs pour faibles résultats ont marqué les esprits

La croissance permet aux deux groupes de soigner les perspectives de carrière. Le leader, qui consacre 7 % de sa masse salariale à la formation, visait une mobilité de 15 % en 2006. Lowendal revendique, lui, un accès rapide aux responsabilités. « Encadrer une équipe avec quatre ans d'expérience, c'est courant », relève Pierre Lasry, qui emmène tous les ans ses équipes en séminaire. Pour ses 20 ans, Alma a convié ses 800 salariés au Portugal. Autre tradition, la réunion plénière de janvier, où les dirigeants font le point sur la stratégie. Des méthodes de start-up. « On s'autorise ce que justifie l'efficacité du business », note Jean-Luc Abeasis. Mais trois plaintes pour harcèlement ont été déposées cette année. Du jamais-vu. Quant à Lowendal, selon ses délégués syndicaux, ce « n'est plus une entreprise où il fait bon vivre ».

La jeune profession se défend

Ils en parlaient depuis longtemps. En 2005, 18 sociétés en optimisation de coûts, en tête desquelles Alma et Lowendal, ont fondé le Syncost. L'objectif ? Mieux faire connaître la jeune profession (2 000 salariés et 300 millions d'euros de chiffres d'affaires). Notoriété, lobby : l'intitulé des commissions atteste de la démarche. « Certains changements réglementaires ou revirements de jurisprudence peuvent laminer le métier. Si le gouvernement imposait un taux uniforme en matière de tarification des accidents du travail, nombre de cabinets seraient en difficulté », note un connaisseur du secteur.

Comme l'expliquait à l'époque Solange Rilos Letourneur, présidente du Syncost et dirigeante du cabinet ECS : « Même si nous exerçons depuis une dizaine d'années, nous devons faire preuve de pédagogie […]. Nous nous distinguons du conseil traditionnel, que ce soit du conseil en management ou des avocats. » Une précision importante : les batailles de territoire font rage avec les avocats, qui contestent la légitimité des cabinets de conseil. Au point qu'une « commission de conciliation » a été créée, à la rentrée 2006, entre le Conseil national des barreaux et l'OPQCM, qui certifie les cabinets.

Auteur

  • Anne Fairise