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Politique sociale

Espagne “Un désastre pour le secteur postal”

Politique sociale | publié le : 01.01.2007 | Regino Martin

Elle pousse toujours le même chariot jaune à roulettes jaunes. Pour les habitants du quartier de Madrid où elle distribue le courrier, elle reste « la factrice ». Pourtant, tout a changé dans la vie de Rosa Maria Angulo le mois dernier, quand elle a enfin été titularisée. Elle fait désormais partie des postiers de Correos. Fini les contrats à la journée et les vacances forcées entre deux remplacements. Maintenant, elle a des horaires réguliers, de 7 h 30 à 14 h 30, des congés et, surtout, un salaire assuré, de 900 euros mensuels. Chaque jour, elle croise les chariots orange de la concurrence, Unipost, le service privé qui opère dans le même secteur qu'elle.

L'ouverture du marché postal ? C'est déjà une réalité en Espagne pour Correos, l'héritier du vieux monopole Correos y Telegrafos, né il y a deux cent cinquante ans et transformé en société anonyme de fonds 100 % publics en 2000 : le courrier urbain et la publicité directe ont été libéralisés dès les années 60, et le marché réservé à Correos se limite aujourd'hui aux lettres de moins de 50 grammes, aux virements postaux et aux paquets de moins de 10 kilos. Soit « le monopole le plus petit d'Europe », selon les syndicats.

Dans les faits, Correos, avec 73 000 postiers (dont 35 000 fonctionnaires et les autres en contrat ordinaire, comme Rosa Maria), continue de contrôler quelque 90 % du marché, même si 1 500 entreprises opèrent sur le territoire espagnol. Une concurrence jusqu'ici fragmentée en PME, pour la plupart. Mais des opérateurs de poids ont déjà fait leur entrée. Parmi eux, le néerlandais TNT et l'allemand Deutsche Post. Ce dernier est actionnaire d'Unipost, spécialisé en courrier d'entreprise, qui gère 2 millions d'envois par jour et couvre 70 % du territoire.

Casus belli

Dans ce contexte, à quoi bon attendre 2009 ? Madrid a pris les devants. Le 10 novembre dernier, quelques jours après la présentation du projet de la directive européenne, le gouvernement espagnol approuvait un décret royal qui permet à tout opérateur postal européen d'avoir accès à la structure, aux moyens et aux installations de Correos pour gérer les envois de ses clients. Il est prévu un délai de cinq mois pour régler les conditions techniques.

La mesure a été reçue comme un casus belli par les syndicats, qui dénoncent une décision unilatérale d'autant plus inexplicable, selon eux, qu'ils ont participé activement dans les quinze dernières années à la modernisation de l'ancien monopole. « C'est un désastre stratégique pour le secteur postal. Le gouvernement ouvre la porte à la concurrence sans doter en retour Correos de financements, critique Regino Martin, secrétaire général des Commissions ouvrières, majoritaires dans l'entreprise. C'est la qualité de l'emploi et du service postal, notamment dans les zones rurales, qui est en jeu. »

Les experts font une analyse plus nuancée : « Il s'agit d'une fausse libéralisation, estime Juan Santalo, directeur de l'Observatoire des politiques de concurrence de l'Instituto de Empresa. L'obligation de garantir un service universel fausse le jeu. Il risque de se passer ce qui est arrivé dans le secteur électrique : on ouvre le marché mais on contrôle les prix. Du coup, on décourage l'entrée de la concurrence. »

Cécile Thibaud, à Madrid

Auteur

  • Regino Martin